« Le Deuxième Acte » réalisé par Quentin Dupieux : Critique

Synopsis : Florence veut présenter David, l’homme dont elle est follement amoureuse, à son père Guillaume. Cependant, David n’est pas attiré par Florence et souhaite s’en débarrasser en la jetant dans les bras de son ami Willy. Les quatre personnages se retrouvent dans un restaurant au milieu de nulle part.

Réalisateur : Quentin Dupieux
Acteurs : Léa Seydoux, Vincent Lindon, Raphaël Quenard, Louis Garrel
Genre : Comédie, Drame
Durée : 80 minutes
Pays : France
Date de sortie : 14 mai 2024

La carrière de Quentin Dupieux n’a cessé de surprendre ces dernières années.
D’un début de filmographie presque underground où les cinémas projetaient tout juste les aujourd’hui cultes Steak, Wrong, Rubber et Realité, jusqu’à la célébration récente de son cinéma, Quentin Dupieux avec son accession à tous les festivals internationaux majeurs allant de Cannes, avec Le Daim et Fumer Fait Tousser, à Venise, avec Daaaali, surprend toujours, fascine ardemment, déçoit parfois, et euphorise souvent.
L’ascension progressive, et actuellement fulgurante, du cinéaste mène les regards vers un nouveau sommet avec la présence de Le Deuxième Acte en ouverture du 77° Festival De Cannes.

En rase campagne, une galerie d’étranges individus se croisent, se rencontrent.
Deux copains, d’un côté, un père et sa fille, de l’autre.
Tous les quatre, venant de chemins opposés, se retrouvent au restaurant Le Deuxième Acte.
Un des garçons veut céder sa prétendante, l’autre se méfie de ce pont doré.
La fille veut présenter son petit ami à son père.
Le histoires s’entremêlent. Dans l’ombre du restaurant, le serveur observe, tremblant.

En rase campagne, un tournage est perturbé par une ribambelle d’acteurs cédant face à leurs questionnements existentiels.
La rencontre des acteurs et figurants, dans le restaurant Le Deuxième Acte, va pousser les interprètes vers un chaos tout aussi honnête qu’absurde.

En rase campagne, les deux faces d’un même espace-temps s’entrechoquent, entre fiction et vies privées où se situe le monde réel.

Quentin Dupieux, qui commençait à gentiment nous agacer ces derniers mois avec ses fêtes foraines abscons et verbeuses, réussit sa manœuvre et revient à l’esprit de son dernier grand film : Incroyable Mais Vrai.
L’humour côtoie la tragédie, le cinéaste écartèle, opère, met à mort et autopsie tout un monde, dans le cas présent il s’en prend directement à l’hypocrisie de l’industrie cinématographique face au naufrage humain mondial contemporain.
Il prolonge l’idée du coulisse de nos existences et déconstruit le réel à travers le plateau de tournage.
Le réalisateur pousse à la schizophrénie ses personnages entre leurs espaces de vies intimes et leurs métiers d’acteurs.

Face à la rétine, un ballet hypnotique se joue, tout en distorsions, en fausses pistes et arythmies.
La mise en scène et minutieuse, savamment orchestrée, de la capture du cadre jusqu’aux textes foudroyants.
Les caméras ne coupent jamais et il devient difficile de discerner tant les acteurs que leurs alter-egos. De Christian à Willy il n’y a qu’un pas.
Le ton est grinçant et ose aborder des sujets de société tous plus délicats et urgents les uns que les autres, de l’identité sexuelle aux gaps générationnels en passant par les écarts de classe et les idéologies politiques vaseuses. Le cinéaste pique avec acidité, ne tranche pas entièrement et garde ainsi la juste distance pour ne pas sombrer dans le scandale, ce que nous aurions pourtant trouvé réjouissant. Le Deuxième Acte est coquin, espiègle, mais jamais irrévérencieux
Dupieux soulève le tapis rouge et révèle la misère des tournages. Les bouts de ficelles, les contrechamps, figurants et techniciens prennent places et revendiquent leurs droits à exister. Où va le cinéma ? Qu’est-ce que créer à l’ère des IA ?


Il y a tout autant de désillusions que d’espoirs aveugles.
Des errances à la ténébreuse lumière où le casting se révèle être extrêmement juste dans les nuances et variations de jeu.

Qu’il s’agisse de Léa Seydoux, qui touche de plus en plus nos sensibilités avec des expressions de visage fascinantes depuis son passage chez Dumont, ou encore Raphaël Quenard, que nous exécrons habituellement et fait ici chavirer nos rires, en passant par l’inconnu Manuel Guillot, en serveur/figurant transi de stress, ou encore Vincent Lindon, aux accents de jeu inattendus, Le Deuxième Acte se révèle prouesse d’interprétations.
Le film témoigne une fois de plus du talent hallucinant de Dupieux en matière de direction d’acteurs.
Reste, Louis Garrel, en retrait, présentant une certaine distance dans la dislocation du métier d’acteur et se perdant dans les dédales de Dupieux.

Les rails du travelling courent, le cinéaste est lancé, déchaîné. Il propose la quintessence de son cinéma, travaille des thématiques récurrentes, fait rayonner ses motifs pour mieux les redéfinir.
Les chemins se cassent, se croisent, se complètent, s’affinent, se jouent du spectateur, pour mieux le rattraper.
On trouve alors tout autant la décadence névrotique de Le Daim que l’écriture théâtrale de Yannick, on s’enfonce tout autant dans les déambulations entre réalité et fiction de Réalité que dans la représentation d’une technologie déshumanisante que l’on apercevait dans Incroyable Mais Vrai.

Quentin Dupieux joue de synthèse et parvient à dépasser le simple tour de manège pour questionner bien plus en profondeur le monde de la création, de l’art et la place de l’individu face à l’oeuvre, que cela soit dans la création et sous le poids de la bête issue des songes : le film.
Le Second Acte est un moebius où les facettes indiscernables ne cessent de se mouvoir entre le rôle et l’acteur en dehors du travail, entre le tangible et l’imaginaire, entre le réel et la création.
Où sommes-nous ? Qui sommes-nous ?
Les yeux ne servent plus, la pensée seulement se fait rétine.
Creusons au-delà de nos représentations sociétales, rions jusqu’à la crampe, vivons une expérience collective osons toucher les énergies qui nous lient, fêtons le cinéma. Merci Dupieux.

Une réponse à « « Le Deuxième Acte » réalisé par Quentin Dupieux : Critique »

  1. Avatar de princecranoir

    Brillante critique, subtile et inspirante.
    Merci à toi !

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Une recherche d’oeuvres oubliées, de rétines perdues et de visions nouvelles se joue.
Voyages singuliers, parfois intimes, d’autres fois outranciers, souvent vibratoires et hypnotiques.
De Terrence Malick à Lucio Fulci et Wang Bing, en passant par Jacques Rivette, Tobe Hooper, Nuri Bilge Ceylan, Agnès Varda, Lav Diaz ou encore Tsai Ming-Liang, laissez-vous porter par de nouveaux horizons, la rétine éberluée.

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