« Diamant Brut » réalisé par Agathe Riedinger : Critique

Synopsis : Liane, 19 ans, téméraire et incandescente, vit avec sa mère et sa petite sœur sous le soleil poussiéreux de Fréjus. Obsédée par la beauté et le besoin de devenir quelqu’un, elle voit en la télé-réalité la possibilité d’être aimée. Le destin semble enfin lui sourire lorsqu’elle passe un casting pour « Miracle Island ».

Réalisateur : Agathe Riedinger
Acteurs : Malou Kebhizi, Ashley Romano, Idir Azougli, Alexi Manenti
Genre : Drame
Durée : 103 minutes
Pays : France
Date de sortie : 9 octobre 2024

Diamant Brut est le premier long-métrage réalisé par Agathe Riedinger, après trois courts métrages remarqués sur la route des festivals. Eve et J’Attends Jupiter avaient su marquer les esprits parvenant à mêler un travail plastique de l’image foudroyant et des récits déchirants, d’obstinations, d’espoirs, de ténèbres, d’opportunités et d’anéantissements.

Diamant Brut suit Liane, une jeune femme pleine de rêves et d’espoirs, croupissant dans une impasse urbaine, rade miséreux, vers Fréjus, en bordure de zone commerciale.
C’est par la beauté, celle qu’elle ressent, qui la transcende, et vers laquelle elle est attirée, que Liane compte bien toucher ses désirs de reconnaissance.
Le fléau de influenceurs, l’enfer des émissions de télé-réalité, inondent la conscience de Liane, prête à s’engouffrer dans l’abîme aux mille âmes déchirées pour devenir l’étoile, celle qui rayonnera de saisons en saisons, d’émissions en émissions.
Entre vols dans les magasins et vidéos TikTok, entre une mère absente et la nécessité d’aider sa jeune sœur délaissée, Liane attend le jour où quelqu’un saura voir le diamant brut qui se cache en elle.
Un matin, elle est contactée par une agence en charge du casting du programme « Diamond Island ».
Suite aux essais, plutôt positifs, elle attend une réponse, plus ou moins patiemment, faisant de chaque jour de silence, un nouvel abîme, un nouveau chaos.

Contrairement à ses courts métrages à l’esthétique glacée et enivrante, Riedinger se lance ici dans une descente frontale, caméra brinquebalante et gros plans suintants, face à Liane, ses espoirs et mésaventures.
L’image est crue, faisant de la crasse et du mouvement la glaise d’une beauté décadente.
La cinéaste opte pour une mise en scène rappelant tout un pan de cinéma urbain hexagonal des dernières années allant de Rodéo de Lola Quivoron, pour son caractère impulsif, à Bonne Mère de Hafsia Herzi, dans l’écriture du personnage, en passant par Une Fille Facile de Rebecca Zlotowski, questionnant les rapports contemporains aux notions de corps et de beau.
Riedinger essaie de capturer une jeunesse prise en étau, celle qui admire les stars de TV, celle qui s’est forgée, par delà la misère à travers la hargne de la musique urbaine, quelque part entre SCH, Jul et Nakamura. La génération post-covid, les enfants issus de parents de la génération MTV, s’offre en spectacle.
La réalisatrice pose le doigt sur une jeunesse qui n’accepte plus d’être esclave, qui ne se laisse plus soumettre pour quelques misérables billets.
Riedinger saisit les rêves maudits, les quêtes prométhéennes modernes où l’ascenseur social a rendu l’âme depuis bien des années.

Le destin, désormais, on se le forge, on traque le monde par le prisme du petit écran, on vend son âme aux regards voyeurs, on abandonne son intimité à la caméra jusqu’à ne plus devenir qu’image, que lumière incandescente, hypnotique, qui à force de tourbillons, dépossède le corps et le jette en pâture, aux vautours.

Les influences qui ont alimenté la rétine de la réalisatrice, se font sentir et il est peu surprenant de découvrir en interview son amour pour Andrea Arnold.
Il y a cette volonté de pénétrer le cœur, affronter les dédales de la chair pour finalement esquisser un des nombreux secrets de l’âme.
Une intensité qui se fait ressentir mais ne dépasse jamais la pâle copie, les archétypes de cinéma. La proposition tend très rapidement à devenir coquille vide. Un cadre qui accueille un brumeux croquis.
L’esthétique de cinéma prend le dessus, les images ne sont que ramassis de clichés que la rétine ne peut plus supporter et malgré l’abandon de l’actrice pour son rôle, le regard fixe le vague, suit les péripéties, de manière distanciée jusqu’à l’ankylose.
Pourtant les rebonds narratifs sont en présence, les fils tendus qui font vaciller le destin de Liane se voient mais ne se ressentent que rarement.

Il ne s’agit plus d’un travail de création mais plutôt d’une formule, d’une équation, triste fiche de route qui tend à un misérabilisme facile et éreintant, aux trappes évidentes, à la narration académique et nauséeuse… Une situation qui devient invasive dans le cinéma indépendant français touchant à la question du rêve d’une jeunesse évoluant dans la misère.
Aux hurlements viennent succéder les larmes, larmes qui invitent une lumière teintée de noirceur, noirceur à pénétrer avec rage pour trouver la silhouette de l’astre et ses merveilles.

On survit, difficilement, grâce au jeu primitif et saturé de Malou Kebhizi qui mange les images et écrase les acteurs alentours, à l’exception de sa sœur, interprétée par la jeune Ashley Romano, électron libre et touchant de ce Diamant Brut qui manque de reliefs, d’aspérités, de reflets et profondeurs.
Restera une prouesse, qui aurait pu devenir la cerise sur le gâteau en matière de goûts douteux, l’accompagnement au violoncelle qui capture magnifiquement les écartèlements de Liane entre grondements internes, résonances du coffre, corps exultant, souffrant, et mélodies qui tiraillent, ouvrant l’esprit et l’intimité de la jeune femme.
Le milieu de la télévision, la puissance des réseaux sociaux sur la psyché de la jeunesse ne sont que decorums tout juste esquissés.
Quant au développement de Liane, il n’apporte rien de neuf et répète les mêmes motifs que les cinéastes traitant le sujet.
Diamant Brut devient film bis, dans la dimension bis repetitae, sur la jeunesse urbaine, recycle les images, use de sentiers bien trop souvent piétinés, et n’ose jamais se séparer de recettes tièdes qu’on ne veut plus goûter.
Une belle matière qui, malheureusement, se délite sous nos yeux.

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Voyages singuliers, parfois intimes, d’autres fois outranciers, souvent vibratoires et hypnotiques.
De Terrence Malick à Lucio Fulci et Wang Bing, en passant par Jacques Rivette, Tobe Hooper, Nuri Bilge Ceylan, Agnès Varda, Lav Diaz ou encore Tsai Ming-Liang, laissez-vous porter par de nouveaux horizons, la rétine éberluée.

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