Circus Maximus : Critique / Dieu, Platon, Ctulhu, le voyage intérieur égocentrique de Travis Scott

Synopsis : Alors que Travis Scott emmène son public dans une odyssée visuelle époustouflante à travers le monde, tissée par les sons de cliquetis des haut-parleurs de son prochain album très attendu « UTOPIA », préparez-vous à entrer dans le film « CIRCUS MAXIMUS », un voyage surréaliste et psychédélique, réunissant un collectif de cinéastes visionnaires du monde entier dans une exploration kaléidoscopique de l’expérience humaine et de la puissance des paysages sonores.

Réalisateur : Gaspar Noé, Harmony Korine, Nicolas Winding Refn, Valdimir Joahnsson, Travis Scott, Canada, Kahlil Joseph, Andrew Dosunmu
Acteur : Travis Scott
Genre : Expérimental
Durée : 75 minutes
Date de sortie : 15 août 2023

Qu’il s’agisse de Gaspar Noé, Harmony Korine ou encore Nicolas Winding Refn, il est vrai que chaque image captée par ces réalisateurs-chaos est souvent synonyme d’événements.
Les trois compères ont une grammaire visuelle qui n’appartient qu’à eux, et qui, bien que décriés durant des années, ont su à travers plus de deux décennies affirmer une nouvelle esthétique, embraser les discussions cinéphiles pour finalement se révéler incontournables.
Alors lorsque l’on a appris que le dernier album de Travis Scott, compagnon Kardashian, rappeur à l’égo surdimensionné, pour lequel notre intérêt reste mineur, allait donner naissance à un film-concept alliant le gratin des réalisateurs scandales, chez Kino Wombat, nous fîmes saisi d’un frisson pour le moins jouissif.

Circus Maximus, référence aux arènes où se conclue le film et où Travis Scott a reporté son live annulé aux pyramides de Gizeh, tel est le nom du projet fou.
Un projet qui ne rassemble d’ailleurs pas seulement ces trois noms piliers, ouvertures sur les mondes alternatifs, car nous retrouvons un certain Valdimir Johansson qui nous avait troublé avec Lamb, œuvre où une jeune femme élève son nourrisson hybride entre humain et chèvre, ainsi qu’un plus confidentiel Kahlil Joseph dont la carrière s’étire entre courts-métrages et clips pour Beyonce, Kendrick Lamar ou encore Flying Lotus, ainsi que d’autres cinéastes aux rétines hallucinées.

Débutant sur les côtes désertiques islandaises, foulant les plages de sable noir, nous suivons la quête d’un Travis Scott à la recherche des chimères de légende, en quête de puissance, s’alimentant d’énergies enfouies depuis des millénaires, à la rencontre d’un cousin éloigné de Cthulhu.
Dès ce segment mis en scène par Valdimir Johansson, l’introduction de Circus Maximus donne le ton.
Vous avez intérêt à sacrément aimer le rappeur car le niveau d’égocentrisme en présence est d’une strate assez stupéfiante, si ce n’est même un cas d’école.
Tantôt en harmonie avec des forces célestes oubliées, tantôt en entretien avec Dieu, tantôt en sauveur de l’humanité ou tout simplement en train de bâtir sa propre mythologie sur les ruines de l’ancien monde, le rappeur ne se donne aucune limite. Travis Scott est Prométhée, bientôt servi en pâtures aux volatiles, dont la mort est imminente. Une situation qu’il ne peut percevoir tant la lumière qu’il souhaite approcher lui brûle la rétine et flatte sa petite personne.
Ni bon acteur, ni artiste de génie, s’il n’avait pas eu l’idée d’inviter la dream team du cinéma contemporain, bien que déjà un peu sur la touche, nous aurions stoppé le massacre dès les dix premières minutes.

Circus Maximus est un vrai petit jeu de piste cinéphile où l’on cherche à distinguer qui est l’œil derrière chaque séquence, afin de tromper l’ennui. Certaines signatures sautent au visage comme la sortie nocturne en voiture plongée sous les néons pour Nicolas Winding Refn, ou encore la boîte de nuit jouant sur les couleurs et flashs stroboscopiques pour Gaspar Noé.
Cependant, il est parfois bien plus complexe d’analyser le savoir faire et la manière de capter, de construire l’image pour certains.

Bien que les mises en scène soient parfois hypnotiques et surprenantes, là où nous pouvions espérer de la part de Travis Scott d’avoir engager de tels créateurs pour laisser libre cour à leurs imaginaires, il n’y a finalement rien hormis des reprises de motifs de films passés restructurés avec des variations récentes du cinéma des réalisateurs concernés.
De ce fait, le segment Gaspar Noé n’est qu’une copie de Climax passé par la moulinette de la conclusion épileptique de Lux Aeterna, tout comme le segment Winding Refn qui n’est que motifs hérités de Drive couvert du glaçage de ses séries modernes.

Mais si seulement le problème s’arrêtait à ces simples séquences de reprises de motifs… car non, Travis Scott sous sa démesure et sa mégalomanie s’installe de 14h à minuit au cœur d’une arène antique, et pas n’importe laquelle, pour se donner à des gesticulations allant de la saisie de ses parties intimes à des pas de danses risibles, tout ceci dans cet immense espace où les fumées cachent la misère du tournage et où la nuit vient à inviter les copains, Rick Rubin ou encore James Blake, plongeant le tout dans des jeux de lumières insipides pour venir ratisser encore plus large au niveau du public.
Le tout pour plus de 45 minutes à observer le bougre, là où si il voulait se donner en spectacle il aurait mieux valu monter tout un dispositif avec un travail d’équipe entre cinéastes pour filmer une représentation live.
Un peu comme Martin Scorsese l’avait fait avec The Rolling Stones et le documentaire Shine A Light.

Circus Maximus est un exercice de nombrilisme pour Travis Scott qui aime à se rêver Dieu, messie de l’humanité, se mettant régulièrement en scène comme être de lumière et sauveur légitime de toute une civilisation.
On pense à la séquence de tour humaine dont il est la base permettant au peuple de s’évader du puits obscur dans lequel le monde entier réside.
Quelque part entre Platon, Prométhée et Ctulhu, Travis Scott impose sa suprématie par le chéquier et va à la rencontre des cinéastes qui ont retenu son attention, ou celle de ses assistants, pour recréer un art visuel expérimental existant et jouer de variations avec ces motifs qui ont été d’avant-garde et deviennent ici coquilles vides.
Le sommet du gag réside dans le générique où Travis Scott se crédite comme réalisateur et se place au-dessus des grands noms, artiste céleste au grand cœur. Navrant.

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Voyages singuliers, parfois intimes, d’autres fois outranciers, souvent vibratoires et hypnotiques.
De Terrence Malick à Lucio Fulci et Wang Bing, en passant par Jacques Rivette, Tobe Hooper, Nuri Bilge Ceylan, Agnès Varda, Lav Diaz ou encore Tsai Ming-Liang, laissez-vous porter par de nouveaux horizons, la rétine éberluée.

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