Anaïs, treize ans, passe ses vacances d’été à La Palmyre, une station balnéaire proche de Royan, en Charente-Maritime. Elle est accompagnée de ses parents et de sa sœur Elena, âgée de quinze ans. Celle-ci tombe amoureuse d’un jeune Italien, Fernando, qui lui fait connaître ses premiers émois sexuels. Anaïs, qui dort dans la chambre de sa sœur, est témoin de leurs ébats amoureux. Cette situation ne manque pas de perturber l’adolescente, d’autant que ses parents paraissent indifférents à son mal-être.

2023 a marqué une véritable renaissance de la filmographie de Catherine Breillat dans les regards cinéphiles avec la sortie de son nouveau film L’Eté Dernier, en compétition au Festival de Cannes, mais aussi avec la parution du livre d’entretiens Je Ne Crois Qu’En Moi, révélant une série d’échanges fascinants.
2024 prolonge cette exhumation de carrière et voit débarquer L’Eté Dernier en Blu-Ray mais également des morceaux de la carrière de Breillat, restaurés et édités par Le Chat Qui Fume, avec Une Vraie Jeune Fille et Anatomie De L’Enfer.
Un périple qui ne s’arrête pas là puisque l’éditeur compte bien déterrer tout le reste de la filmographie de la cinéaste avec, déjà entre nos mains, 36 Fillette, A Ma Soeur, Romance, Sex Is Comedy, ainsi que d’ici la fin d’année 2025, Abus De Faiblesse, Une Vieille Maîtresse, La Belle Endormie et Barbe Bleue.
Aujourd’hui, direction l’édition Blu-Ray de A Ma Soeur !.

A Ma Soeur !,
Miroirs Et Dualismes, Le Vertige Breillat
C’est l’été à La Palmyre, Anaïs, collégienne de 13 ans, en surpoids, et sa soeur Elena, 15 ans, attirant le regard des garçons, sont en vacances avec leurs parents, adultes moqueurs et fantomatiques.
Les maillots de bain, le soleil, les verres en terrasse, les séductions, ce sont les premières expériences en dehors du joug parental, où Elena papillonne, où Anaïs se fait traîner.
Un après-midi, la grande soeur fait la rencontre de Fernando, jeune étudiant italien, la vingtaine.
Le soir, par la fenêtre, il vient rendre visite à Irina, de premiers ébats ont lieu, entre désir et oppression, envie et répulsion.
Dans l’ombre de la chambre, Anaïs feint de dormir et observe…
Breillat, avec ce film particulièrement cruel, continue à développer des motifs nés avec Une Vraie Jeune Fille et des reliefs dessinés avec 36 Fillette. On pourrait presque parler d’une trilogie de la jeune fille.
La réalisatrice travaille l’été de l’émancipation, familiale, et des explorations intimes, sexuelles et identitaires.
C’est le grand saut, l’affranchissement du foyer, la soif de liberté, de découverte, à la lisière d’une forêt qui regorge de loups et chimères, les monstres des contes tout simplement.
Bien évidemment, la cinéaste ne s’élance pas dans le fantastique, filme avec un geste naturaliste, mais sculpte le spectre philosophique de l’oeuvre à la manière des récits que l’on raconte lorsque l’on aborde le monde des songes, les labyrinthes nocturnes de l’esprit, où les cauchemars rôdent dans les impasses.
Situation qui n’est pas véritablement étonnante en sachant que postérieurement Breillat caressera le monde des contes traditionnels en offrant sa vision personnelle de Barbebleue.

En partant de ce sempiternel été des découvertes, la cinéaste parvient à couvrir des horizons mutuels avec ses autres œuvres mais modulaires.
Avec A Ma Soeur !, Breillat construit de sinistres jeux de miroirs, joue des reflets de la rétine pour construire des espaces mentaux saisissants. Un dangereux théâtre des déséquilibres naît.
Il y a d’une part les soeurs, deux corps et âmes, deux territoires physiques et psychologiques qui s’opposent et se jalousent, mais ce n’est pas tout car en partant de cette dualité entre sœurs, qui pratiquent des plaisirs du corps celui de la séduction, de la drague, du sexe et celui de l’appétit, du goût, du palais, la proposition vient à ouvrir le champ autour des personnages secondaires, échos terrifiants qui font la société moderne.
Les personnages sont des pôles faussement manichéens, forces brutes aux curieuses bordures élégiaques qui ne cessent de révéler blessures et espoirs, tentations et manipulations, portes structurant des êtres dérobés grondants.
Les jeunes filles, elles, portées par les incandescentes et ténébreuses Roxane Mesquida et Anaïs Reboux, aux tempéraments fluctuants, aux relations de braise, mènent le récit et ses modulations avec rage.
Dans cette arène des oppositions, Breillat questionne les femmes et les hommes, fait incarner dans chaque protagoniste, une représentation du genre, entre abandons, errances et déviances.
Vous l’aurez compris, les loups sont les hommes qui revêtent différents apparats allant du séducteur manipulateur, Fernando, au père démissionnaire en passant par les maniaques.
Dans cette galerie d’hommes, évoluant dans une société éminemment patriarcale, les femmes existent de par leurs manières de s’adapter et évoluer à l’ombre de mécaniques séculaires. Des mécaniques, certes, mais Breillat incise, violente le système et développe également une palette de personnages féminins, plus ou moins dans l’acceptation de l’oppression machiste.
Une salve de portraits dominée par la moquée jeune soeur qui est, somme toute, l’unique femme tenant tête aux hommes, crachant à leurs figures, ne redoutant pas les coups et les désillusions. Elle est libre, libre de raconter son récit intime, libre en décidant de ne jamais se définir comme victime, une projection déchirante.
La douleur est là, hurlante mais muette, force d’esprit pour ne pas être avalé par les loups.
Mais si A Ma Soeur ! est un jeu d’échos, de résistance, de chutes, de rêves et calvaires, c’est également une proposition de prolongements, de dépassements, de ses personnages mais aussi d’un spectre de cinéma.
Breillat invite à une continuité cauchemardesque du Théorème de Pasolini réalisé trois décennies plus tôt et offre une piste de lecture stupéfiante avec cet étalon italien qui va venir questionner tout l’ordre bourgeois familial de la famille d’Anaïs et Irina de par sa visitation mais aussi de par la présence de Laura Betti, mère désillusionnée de Fernando, déjà mère hallucinée chez Pasolini.
Il y a alors ce relai des temps, cette chute d’un empire petit bourgeois qui ne peut lutter contre sa propre décadence liée à l’inutilité même de son existence.
Les projections innocentes de l’enfance éclatent. Non, l’amour ne vient pas avec le sexe, et l’amour, le mot, est bien souvent « trompe l-oeil » pour faire céder le corps.
Les mots de Fernando hantent, à chaque forçage intime : « Si tu le fais, c’est une preuve d’amour ».
L’aura de la virginité devient alors chaîne nouvelle, d’une structure sociétale qui enferme et menotte les jeunes femmes.

