Tinnitus : Critique et Test DVD

Synopsis : Marina, 30 ans, est une ancienne plongeuse professionnelle qui souffre de bourdonnements dans les oreilles affectant son équilibre physique et mental.

Réalisateur : Gregorio Graziosi
Acteurs : Joana de Verona, Andre Guerreiro Lopes
Genre : Drame, Thriller Paranoïaque
Pays : Brésil
Durée : 105 minutes
Date de sortie : 5 juillet 2023 (salles) / 18 octobre 2023 (DVD)

Premier long métrage de Gregorio Graziosi, il s’agit d’une oeuvre tout droit sortie du programme cannois Cinéfondation. Une sélection de nouveaux cinéastes du monde entier financés et accompagnés pour écrire leurs scénarios et trouver des producteurs, Une mission soutenant des créateurs venant de pays où le soutien financier au cinéma est moindre voir inexistant.
Tout droit venu du Brésil qui avait vu ses financements cinématographiques coupés par le gouvernement Bolsonaro, Tinnitus est un étrange film à mi-chemin entre parcours sportif et thriller horrifique, un sentier de femme libre dépassant tout autant les regards que les limites de son propre corps, de la chair à l’esprit.

L’article autour de Tinnitus s’organisera en deux temps :

I) La critique de Tinnitus
II) Les caractéristiques techniques de l’édition DVD

I) La critique de Tinnitus

Marina, à l’orée de la trentaine, est plongeuse acrobatique professionnelle.
En pleine compétition, quelques secondes avant le saut en duo, elle est prise de terribles bourdonnements, fréquences, qui inondent son canal auditif. Sous ce nuage assourdissant, comme étouffé par un essaim de sauterelles, elle est saisie de vertiges, sa partenaire n’e l’entend ‘écoute pas son mal-être, la compétition avant tout.
Dans ce chaos interne plongeant dans la surdité partielle, la jeune femme se dirige vers le plongeoir, s’élance, sa perception faussée de l’environnement provoque un déséquilibre, dans cette plongée de 10 mètres, le moindre écart est fatal.
A l’arrivée, l’eau est devenue béton, Marina flotte, inconsciente, le visage recouvert de sang.
La compétition s’arrête. Elle devient spectre qui hante.
Marina part en quête de ses maux, de ses troubles, de l’audition au corps, du corps à l’esprit. Une entreprise de reconstruction démarre, alors qu’au loin se profilent les jeux olympiques de Tokyo.

Pour son premier long-métrage, Gregorio Graziosi fait preuve d’un cinéma dramatique à la frontière de l’abstraction, du lyrique, dans la lecture des maux du corps, dans l’appréhension des cris de l’esprit, tout en ancrant fermement le récit de sa proposition dans un réalisme abrupte.
Tout se joue dans cet espace entre pesanteur et apesanteur, entre la force du corps qui chute et la légèreté de ce dernier lorsqu’il est immergé. La balance de cet entre-deux est tout aussi délicat que traumatisant.
Cette atmosphère si déstabilisante est atteinte par un talent de mise en scène singulier, jouant véritablement de toutes le variables du cinématographe. Le réalisateur travaille l’expérience sonore tout comme visuelle, il invite à un dédale de détails, de mystères, d’impasses, d’impossibilités, de traverses, de chemins dérobés et de révélations.
L’expérience est totale. Plus l’attention est portée à cet espace entre dispositif sonore et soin du cadre, plus l’histoire se clarifie, plus les mots semblent secondaires. Le récit se met à léviter. Il atteint une pure sémantique cinématographique.

