« Sound Of Falling » réalisé par Mascha Schilinski : Critique

Quatre jeunes filles à quatre époques différentes. Alma, Erika, Angelika et Lenka passent leur adolescence dans la même ferme, au nord de l’Allemagne. Alors que la maison se transforme au fil du siècle, les échos du passé résonnent entre ses murs. Malgré les années qui les séparent, leurs vies semblent se répondre.

Réalisatrice : Mascha Schilinki
Actrices :  Luise Heyer, Lena Urzendowsky, Filip Schnack, Susanne Wuest
Genre : Drame
Pays : Allemagne
Durée : 149 minutes
Date de sortie : 
14 mai 2025 (Festival De Cannes / En Compétition)
2025 (salles)

Second long-métrage de Mascha Schilinski, Sound Of Falling est pourtant le premier film de la cinéaste à poser le pied sur le territoire français.
Sa présence à Cannes en compétition, en tant que cinéaste inconnue du public international a de quoi intriguer.
La cinéaste allemande après son intimiste et déstabilisant Dark Blue Girl présenté à la Berlinale 2017, qui contait les histoires d’une fillette entreprenant diverses stratégies pour empêcher les retrouvailles de ses parents divorcés, film tout en zones d’ombres et secrets amers, aborde aujourd’hui avec Sound Of Falling une fresque historique tout en prenant la tangente de la lecture-monument, préférant les sentiers dérobés.

Sur un siècle, la caméra capture l’existence de quatre jeunes filles, séparées par le temps mais ayant vécues dans la même ferme.
Des époques marquées par de troubles événements qu’il s’agisse de la Première Guerre Mondiale, la Seconde Guerre Mondiale, la scission RFA/RDA et l’ère moderne, l’Union Européenne.
Depuis cet espace reculé qu’est la ferme, dans les terres, la rencontre et l’enchevêtrement des spectres mémoriels des unes et des autres subsistent dans les lieux, livrent des secrets, content des espoirs, font résonner les doutes.

Mascha Schilinski semble marcher sur les pas de cinéastes, tout du moins avec les détails que le synopsis nous laisse percevoir, ayant expérimenté le lien entre les époques et les souvenirs à travers des lieux partagés.
Il y a alors tout autant la constitution d’une mémoire collective, nécessaire pour la structuration d’une société, que la lecture de l’invisible, l’ouverture aux perceptions extra-sensorielles, fantomatiques, sans pour autant s’élancer dans les mirages du fantastique.
Avant que le rideau ne se lève, pour sa première cannoise, la fresque Heimat de Edgar Reitz, monolithe cinématographique sous forme de série racontant un 150 ans d’histoire allemande par le prisme d’un village, Evolution réalisé par Kornél Mundruczó, revenant sur trois générations d’une famille marquée par la déportation, mais aussi Eternité de Trần Anh Hùng se rappellent à moi.

Bref, une sensation traverse l’échine, celle d’un possible grand film, sur les héritages sensoriels, ceux des lieux traversés et des époques traversantes, dépassant les rails de la temporalité.
C’est tout du moins l’espoir qui vivote.

Mascha Schilinski aborde ici avec Sound Of Falling, une impasse, celle du regard des hommes sur la femme et plus spécifiquement la place préétablie, quelque part entre objet et corps muet, de la femme à travers un siècle d’histoire allemande. Un pari relativement audacieux qui avait toutes les chances de devenir un très grand moment de cinéma.
Néanmoins, et bien que porté par une photographie véritablement magnifique et capturant des atmosphères d’une beauté hors normes, la cinéaste a du mal à contenir son récit dans un montage labyrinthique qui dérape assez rapidement et devient hors de contrôle.

Les récits se frôlent, se croisent, se touchent mais ne parviennent jamais véritablement à se saisir, à résonner les uns avec les autres.
Schilinski monte une échappée sensuelle troublante, aussi hypnotique que terrifiante, mais a du mal à trouver le liant nécessaire pour embrasser le lyrisme prétendu.
Les expériences vécues par les jeunes femmes ne donnent pas la projection de sororité escomptée, faute à des interstices stylisés entre Lars Von Trier, pour les plans aquatiques, et Terrence Malick, pour les galeries sous les bottes de foin, et tendent plus à une lecture sous forme de catalogues des maux du siècle, de l’oncle au regard déviant à la stérilisation forcée des domestiques.

C’est d’ailleurs une grande frustration que de voir le potentiel tant visuel qu’intellectuel du film se faire dépaser par u montage non pas ambitieux mais cédant à une certaine forme de prétention, une volonté de vouloir marquer une complexité narrative qui aurait gagné à plus de contemplation et de surimpressions que cet éreintant va et vient temporel vidant progressivement le récit de sa substance, essayant de maière désespérée de recoller les morceaux sur une clôture saisissante mais où le regard spectateur s’est perdu depuis trop longtemps.

Reste, un geste qu’il est important de souligner, une intelligence de regard qui n’est pas donnée à tous les cinéastes : bâtir le hors champ.
Et cela, Schilinski l’a merveilleusement compris, tout comme Jonathan Glazer l’avait expérimenté avec La Zone D’Intérêt, en focalisant la caméra sur l »humain, laissant l’histoire en bordure pour mieux la faire pénétrer, pour mieux l’infliger.
Ici, les maux du monde semblent avoir une emprise réduite sur cette Allemagne rurale, et pourtant, sans jamais que l’Etat ne pénètre cet espace reculé, les décennies défilent et infusent les lieux, les personnages, les styles et comportements. De l’intérieur, on distingue un reflet d’une réalité qui jaillit depuis notre échine, la réalité historique, jamais chevauché et pourtant constamment ressentie, la marque d’une grande sensibilité.

Alors, certes, il est indéniable que ce Sound Of Faling regorge de qualités mais il est tristement vecteur d’ennui…
Mascha Schilinski pleine d’ambition se fait dévorer par le gigantisme du projet. La superposition des spectres dramatiques, des récits flottants, est trop hasardeuse jusqu’à devenir étouffante, virant à la démonstration pompeuse, donnant l’impression d’oublier son objet et préférant s’admirer, s’aimer, au détriment de ses messages et idées.
Une petite déception à qui on aimerait malgré tout redonner sa chance, en dehors du cadre surchargé des festivals.

Laisser un commentaire

Ici, Kino Wombat

Un espace de recherche, d’exploration, d’expérimentation, du cinéma sous toutes ses formes.
Une recherche d’oeuvres oubliées, de rétines perdues et de visions nouvelles se joue.
Voyages singuliers, parfois intimes, d’autres fois outranciers, souvent vibratoires et hypnotiques.
De Terrence Malick à Lucio Fulci et Wang Bing, en passant par Jacques Rivette, Tobe Hooper, Nuri Bilge Ceylan, Agnès Varda, Lav Diaz ou encore Tsai Ming-Liang, laissez-vous porter par de nouveaux horizons, la rétine éberluée.

Let’s connect