Objet du documentaire : À la fin des années 1970, au nord du Portugal, le quotidien d’une petite communauté rurale s’écoule paisiblement : un père de famille abat un arbre, des habitants se croisent sur la place du village, se retrouvent à la foire du samedi ou la messe du dimanche, des enfants jouent puis participent aux travaux agricoles… Pourtant, au cœur de cette temporalité immuable, une figure se détache : celle d’Isabel, jeune femme dont le regard aspire à un nouvel horizon.
Lorsqu’un éditeur s’élance dans des cinémas oubliés, Kino Wombat répond toujours présent, encore plus lorsqu’il s’agit de slow cinema.
C’est justement le geste que vient d’opérer Carlotta Films en décidant d’exhumer une œuvre ayant complètement disparu, unique réalisation de sa cinéaste, tourné entre la fin des années 70 et le milieu des années 80 en 16mm; Le Mouvement Des Choses.
Une œuvre quelque part entre fiction et documentaire, au rythme du slow cinéma. La proposition s’engage à observer les traditions et organisations d’un village portugais reculé alors que l’automatisation et l’industrialisation est à ses portes, une fracture générationnelle s’opère, les rites et gestes d’antan connaissant leurs dernières heures.

| Réalisateur : Manuela Serra |
| Genre : Documentaire |
| Durée : 89 minutes |
| Pays : Portugal |
| Sortie : 1985 (salles) 20 mai 2025 (Blu-Ray) |
Le Mouvement Des Choses, récit(s) du temps et de son dépassement
Cette unique réalisation de Manuela Serra dépasse le cadre du cinéma, il s’agit d’un talisman, une pièce troublante finalisée en 1985, une incantation qui n’a jamais connu de date de sortie en France, uniquement quelques festivals, et qui, de manière inattendue, est sortie de sa cachette en 2021, contant un pays dans une étape charnière de son histoire moderne, le Portugal.
La cinéaste, tout juste une poignée d’années après la Révolution des Oeillets, faisant chuter la dictature de Salazar, part à la rencontre d’un village qui semble ne pas avoir connu le temps, les guerres, ainsi que les avancées technologiques et les modes de vie changeants.
Ici, tout se fait encore à la main, où avec l’aide des bêtes.
Les boeufs retournent la terre, les femmes sèment le graines, les hommes partent sur les chantiers.
En fonction des saisons, entre les semis et les récoltes, le village fonctionne à la manière d’une micro-société faite d’entraides, de traditions et de rites religieux.
La jeune génération, elle, pour la première fois, tente de s’échapper, quitter l’habit d’antan afin de connaître l’existence citadine.
A la manière de gouttes balayées par le vent sur les vitres, la jeunesse s’échappe, prend la tangente, pour vivre des rêves d’ailleurs, des rêves-monstres, ceux susurrés par l’industrialisation, sous le masque de la fortune, de la reconnaissance volatile et du divertissement.
Dans les journaux, le monde s’affiche, fait miroiter son nouveau visage.
Au loin, dans la vallée, d’étranges palais fumants fleurissent, usines et tours.

