Archipel : Critique / Fragments Du Monde Et Trésors Cachés

Réalisateur : Félix Dufour-Laperrière
Genre : Animation, Expérimental
Durée : 72 minutes
Pays : Canada
Date de sortie : 7 décembre 2022

Synopsis : Un territoire physique, imaginaire, langagier, politique. Un pays réel ou rêvé ou quelque chose entre les deux. Un portrait au dessin libre et à la langue précise, qui dit et rêve. Un lieu et ses habitants pour dire et rêver un peu du monde et de l’époque.

Dans l’obscurité, une silhouette, celle d’une femme, d’où la lumière jaillit. A l’intérieur de ses contours, des paysages côtiers se dévoilent. Deux voix, celle de la femme, celle d’un homme, se fraient un chemin, éclairent nos esprits.
Le couperet tombe, de la bouche de l’homme, les mots rebondissent, blessent, emprisonnent : « Tu n’existes pas ».
L’union de l’image et des voix se disloque, un face à face, une opposition naît. De la silhouette d’où naissaient les paysages, une histoire se met en place celle d’un territoire, des âmes qui y ont vécu. Un voyage à la recherche de la place de l’individu, de son existence à travers les siècles et les générations débute.
L’homme, prétentieux Adam, cherche continuellement à insister sur le caractère insignifiant de l’individu ordinaire, de celui qui survit dans la communauté, la femme, elle, Ève en quête de sa raison, se fait prisonnière de ce question-réponse, reprenant les mots pour les contrer, résistante, définissant sa place jusqu’à finalement s’émanciper de ce joug et dessiner à la fois son histoire mais aussi celle de tout un peuple, un collectif, un pays, où tout un chacun est un maillon indispensable.

Le réalisateur, Félix Dufour-Laperrière, s’appuie sur la formule d’Alain Resnais avec Hiroshima Mon Amour, son confessionnal révélateur, cet échange-aveux, pour tracer les lignes qui font les individus, leurs récits, plus largement, leurs généalogies et la construction de la société toute entière. En remontant le Labrador, le cinéaste engage un geste ethnographique fort en construisant des personnages mondes, prend le temps de reconstruire les identités en juxtaposant passé et présent pour à la fois comprendre les configurations modernes mais aussi les flots futurs.

Glissant d’un tableau à un autre, d’une plastique à une autre, la proposition réussit à trouver constamment l’expression artistique adéquate pour dépasser le langage, le mouvement, le tangible.
En ouvrant une antichambre philosophique, faisant accéder aux dimensions invisibles, véritable quête du côté de Kino Wombat, qui ici, touche une grâce dans sa manière d’utiliser le regard, les formes, les cadres et les mouvements.
Une science de l’articulation des idées par un montage kaléidoscopique, un prodige d’expérimentations, se joue. Les motifs d’un tableau répondent et viennent compléter la composition de l’autre, le réalisateur invite à ce labyrinthe puzzle saisissant, où les premières séquences laissent extatique, troublé, pour pièce après pièce dévoiler une fresque humaine immense.
La pénétration du regard par l’image est totale, propulsant dans des hypnoses redoutables, entre créations et images d’archives, construisant toute une société et ses rouages face à nous, du travail de la Terre aux paysages contemporains, des strates de populations, leurs conditions de vie, aux héritages culturels, du corps à la mémoire, du geste jusqu’à l’œuvre.

Dans ces ailleurs hallucinés, nous perdons parfois le fil à travers une déclamation poétique à la plume chatoyante, bien que s’embourbant souvent dans des répétitions, là où la puissance abstraite de l’image se suffit amplement.
Face à l’inquiétude d’un soucis de lisibilité, d’une œuvre trop abstraite, FDL accompagne notre lecture, inonde les voyages réflexifs par cette volonté continue de narrer, quitte à pousser inconsciemment le spectateur à faire abstraction du guide.
Face à ce dialogue enivrant mais assourdissant, le sentiment d’empêcher la liberté de regard, d’éviter une interprétation trop libre par nos esprits vient à certains temps, saboter, oppresser nos ailleurs rêvés, nos propres songes et appuyer avec pesanteur ce rapport homme/femme qui semble gouverner le monde, là où l’abstraction aurait pu nous glisser les secrets d’un monde que nous avons oublier d’écouter.

Archipel est un poème d’une amplitude phénoménale, parfois trop balisé pour rassasier pleinement la réflexion, dépassé par ses déclamations poétiques et narratives, auscultant la mémoire des territoires, leurs métamorphoses, questionnant notre héritage, les générations passées qui résonnent de façon sourde et invisible dans nos corps, et définissant le monde par l’observation de l’individu comme îlot complexe, riche et essentiel pour la lecture de notre environnement, qu’il soit géographique, politique, social, et les enjeux futurs qui se dessinent dans la moindre de nos pensées, dans le moindre de nos gestes. Envoûtant.

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Un espace de recherche, d’exploration, d’expérimentation, du cinéma sous toutes ses formes.
Une recherche d’oeuvres oubliées, de rétines perdues et de visions nouvelles se joue.
Voyages singuliers, parfois intimes, d’autres fois outranciers, souvent vibratoires et hypnotiques.
De Terrence Malick à Lucio Fulci et Wang Bing, en passant par Jacques Rivette, Tobe Hooper, Nuri Bilge Ceylan, Agnès Varda, Lav Diaz ou encore Tsai Ming-Liang, laissez-vous porter par de nouveaux horizons, la rétine éberluée.

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