« Silence » réalisé par Eduardo Casanova : Critique

Dans les ténèbres de l’histoire, un secret bat comme un pouls. Un groupe de sœurs vampires survit à la pénurie de « sang humain pur » due à la peste noire, mais le véritable poison est le silence qui les entoure.

Réalisateur : Eduardo Casanova
Acteurs :  Lucía Díez, María León, Ana Polvorosa, Mariola Fuentes, Leticia Dolera, Carolina Rubio, Omar Ayuso
Genre : Horreur, Comédie, Drame
Pays : Espagne
Durée : 59 minutes
Date de sortie :
2025

La dernière fois qu’un Casanova rencontrait des vampires, c’était pour le miraculeux Histoire De Ma Mort réalisé par Albert Serra.
Ici, préparez-vous, il s’agit d’un geste contraire, un anti-Serra, ayant néanmoins l’envie commune de perturber, de figer son auditoire.
Les vampires et les humains, drôle de d’interdépendance, dont l’un use pour pour se nourrir et l’autre pour développer son système autoritaire par la peur.
Bref, je me perds, revenons à la nuit, aux créatures dentées et au silence.

Silence, s’il y a bien un terme qui, à première vue, va à l’encontre du cinéma de Eduardo Casanova, c’est bien celui-ci.
Silence, s’il y a bien un terme dérobé qui peut épouser le cinéma d’Eduardo Casanova, c’est aussi celui-là, le silence qui rend prisonnier les êtres que cela soit de leurs parents, de la société ou bien même de leur propre personne.
Le cinéaste espagnol à l’imagerie tentant d’être aussi doucereuse que scandaleuse, la princesse sur son trône débordant et empêchée faute de chasse d’eau, aime croiser déliquescence d’un cinéma bis et réflexion sur le monde queer face à la société, au monde-politique.

Après Skins, La Pietà et Eat My Shit, Eduardo Casanova est donc de retour avec son cabaret horrifique queer, capsule rococo et papier glacé, en quête de déconstruction et réinvention des grands mythes fantastiques et spirituels de notre temps.
Le cinéma de Casanova est ce bonbon acide dont on pense connaître les contours et qui pourtant soulève toujours autant le palais, pour le meilleur comme pour le pire, de l’orgasme à la nausée, glaçage aux parfums de faux-raffinements sadiens recouvert de grands discours philosophiques orgueilleux.

Le cinéaste qui n’a toujours pas trouvé le chemin des salles obscures en France est malgré tout devenu un véritable petit frisson de festival, récompensé au Karlovy Vary et présenté à la Berlinale. Avec Silence, il assure sa présence à Locarno.
Ici il joue d’entrée de jeu sur la forme et les dénominations, présentant Silence comme une minisérie de 59 minutes, et étant selon les apparences, plutôt, un moyen-métrage en trois chapitres.
Définitivement le cinéaste espagnol se veut insaisissable quitte à friser le ridicule.

Ici, des vampires, la peste noire, des lesbiennes, le SIDA.
Une histoire cynique de fin des temps, de perpétuelles apocalypses, de vampires mourants et d’humains gangrenés. Il questionne le sort des créatures de la nuit, une fois que le sang des humains sera contaminé, à travers plusieurs générations d’une famille de vampires.

Pour renforcer la voie sans issue de ces monstres en fin d’ère, Casanova remodèle certaines caractéristiques des descendants de Vlad Tepes, adoratrices de Satan dans le cas présent, et surtout, pousse à faire tomber certaines certitudes-geôles, tel que les périlleux rayons de soleil.
C’est convenu, certes, mais particulièrement bien amené, le tout, en se dirigeant vers le caractère dépendant des vampires envers les humains. Une relation poreuse tendant à faire des vampires, des humanistes, et des humains, des créatures menaçantes.

Le silence se joue, s’orchestre.
Il est l’occultisme, l’ombre, la discrétion des vampires par crainte, les poussant progressivement à l’extinction.
Une situation dangereuse qui trouve échos, facilement mais efficacement, durant les 90s, avec la nécessité de ne pas céder aux malversations médiatiques menant aux mutismes autour de la maladie, qui, elle, gronde, grandit, tord et maudit les corps. Une histoire du temps et des mensonges devenus citadelles s’élève.

Afin de dépasser l’oubli, l’impasse et le douloureux trépas, Casanova décide de lier les marginaux, ceux rejetés par l’ordre sociétal, à travers un voyage aussi douloureux que comique du XIVe siècle à nos jours, en passant par les 90s, faisant se réapproprier les espaces, les corps et les voix.
Entre humanismes et vampirismes, dogmes séculiers, interrogations sur les monstres et les légendes mortifères, le cinéaste marque sa filmographie de ce qui est très certainement sa plus stimulante œuvre intellectuelle.

Silence, oui le silence, celui qui garde le secret jusqu’à l’étouffer, Eduardo Casanova décide de le faire éclater, dévoiler son freak show jusqu’à pleinement l’intégrer au monde et établir une nouvelle palette mêlant les monstres du passé qui ne peuvent plus tenir dans une nuit qui tend à se raccourcir et une humanité en voie de disparition.
C’est suffisamment malin et rugueux, bien que convenu dans son discours, pour venir cracher sur la bête-société sans pour autant la faire vaciller.
Reste un parti pris esthétique certain, qui me laisse au bord de la route, comme souvent chez le cinéaste, dans un état nauséeux, comme après un trop-plein de sucreries, la bouche brûlante et la pensée cotonneuse.

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