« Aucun Autre Choix » réalisé par Park Chan-wook : Critique

Man-su, spécialiste de la fabrication du papier avec vingt-cinq ans d’expérience, est si comblé par la vie qu’il peut sincèrement se dire : « J’ai tout ce qu’il faut. » Alors qu’il passe ses journées heureuses auprès de sa femme Miri, de leurs deux enfants et de leurs deux chiens, Man-su apprend soudain de son entreprise qu’il est licencié. « Nous sommes désolés. Nous n’avons pas d’autre choix. » Comme si sa tête venait d’être tranchée d’un coup de hache, Man-su jure de retrouver un emploi dans les trois mois, pour le bien de sa famille. Il se retrouve menacé de perdre la maison qu’il s’était donné tant de mal à acquérir. Man-su sait qu’il est plus qualifié que quiconque pour travailler chez Moon Paper, et il en vient à une certaine décision : « S’il n’y a pas de poste pour moi, alors je n’ai qu’à m’en créer un. »

Réalisateur : Park Chan-wook
Acteurs :  Lee Byung-hun, Son Ye-jin, Park Hee-soon, Lee Sung-min, Yeom Hye-ran, Cha Seung-won
Genre : Comédie Noire et Sociale
Pays : Corée du Sud
Durée :  139 minutes
Date de sortie :
11 février 2026

Porté Disparu

À la recherche du réalisateur d’Old Boy : il a disparu. Depuis 2021, un imposteur a pris sa place… Le jeune Park Chan-wook a disparu. Il a été remplacé par un imposteur du même nom, plus mature. Il a disparu de son laboratoire : on le voit à l’abandon des ornements et de ses arabesques qui excitaient la jeune cinéphilie, parmi lesquelles le geste inaugural de sa carrière : sa trilogie de la vengeance. Il fut alors, au mieux, un maître de l’effet maniéré, comme on le dit d’Argento, au pire, un agitateur pittoresque, décorant des divertissements sans âme.

Depuis, Park entretient l’illusion d’une continuité avec Old Boy : l’imposture est presque parfaite… Or, Decision to Leave était autrement. Sa réussite tient à la maîtrise de son art : au mélange du baroque et d’un grotesque dionysiaque, au classique champ-contrechamp dans la salle d’interrogatoire (devenu source de maniérisme, avec une télévision comme cadre dans le cadre), à la gestion du mouvement, des courbes, des formes, des émotions ; à sa non-linéarité.

Quand Hauser pensait le maniérisme comme une science expérimentale anti-naturelle en écho dans l’art occidental, Park Chan-wook début de carrière, reproduisait ce schéma. Fort de ses expériences dans le film noir, il se tourne vers une intention nouvelle, et donne vie à son homoncule : il renonce à son intention de départ — refaire Hitchcock comme un simple imitateur — et parvient à transformer son idéal — refaire Hitchcock comme un véritable continuateur. Un plan n’est plus rien en lui-même ; il s’agrège en fragments mélodiques, dans un montage tendu vers un cinéma musical.

Aubaine : Park, plasticien des formes, s’empare du matériau pour rendre hommage à Costa-Gavras. En reprenant précisément ce titre en remake, Le Couperet révélait ses limites. Film politique oubliant parfois de filmer politiquement, le sujet de thèse l’emportant sur le sujet cinéma. Le plan comme simple objet de témoignage télévisuel, la platitude filmique. Park Chan-wook, inventeur, part du roman et se concentre sur ce qui fait la fougue de Costa-Gavras : celle de Z et de l’horreur de L’Aveu ; celui-là même à qui l’on rend hommage, tel Decision to Leave dialoguait avec Vertigo.

Mais ne vous y trompez pas. Park Chan-wook revendique, au sens de Lyotard, le « figural » : l’intensification. La scène du briquet à l’opéra, l’éclairage du visage féminin et le miroitement des flammes révèlent la supercherie : ce n’est pas seulement Costa-Gavras qui est invoqué, mais également le Hitchcock de L’Inconnu du Nord-Express, dont la scène du briquet est reprise et transformée, du meurtre à l’amour, de la mort de la fille, au rapprochement de la femme vers la caméra. C’est le Hitchcock du plaisir direct : « le même plaisir qu’ils ont quand ils se réveillent d’un cauchemar ».

Plaisir largement fourni par Aucun autre choix, joignant fond politique et forme pensive : il pense sa condition aliénante, celle qui conduit Lee Byung-hun, comme elle a conduit José Garcia ou Robert Walker, à l’acte.

Aucun Autre Choix de Park Chan-wook (2026) / L’inconnu du Nord Express d’Alfred Hitchcock (1951)

Lee Byung-hun n’est plus la figure Squid Game/Netflix qu’il incarnait : c’est l’aliéné en puissance ; cadre qu’il fut, il n’existe plus hors de sa fonction : un petit bourgeois déclassé, un clown, en somme… Et cette intro, qui est par ailleurs d’une horripilante niaiserie, garnie de rires forcés et de rêves à l’américaine sous les cerisiers roses, en témoigne : centrée autour des plantes de l’enclos familial. Rien n’est plus essentiel pour un acteur de sa trempe que la maison, celle-là même qui sera salie durant le film, ce qui rachète d’ailleurs le manque de finesse du début.

Les mises à mort s’étirent : la durée et la créativité de Park Chan-wook transforment l’exécution sommaire en supplice tortueux, où l’humour et l’acte se contaminent — témoignage d’une force de travail de son protagoniste. Le grotesque hégélien, l’idée spirituelle qui, incapable d’exprimer sa vue du monde, devient bizarre, monstrueuse, comique ; l’exagération se lit dans le gros plan en courte focale, le geste des acteurs, le mouvement de l’homme du bal et le point de vue téléphone. Ce faisant, Park demeure fidèle à l’engagement de Westlake, tout en restant lui-même, à sa maniera, parfois à notre désarroi.

Le classicisme, assumé comme mesure pour mieux penser le monde, flirte avec le « cinéma du système » ; Park en joue lucidement pour en dynamiter les usages, ainsi il se sépare de son maniérisme d’antan, car il rejoint ce que le maniérisme déteste : la nature (ici le social). Sontag prônerait ce plaisir émotionnel ; elle aurait cependant de sérieux griefs — comme on peut en avoir ici — contre l’humour, qui ajoute une inutilité potache là où le cocasse macabre et caustique de Z ou de Section spéciale réussissait par l’éthique, au prix de gags enfantins et d’une allégorie de la « dent cariée » trop soulignée, qui affadit la tension — résidus de l’ancien Park qui se dissolvent mal dans l’océan de bonnes idées.

Il ne s’agit pas d’orner Le Couperet inutilement par amour de l’esthétique. Il s’agit, comme chez Welles, que le « style » soit supplétif au classicisme, au romantisme et à la politique du Couperet : l’ascension d’un Ulysse, un homme tombé du cratère social sud-coréen ; une odyssée de reconquête, sans héroïsme. Effets de monumentalité, incrustations, proximités et mouvement de l’acteur : tout tend à cadrer l’individualisme et l’impasse amoureuse.

Ainsi, la fille au violon muet devra faire entendre son jeu, contrepoint fragile à l’automatisation de l’industrie du papier. Un néo-impressionnisme se lit dans les cadres et le guidage du regard. Ces indices convergent. Au final, le verdict est clair : Park Chan-wook a kidnappé l’ancien Park Chan-wook. Mais… Circonstances atténuantes : nous abandonnons les charges, car il n’avait aucun autre choix.

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