The Zone Of Interest : Critique

Réalisateur : Jonathan Glazer
Acteurs : Sandra Hüller, Christian Friedel
Genre : Drame Expérimental Historique
Durée : 106 minutes
Pays : USA, Royaume-Uni, Pologne
FESTIVAL DE CANNES 2023

Synopsis : Le commandant d’Auschwitz, Rudolf Höss, et sa femme Hedwig s’efforcent de construire une vie de rêve pour leur famille dans une maison avec jardin à côté du camp.

Il y a dix ans de cela, je séchais une après-midi de Sciences Politiques, à Nice, pour me rendre à une séance du festival Télérama, pour Under The Skin, film mystérieux dont l’affiche m’attirait, m’obsédait.
Je découvrais à la fois un cinéma expérimental, exigeant et sensoriel. Un véritable choc, j’étais alors prêt à me donner tout entier au cinéma de Jonathan Glazer, seul problème, il n’avait alors réalisé qu’un seul autre film, l’énigmatique Birth.
Quelle fut ma joie en découvrant l’annonce du retour de Jonathan Glazer, et ce, de plus, au Festival De Cannes, à moins d’une heure de mon domicile.
Après un duel avec la billetterie en ligne, et mon sésame en poche, le moment tant attendu est face à moi et se nomme : The Zone Of Interest.

Pique-nique en bord de rivière, promenade en forêt, le soleil est éblouissant, la nature pleine de vie, une famille s’épanouit au grand air.
Séquence suivante, route de campagne, deux véhicules conduisent en direction d’une maison charmante, lieu de résidence familial.
Un espace de rêve pour élever des enfants, loin du chahut de la ville et de son rythme effréné.
Cependant, la caméra réaxe son cadrage, réévalue l’espace, et révèle des barbelés, puis l’ouïe s’affine. Des aboiements, des coups de feu, des hurlements éparses résonnent.
Mur extérieur, le directeur commandant Höss vit avec sa famille dans ce coquet pavillon avec jardin, piscine et serre adossé à la muraille de béton qui délimite le cauchemar connu sous le nom de : Auschwitz.
L’environnement est posé, l’enfer glaçant de Jonathan Glazer débute.

En travaillant une science de l’organisation, de la planification, allant de la cuisine au jardinage en passant par les jeux d’enfants mais aussi la répartition pour le personnel des vêtements saisis, nous prenons le temps de s’approprier le rythme rigoureux des journées, la nouvelle grammaire poétique et expérimentale proposée par le cinéaste.
Loin de l’abstrait Under The Skin, The Zone of Interest s’ancre définitivement dans les rituels quotidiens, dans un réel brut, et observe cette cellule familiale nourrie par la mort, et qui, dans son « aveuglement », ingénieusement mis en scène avec les hors-champ, finit par évoluer dans la putréfaction, finit par être hanté par le mal que l’enceinte du camp ne peut contenir, rejette, porté par la terre, guidé par les cours d’eau.
Les ossements jonchent les berges, les cheminées illuminent les fenêtres de la bâtisse, teintes rouges, projection du sang des déportés.

Jonathan Glazer en une décennie a de nouveau fait évoluer sa patte visuelle. Face à cette terreur, celle des Hommes indifférents, celle d’un foyer bâti sur un ossuaire, sa caméra s’immobilise, se fige, ne montre aucune image des horreurs perpétrées derrière le mur. Le moindre plan est d’une picturalité tout autant sublime que terrifiante, où le réalisateur use du hors-champ avec un génie fascinant, nous troublant avec ses images harmonieuses et nous faisant redouter ce que l’on ne peut voir.
Glazer nous laisse le temps d’explorer le cadre, de chercher l’horreur qui s’y glisse, et ses échos en miroir, pour mieux témoigner du vide émotionnelle de cette maisonnée qui ne veut pas voir au-delà du mur, de cette maisonnée qui sait mais se complaît à travers les honneurs, de cette maisonnée qui devient le modèle d’une idéologie meurtrière, crasse, abjecte.

De la même manière que le cinéaste observe les discussions protocolaires et architecturales des hauts dignitaires, il dirige sa proposition avec un méthodisme inhumain, parfaitement maîtrisé, faisant surgir l’expérimental, l’abstrait, à de rares moments pour travailler en souterrain les champs invisibles de la liberté, les failles indicibles d’un système du tout contrôle.
Nous restons toujours observateurs, œil qui révulse, sans jamais développer le moindre lien avec les personnages en présence. Un regard impuissant est permis, cage dans laquelle on peut uniquement se liquéfier, dévier le regard, pour se protéger et entrer dans cette tragique place du témoin silencieux.
Nous sommes les témoins des aliénations humaines, des déviants. Nous sommes les témoins d’un monde qui nous guette encore aujourd’hui. Nous sommes les témoins d’un monde ritualisé, d’un monde normé jusqu’à la mort, et pourtant nous regardons sans un mot, cette machine à tuer, ce rouage infernal datant d’il y a seulement huit décennies..

Face au pourquoi traditionnel que le cinéma brandit et rebondissant régulièrement sur une anéantissante formule « Parce que c’était les ordres », le réalisateur opte pour l’observation du désintéressement de l’humain face à l’horreur comme technique de protection émotionnelle. Il croise de la sorte des images modernes, des techniciens de surfaces du musée d’Auschwitz, frottant chaque jour les vitres, et ne montrant aucun signe d’atteinte, une nécessité pour ne pas sombrer dans les ténèbres. La tâche se doit alors de prendre le dessus sur l’environnement.
De la même sorte, la vie de famille se déroule pour le mieux, les habitants ne voient pas le mal s’immiscer dans leurs gestes, dans leurs espaces, car le mal selon eux est un bien.

Jonathan Glazer, avec ce retour que l’on n’attendait plus, signe un redoutable acte de cinéma sur l’humain et sa capacité à dissocier son monde avec un simple mur, d’une part l’industrie génocidaire de l’autre la vie de famille, le point d’intérêt, le point d’influence, point d’interprétation de l’environnement, ne se joue qu’à une simple limite, une simple délimitation, où le regard et l’âme se transforment de façon monstrueuse.
Dans sa maîtrise prodigieuse de la captation des espaces, du travail minutieux du hors-champ, The Zone Of Interest est un travail incontournable tant pour le cinéma que pour saisir le point de non-retour, celui où l’homme ne dissociera plus le bien du mal, jusqu’à un jour s’effondrer, vomissant toute cette horreur, le corps pourrissant et l’âme aliénée.
Les coulisses d’un pacte avec le diable.

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