« Un Simple Accident » réalisé par Jafar Panahi : Critique

Synopsis : Après un simple accident, les événements s’enchaînent…

Réalisateur : Jafar Panahi
Acteurs :  Vahid Mobasheri, Maria Afshari, Ebrahim Azizi
Genre : Drame
Pays : France, Luxembourg, Iran
Durée : 105 minutes
Date de sortie : 
10 septembre 2025

Jafar Panahi, cinéaste déjà lauréat d’un Ours D’Or, pour Le Cercle, et d’un Lion D’Or, pour Taxi Téhéran, ne cesse depuis plus d’une décennie d’expérimenter le cinéma, clandestinement, pour raconter un territoire, l’Iran, et son peuple.
Depuis une quinzaine d’années Panahi est dans l’impossibilité de quitter le territoire et de tourner des films. Sanction qui ne l’a jamais arrêté pour continuer à nourrir son livre d’images, période où l’on a vu naître des films notables de sa main tels que Taxi Téhéran, Aucun Ours, Trois Visages ainsi qu’un très discret mais magistral court-métrage, Hidden.
Le parcours du cinéaste a été semé d’embûches, un geste d’artiste au péril de sa vie, arrêté et emprisonné à de nombreuses reprises.
Pour la première fois en quinze ans, cependant, Panahi vient de recevoir l’accord pour sortir du pays et présente son nouveau film, Un Simple Accident

Un grand moment pour le cinéma iranien, et les artistes du pays, systématiquement muselés, empêchés et torturés.
Une sortie d’Iran qui risque de faire grand bruit tant la nouvelle proposition de Panahi est incendiaire, un film de vengeance, questionnant le fragile instant-pivot où l’opprimé peut devenir oppresseur, un infime équilibre.

En pleine nuit, un véhicule percute un chien errant.
Le conducteur, Rashid, père de famille, se dirige vers le garage le plus proche.
Sur place, un mécanicien, Vahid, se cache. Il semble avoir reconnu ce père au passé trouble, celui d’un tortionnaire du régime. 

Panahi dessine un Iran fait de tortionnaires et d’âmes brisées, de corps tordus.
Il délimite le cadre de son récit à son personnage principal, Vahir, en tant que satellite qui attire jusqu’au tortionnaire enlevé, centre gravitationnel. Dans l’impossibilité d’un tournage traditionnel, Panahi s’engage alors sur les traces du théâtre, sans jamais devenir théâtreux, ni verbeux, jouant d’épures, limitant les tableaux, jouant sur une poignée de lieux et l’intérieur d’un véhicule.
Un mouvement de caméra qui rappelle Le Goût De La Cerise, mais ici l’heure n’est plus au suicide, à la dissection d’une société militarisée et radicaliste, avec Un Simple Accident, l’heure est à l’action, au règlement de compte où Panahi a l’intelligence de déjouer tous les boulevards du film de vengeance afin d’ouvrir la réflexion sur le statut de victime et les mécaniques sociétales qui poussent les êtres meurtris à possiblement devenir les bourreaux de demain.

Il s’agit ici d’un film prenant les codes du road-movie pour suivre des fantômes, des individus suspendus à leurs sorts passés, aux sévices endurés, courroux d’un régime-monstre qui matte la liberté en l’envoyant dans les ténèbres. Le cinéate, lui, dans ces tréfonds, observe la dernière lueur, celle qui peut devenir incendiaire et révolutionnaire.
Panahi aborde tout en juste retenue, et précision, les maux qui ont traversé le pays ces dernières années allant des grèves ouvrières au mouvement « Femme, Vie, Liberté » en passant par les échos de la guerre en Syrie.
Chaque personnage est le fragment d’un puzzle à reconstituer tant pour comprendre la machine dictatoriale que pour saisir un peuple écartelé, qui est poussé à redouter ses libertés, à devenir pièce d’une usine mortifère, et qui ne peut l’accepter, voile islamique sur un pic, à la manière d’une tête coupée, porté par un peuple souhaitant hurler son existence.

Les événements se succèdent, le récit s’éclaircit, les personnages se définissent, les masques tombent, l’humain se dévoile, enfin.
La grande force en présence est la capacité du cinéaste à déconstruire un régime et son humanité hurlante, sa capacité à ne pas s’étendre dans sa création, à se perdre dans des intrigues secondaires.
Il use du mot qui transperce, du geste qui susurre les maux.
Panahi construit un film sur la torture, et ses spectres, aussi éthéré que rageur, où les rictus sont invités jusqu’à croiser le vertige intime, sans jamais s’effondrer dans la misère. Il y a une force et une dignité d’une puissance rare, une voie que le cinéaste a modelé tout au long de sa carrière et qui trouve ici dans sa simplicité et son rythme un grondement qui tétanise.
L’horreur surgit sans que l’on ne s’y attende, mais surtout, l’humanité renaît, dans un coûteux parcours, à travers la nécessité d’abandonner les colères, avec pour vue des lendemains en dehors des mécaniques étatiques violentes.

Et bien que la mise en scène du cinéaste soit capitale, il ne faut surtout pas oublier un casting qui sait s’effacer en tant qu’acteurs pour devenir pleinement les personnages écrits, pour incarner, si ce n’est posséder une part du peuple iranien.
Il y a alors des séquences où la fiction tend à se faire oublier, où le réel explose en pleine face d’un spectateur en constante tension.
Les voix, les corps, les bruits sont venus traverser la salle s’installer dans mon épiderme pour l’hérisser.
Au-delà d’être une oeuvre visuelle, la proposition est une expérience sensorielle, celle d’individus qui ont été plongés dans l’obscurité, aveuglés pour ne pas voir l’oppresseur, et qui recomposent un traumatisme en se fiant aux autres sens qu’il s’agisse de l’ouïe, de l’odorat ou encore du toucher, acceptant de revivre l’enfer, un instant, pour dépasser l’abîme.
Les horreurs rejetées dans l’inconscient deviennent matière pour une révolte collective.

Un Simple Accident est un grand film, une onde qui s’empare progressivement du spectateur jusqu’à le saisir aux tripes.
D’un simple accident, une voiture qui renverse un chien errant, la société iranienne lève le voile sur son fléau totalitaire, met en lumière ses mécaniques, ses tortionnaires et ouvre la voie à un peuple d’une humanité débordante, une population ayant soif de liberté, et ne voulant pas marcher dans les pas des monstres pour se libérer, préférant tracer une tangente, pleine d’espoirs dans un cauchemar qui dévoile ses possibles effondrements.
Un grand film. Une belle Palme D’Or.

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