« Sirât » réalisé par Oliver Laxe : Critique

Au cœur des montagnes du sud du Maroc, Luis, accompagné de son fils Estéban, recherche sa fille aînée qui a disparu. Ils rallient un groupe de ravers lancé à la recherche d’une énième fête dans les profondeurs du désert. Ils s’enfoncent dans l’immensité brûlante d’un miroir de sable qui les confronte à leurs propres limites.

Réalisateur : Oliver Laxe
Acteurs :  Sergi López, Bruno Núñez, Stefania Gadda, Joshua Liam Herderson, Tonin Janvier, Jade Oukid, Richard Bellamy
Genre : road-survival aventuresque
Pays : Espagne, France
Durée : 115 minutes
Date de sortie :
10 septembre 2025

1440 Battements par Décibels

Vous, qui devez entrer dans ce désert, abandonnez tout espoir.

Le sublime grésille, sublime est le son, sublime est cette termite qui ronge l’espace négatif du cadre. Sirât est ce sublime enfer cruel, et paradis entendu, dont chaque saturation est un battement de cœur. 

Sirât commence comme ça : des mains, en gros plan, installent en exergue des enceintes au milieu du désert. On observait, sans rien dire, Oliver Laxe nous prophétiser notre passage immédiat du paradis à l’enfer. La route en camion, à la radio : Kangding Ray entre en guerre.

En dépit du grand sourire de son cinéaste, c’est bien la malice de son hitchcockisme qui parle. L’introduction comme Évangile, persuasion, manipule son spectateur, comme Hitchcock manipule les attentes en haut des marches de Psychose.

Ce film, Sirât, vous l’avez peut-être déjà vu. Mais il est très différent.
Mad Max ? — Non.
Le Salaire de la peur ? — Non.

Il s’agira bien d’un goût de cerise, qui régurgite de notre gorge serrée — celui du Téhéran de Kiarostami, dont la mort ne signera pas la fin du cinéma, mais le début d’un nouveau, plus dynamique encore. Et comme lui le désert filmé n’est pas simple antagoniste de survival, mais élément « x » : lieu de refuge et cimetière. Sirât ne le quitte jamais, jusqu’à la fin, il ne s’arrête pas de danser.

De la musique avant toute chose, mais Laxe préfère l’austère, plus vague et plus soluble dans l’air. Entre 24 décibels et 24 images, Sirât entreprend de changer de disque. D’une détonation soudaine, son “road trip” se transforme en lyrisme, puis, son “lyrisme” se transforme en survival.

Le voyage de Dante à l’envers : du paradis à l’enfer.

Et dans leurs corps, un diable habite les acteurs, Sergi López au centre d’un groupe de danseurs. Mais on n’est pas dans Pacifiction, où Benoît Magimel, au milieu de petites gens de Tahiti, brillait de mille feux de son costume trop petit.

Ici, López fond : il doit apprendre à mieux disparaître, et donc à souffrir. Oliver Laxe, de sa Flaherty, à nous offrir tant d’aimables inconnus estropiés : voilà la brillance de Sirât sur le point matériel, de ces corps filmés.

La caméra assassine, l’esprit cruel et le rire impur : Sirât a tout du meilleur film de cette année, maniant images et musiques. Rien dans Sirât n’est illustratif : tout est enfermement. La carotte scénaristique. Ce n’est pas l’histoire contée qui oppresse, mais bien la forme d’un enfer cinématographique moite, qu’on s’amuserait à comparer à Wake in Fright de Ted Kotcheff, qui survit dans un désert de chaleur retransmise, sa marche solitaire nous invitant à le suivre.

C’est un nihilisme actif qui opère. Il ne s’agit pas du fatalisme dépressif d’un von Trier. Mais bien d’un nihilisme de transition, une destruction des idoles bibliques qui donnaient un sens figé à la Terre : un cinéma confortable. Sirât est un chemin : à la fin du voyage, une renaissance, un nouveau spectateur changé à tout jamais.

Il n’y a eu que Délivrance pour accomplir cela avant lui. Et Sirât l’a fait. Après avoir été habité par un hôte des plus inquiétants, les valeurs sont réévaluées. 

Après tout, Al-Sirât, dans l’islam, est le pont au-dessus des flammes ardentes de l’enfer. Et de l’autre côté, comme le cinéaste, comme le spectateur, une voix s’élève en sanglots — la même que la spectatrice à côté de moi dans la salle, serrant sa bouteille d’eau :

« Seigneur… Seigneur… Protège-les… »

Laisser un commentaire

Ici, Kino Wombat

Un espace de recherche, d’exploration, d’expérimentation, du cinéma sous toutes ses formes.
Une recherche d’oeuvres oubliées, de rétines perdues et de visions nouvelles se joue.
Voyages singuliers, parfois intimes, d’autres fois outranciers, souvent vibratoires et hypnotiques.
De Terrence Malick à Lucio Fulci et Wang Bing, en passant par Jacques Rivette, Tobe Hooper, Nuri Bilge Ceylan, Agnès Varda, Lav Diaz ou encore Tsai Ming-Liang, laissez-vous porter par de nouveaux horizons, la rétine éberluée.

Let’s connect