Pour parvenir à cette myriade de pistes, de récits souterrains, de réflexions sociétales, qu’elle clôture dans un chaos aussi grossier que terrifiant, Breillat prend à contre-courant l’expression du cinéma moderne, ralentit le rythme du montage, des images, pousse à une lévitation rongée par son inéluctable chute, maintenant le regard spectateur entre ivresse estivale, chaleur des corps, espoir de liberté, et dégoût profond, enveloppes vomissantes, masques tombants.
Il s’agit d’une expérience de cinéma qui pourrait très aisément être classée dans la fameuse vague du New French Extremism en compagnie de Dans Ma Peau, Irréversible, Trouble Every Day ou encore Twenty-Nine Palms.
Cette vision extrême prend place de par le geste de la réalisatrice poussant à étirer les séquences, jusqu’à creuser les malaises jusqu’à leurs points les plus offensants.
Breillat sait comment faire mal, comment soulever la chape mensongère dans laquelle la société toute entière se complaît et blesse avec une féroce malignité.
Il y a en cela une dynamique slow cinema, qui apparaissait déjà dans la chambre d’hôtel dans l’affrontement entre l’homme et la jeune fille de 36 Fillette, qui ici propulse dans une terreur assez singulière, celle de l’intimité putride de la chambre à coucher.
Le terme « à coucher » prend alors toute sa tyrannie, dérobant l’innocence de la chambre d’enfants.
A Ma Soeur ! est le grand film de Breillat, celui où incontestablement elle joue de tous ses mécanismes pour dynamiter un monde d’hommes, de monstres, et mettre en exergue des calvaires bien trop banalisés, acceptés mais occultés.
Il s’agit d’une grande épreuve de cinéma, un long-métrage vorace, parasite qui entre par la rétine et ronge la psyché jusqu’à baigner dans le sang, spectateur abandonné, sur une aire d’autoroute, après un tumultueux voyage à bord d’une voiture submergé par un flot de camions, courant de mâl(es).

Les caractéristiques de l’édition Blu-Ray
Le Chat Qui Fume, épaulé de son épatant graphiste Frédéric Domont, vient proposer avec cette nouvelle « collection Catherine Breillat » une nouvelle ligne graphique et editioriale.
Ici, nous sommes dans la gamme scanavo de l’éditeur et l’écho des éditions Radiance résonne en nous.
Le Chat Qui Fume propose une splendide édition comportant un Obi reprenant toutes les informations que nous pouvions précédemment trouver au verso des éditions.
C’est beau, particulièrement beau.
Image :
Tout comme pour 36 Fillette, que nous chroniquions il y a quelques jours, la restauration de A Ma Soeur ! est une véritable bénédiction.
Le master proposé par Le Chat Qui Fume est exemplaire dans sa manière de restituer l’oeuvre au plus près du matériel d’origine, n’essayant jamais de surexploiter l’image que cela soit en terme de piqué ou de colorimétrie.
C’est d’une enivrante justesse naturaliste.
L’image a été nettoyée, le cadre stabilisé.
Son :
La piste Dts-HD MA 2.0 VF est de très bonne facture.
A l’exception d’une ou deux scènes où la voix est un peu lointaine, le reste de la proposition est simple mais équilibré.
Aucune saturation, ni problème particulier.

Suppléments :
Particulièrement heureux de trouver à nouveau un livret dans cette édition Blu-Ray avec un texte de Murielle Joudet, revenant sur une grande partie du film allant du casting au plateau en passant par l’analyse de la proposition.
• A ma soeur par Catherine Breillat (30 mn) :
Nous avons regardé le supplément après lecture du livret, et de nombreux éléments sont revenus, reste que l’entretien est particulièrement saisissant.
Ecouter Breillat, c’est toujours une leçon de cinéma, si n’est même une leçon de vie, et loin de tout académisme, c’est libre, presque punk.
Foncez !
• Livret de Murielle Joudet
• Film annonce
Pour découvrir A Ma Soeur ! :
https://lechatquifume.myshopify.com/products/a-ma-soeur?srsltid=AfmBOoonLw6Rv9h1QDWdxRBuW6pEm7IQpJG59mdwI0SR0pcxYT42k0qN


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