« Invention » réalisé par Courtney Stephens & Callie Hernandez : Critique

Après la mort inattendue de son père conspirationniste, sa fille reçoit comme héritage le brevet d’une étrange machine médicale de guérison. C’est à travers la découverte de cette invention et de la rencontre avec celles et ceux qui connaissaient son père qu’elle va peu à peu faire son deuil.

Réalisatrices : Courtney Stephens & Callie Hernandez
Acteurs :  Callie Hernandez, Sahm McGlynn, James N. Kienitz Wilkins, Paul Kleiman
Genre : Drame
Pays : Etats-Unis
Durée : 72 minutes
Date de sortie :
1 octobre 2025

Depuis l’ère Trump, l’attaque du capitole et l’épisode Covid, les regards se sont de plus en plus portés sur nos petits écrans, ceux qui jonchent nos poches, nos esprits, dans l’attente d’une grande nouvelle ou d’un nouveau désastre, ceux qui poussent nos corps à se courber, sur nous-mêmes, nos doigts à se distordre, sur des applis mercantiles et mensongères. 

La dystopie, c’est maintenant.

Sur ces appareils qui répondent à nos moindres interrogations, anticipent des besoins artificiels susurrés et simulent une vie sociale, il y a une mort, celle de la capacité à penser par soi-même.
En entrant dans cette projection celle de l’impasse d’une politique étatique qui nourrit uniquement des développements économiques, oubliant ses citoyens, les renvoyant au rang de mécaniques interchangeables, il y a la naissance de l’envie de remettre en cause la classe dirigeante, comprendre où vont les efforts du peuple, et, à qui profitent-ils ?

Dans cette brèche dangereuse, désillusion d’une réalité artificielle, préférant l’imaginaire d’un horizon du contrepouvoir, de l’alternative envers et contre tout, Invention pose le doigt sur un fléau, ici dans une bourgade américaine désargentée, mais qui ricoche aujourd’hui à travers le monde et les réseaux : le complotisme. 

Où sommes-nous ? Qui sommes-nous ? Pourquoi ? 

Il y a dans dans cette voie sans issue, notre société, érigeant mépris pour son bas peuple, tiers-état, mais aussi dans le cas présent tiers-espace, un devoir de désobéissance qui pousse à la remise en question, la volonté de faire éclater la vérité, face à l’injustice d’un monde cannibale, industriellement, et de manière collatérale, humainement parlant.

Stephens et Hernandez saisissent alors un curieux spectre avec leur premier long-métrage commun, cernent une tranche rurale, communautaire, des Etats-Unis, sans jamais tenter de l’expliquer, sans jamais vouloir en montrer toute sa diversité à la manière d’un cinéma-catalogue, comme l’ont récemment maladroitement experiementés Ari Aster, avec Eddington, et Sean Price Williams, avec The Sweet East.
Le geste en présence est bien plus malin, il fait ressentir, n’entre jamais dans la divagation politique ou le burlesque-farce.

Les cinéastes construisent un cinéma contemplatif et réaliste.
L’effet organique et argentique de l’image, sa forme anti-spectaculaire, modèle un écrin qui renvoie à des formes documentaires. 
L’épure fictionnelle, quant à elle, part à la rencontre des oubliés, des marginaux et désillusionnés. Une expérience-gouffre dans laquelle se trouve une certaine population états-unienne vient à se structurer. 

Ici, il y a la grande figure du glitch pour pénétrer un monde et ses représentations, celle de Lewis Caroll et sa Alice, glissement dans un couloir dimensionnel parallèle, loin de médias aveugles et dirigés.
C’est le récit de l’héroïne d’Invention, jeune femme venant récupérer son héritage suite au décès d’un lointain paternel, inventeur, et adoré du voisinage pour ses essais technologiques et vibratoires.
Dans une pièce, à l’étage, derrière une porte  fermée à double tour, une machine est préservée, faite de fioles et capturant l’invisible pour soigner le corps, libérer l’âme. 

C’est dans ses recherches, sur la création, et son père, que la jeune femme va rencontrer une pluralité d’individus poursuivant tous un idéal, en bordure du songe sociétal, en résonance avec le lointain rêve américain : la liberté. 

Dans son déroulé, la narration dévoile la voie par laquelle l’individu piégé dans sa situation, humaine, sentimentale, politique, spirituelle ou encore économique, s’abandonne à certaines opinions intimes, fantasmes du réel, et trouve dans l’alternative idéologique, la possibilité d’une vérité, une piste vers une paix d’un temps. 
Une paix roublarde qui ne cesse de se dérober, doigt dans l’engrenage du doute, et finalement des complotismes. 

Un coup dans le rétroviseur qui délivre un entêtant vertige dans sa conclusion.
Toutes les discussions et rencontres virent à la division cellulaire, scissions irréversibles creusées par des croyances-terriers, souterrains réconfortants, narcisses modernes où les projections rêvées deviennent réalité qui ostracisent, donnent motif à la marginalité.

C’est en mêlant une cartographie états-uniennes, ses espaces reculés et sa population hallucinée, en répondant au premier amendement, que Invention tisse  sa toile et prend de court le spectateur. 

Du rejet des complotismes à la création de sa propre quête prométhéenne aliénante, Invention est une expérience, celle où l’on comprend les mécaniques qui poussent à l’alternative, celle d’un tour d’illusionnistes par Stephens et Hernandez. 
Une proposition qui capture l’environnement, les sentiments, les ressentiments, leurs échos et vibrations jusqu’à inviter l’individu à l’expérience nouvelle, la faille, celle d’une possible autre vérité. 
Entêtant et vénéneux. 

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