Dans cette fascinante aventure de cinéma à la déroutante maîtrise, le parcours de Marina se dessine et parvient à créer une réflexion toute autant inhérente au récit qu’évoluant en périphérie, toute autant intérieure qu’extérieure au personnage, déambulant dans la ville de ses sous-sols au toit de ses gratte-ciels.
A travers son personnage principal, Tinnitus devient un film sur l’écartèlement et l’assourdissant chaos résidant dans les moindres déchirures. Marina en cela n’est pas seulement un personnage de femme forte, comme il nous est donné à voir très régulièrement. Elle est une personne souhaitant exister par sa seule force, désirant échapper à sa théâtralisation, à sa mise en scène tant par les autres individus, homme comme femmes, que par son propre corps.
Elle est à la recherche d’une transcendance, à la quête d’une transfiguration, d’un dépassement chimérique, par-delà les champs du réel, dans les mondes extra-sensoriels, aux portes du vide, afin d’atteindre un niveau de pleine conscience tant spirituelle que physique, un contrôle total.
Néanmoins, à l’inverse des individus en pleine méditation au sommet des gratte-ciels de la ville, Marina redoute le temps qui passe, se bat contre son corps, ne prend jamais conscience de la limite, devenant incendiaire, danger pour son entourage et elle-même.
La performance Joana De Verona est tétanisante, son regard, sa gestuelle, ses expressions de visage transpercent la rétine et empêchent d’esquiver l’éprouvant théâtre qui se joue sous nos mirettes ébahies.

Tinnitus est un sommet de mise en scène, une réflexion virtuose sur le temps et le corps, la société et l’esprit, l’humain et ses rêves, où sur les bordures du possible, le dépassement devient assourdissant, annihilant.
Dans ce labyrinthe existentiel, à la forme spiralaire et aux airs de cochlée, le parcours infernal de Marina ne fait que rapprocher le personnage au coeur de ses propres peurs, démons, dans une ritournelle toujours plus bruyante jusqu’à ne plus rien entendre, jusqu’à toucher un silence douloureux. La perception de l’invisible par Gregorio Graziosi vient à rappeler, tout en jouant sa propre singularité, le récent chef d’oeuvre absolu de Apichatpong Weerasethakul : Memoria.
Impressionnant.

II) Les caractéristiques techniques de l’édition DVD

Image :

Tenez-vous bien car les premières minutes de Tinnitus sur DVD vont venir vous maltraiter.
Enchaînant générique flou et scène nocturne introductive sursaturée stratifiant les noirs de manière extrêmement dérangeante, le film trouve par la suite une certaine stabilité du fait des scènes de jour. Le tout est assez brouilon.
Tinnitus se retranche dans la frange en difficulté technique des sorties au format DVD.
Néanmois, les couleurs, elles, sont bien restituées mais le piqué ainsi que le niveau de détails, profondeurs, sont en difficulté.

Note : 3.5 sur 10.

Son :

Bienheureusement, la piste son VOSTF 5.1 n’est pas du même acabit que le master image et ses malencontreuses pérégrinations techniques.
Le master son en présence porte le film qui repose d’ailleurs grandement sur le paysage sonore voulu par le cinéaste. Nous sommes littéralement soufflés par la performance. Tout comme Sound Of Metal, qui traitait également de la problématique auditive, nous vivons une véritable expérience sensible, humaine et vertigineuse.
Un voyage si dense que notre animal de compagnie est resté figé tout le long du film, hypnotisé, intrigué par un tel dispositif. Dingue.

Note : 10 sur 10.

Suppléments :

Wayna Pitch qui n’est en général pas habitué aux suppléments, nous propose ici quelques contenus plutôt bien amenés :

  • Un livret : Une courte interview du réalisateur est proposée pour revenir sur la genèse du film, le programme Cinéfondation, et le récit du film.
  • Présentation par le réalisateur (2 min) : Une extrêmement courte mais concentrée note d’intention du cinéaste. N’hésitez pas à lancer ce supplément avant la projection, elle apporte quelques légers et appréciables reliefs.
  • Court-métrage à l’origine du film : Court-métrage expérimental qui reprend déjà les dispositifs sonores et visuels de Tinnitus, un canvas du film.

Note : 6 sur 10.

Avis général :

Pour son premier long-métrage, Gregorio Graziosi parvient à trouver une formule extraordinaire entre le fond et la forme, structurant des personnages forts, un récit labyrinthique et une science de l’architecture du cadre tant visuelle que sonore de façon remarquable, façonnant un étrange thriller sportif paranoïaque.
L’édition proposée par Wayna Pitch reste cependant un peu moins enthousiasmante, souffrant d’un master image qui n’est plus de son temps, le format DVD échouant à reproduire le travail de Graziosi, particulièrement dans la structuration de noirs, mais touchant une vraie grâce dans son dispositif 5.1.
Du côté des suppléments, il est appréciable de découvrir le court-métrage genèse et d’entendre tout comme de lire les mots du cinéaste .

Note : 5.5 sur 10.

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