Manuela Serra, en 16 mm, capture les gestes qui font ce réel, temporalité séculaire sur le point de péricliter.
Nous sommes à la fin des années 70, et pourtant, les images qui sont en train d’éclore, plan après plan, pourraient provenir des débuts du cinématographe, à l’ère des frères Lumières, de par leur contenu.
La cinéaste croise poésie, politique, observation, méditation et humanités changeantes par le prisme d’un regard ethnographique.
La caméra capture les individus, leurs quotidiens.
Il y a un geste connexe à celui de Manoel De Oliveira, dans sa contemplation des abords du Douro et sa population, comme si nous suivions les employés présents sur l’exploitation de Val Abraham, de retour dans leurs villages, leurs maisons, suspendus à un temps mourant, face à une époque dont ils ne comprennent plus les mécaniques.
La simplicité des images et le montage lent, au rythme des jours et des saisons, provoquent un curieux sentiment entre perte et apesanteur.
Perte, oui, celle de l’oubli d’un savoir-faire, celui des pratiques rudimentaires, celles pour vivre et subvenir à ses propres besoins.
Apesanteur, absolument, dans sa manière d’apaiser la cadence de nos esprits modernes aspirés dans des spirales immatérielles, dans un parcours de taches abscons.
Découvrir Le Mouvement Des Choses en 2025 est une expérience édifiante pour mesurer le caractère vide de sens du système capitaliste et sa nécessité de rentabilité poussant à perdre toute humanité afin de servir une société dont on ne saisit jamais les tenants et les aboutissants, où aujourd’hui dans nos villes de béton nous contemplons nos morbides individualismes.
L’humain était membre de sa communauté rurale, vivant selon ses besoins pour se nourrir et bâtir son foyer, au gré de ce que les saisons pouvaient offrir, loin de l’impact du monde.
Aujourd’hui, l’humain est esclave de ses maîtres, les industriels, riches propriétaires, faisant la pluie et le beau temps, espérant une certaine indépendance économique, dimension dictée par un marché fugace et intangible. L’enfer.
La manière de saisir le village et ses rituels renvoie à des oeuvres assez récentes, dont Le Mouvement Des Choses pourrait être perçu comme chef de file.
Des projets qui ont pris le temps d’observer les us et coutumes de communautés en dehors des normes sociétales modernes.
On pense alors à Les Travaux Et Les Jours réalisé par C.W. Winter et Anders Edström, tourné au Japon, ainsi que Direct Action réalisé par Guillaume Cailleau et Ben Russell, observant les gestes permettant d’atteindre l’indépendance agricole, culturelle et artisanale dans la ZAD de Notre-Dame Des Landes.
Le spectateur, est mis à l’épreuve, de séquences s’allongeant dans la durée, faisant ressentir les corps, les lieux, les matériaux et les énergies en présence.
Au fur et à mesure, l’oeil s’affute, s’imprègne des chevauchements d’images et embarque.
Avec Le Mouvement Des Choses, Manuela Serra structure une vision de cinéaste radicale, contant un pays en pleine mutation, capturant les dernières heures d’un temps et contemplant les spectres lointains, ceux par-delà les eaux, qui s’apprêtent à devenir dogme, notre monde moderne.
Le corps sont courbés, les visages marqués, les mâchoires édentées mais la dignité est là, la raison d’être est palpable, vibratoire.

Les caractéristiques techniques de l’édition Blu-Ray
L’édition Blu-Ray proposée par Carlotta Films se présente sous la forme d’une édition Amaray avec fourreau.
A l’intérieur, un passionnant livret regroupant essais et entretiens.
Image :
La restauration 4K est particulièrement belle.
Un travail notable sachant qu’en général les films 16mm connaissent des restaurations 2K.
Ici le cadre est stabilisé, plutôt bien nettoyé, avec la persistance de quelques marques.
Le grain 16mm fourmille et est toujours particulièrement bien contrôlé faisant émaner un grand nombre détails, affichant une délicate profondeur et dessinant les sillons du visage avec un savoir-faire digne d’un artisan.
La colorimétrie, quant à elle, est juste. Elle fait ressortir des nuanciers que la pellicule 16mm fait moduler. Ici, aucune correction, on est face à un respect du format original, les couleurs vives ressortent à merveille, et le reste possède de beaux dégradés.
La séquence en barque dans la brume est particulièrement envoûtante dans ses oscillations bleutées.
Son :
VOSTF DTS-HD Master Audio 1.0
Il s’agit ici de la piste d’origine, restaurée, et c’est un vrai petit miracle.
Aucune saturation en présence, le vent porte le regard, les dialogues sont étalonnés en fonction de la distance avec la caméra, prise directe, et surtout, accrochez-vous bien, car les quelques insert instrumentaux sont magnifiques et viennent résonner droit dans nos corps.
C’est délicat et beau. Il est rare qu’un 1.0 parvienne à autant nous marquer.

Suppléments :
. « 35 ANS PLUS TARD, LE MOUVEMENT DES CHOSES » (37 mn) // Un film de José Oliveira, Mário Fernandes et Marta Ramos
La réalisatrice Manuela Serra retourne sur les lieux du tournage, à Lanheses, où le film est projeté devant les anciens et nouveaux habitants. Elle évoque ses souvenirs d’un temps révolu où le sentiment de communauté prévalait au village.
Le supplément en présence est particulièrement touchant, permet de prolonger l’expérience et redécouvrir des lieux ayant connu trois décennies, et des modulations profondes, celles qui s’esquissaient au loin dans le film.
. BANDE-ANNONCE DE LA RESTAURATION





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