
| Réalisateur : Patrick Tam |
| Acteurs : Leslie Chung, Pat Ha, Kent Tong, Cecilia Yip |
| Genre : Drame |
| Pays : Hong-Kong |
| Durée : 91 minutes |
| Date de sortie : 1982 (Hong-Kong) / 2024 (France) |
Synopsis : Rejetons de la classe aisée hongkongaise, Louis et son amie Kathy vont se lier à Tomato et Pong, de condition plus modeste. Devenus inséparables, les deux couples mènent une vie oisive, rêvant de rallier des contrées lointaines à bord du Nomad, le voilier du père de Louis. Ils seront bientôt rejoints par Shinsuke, le petit ami nippon de Kathy, poursuivi pour avoir déserté l’Armée rouge japonaise…
Patrick Tam est un réalisateur incontournable de la nouvelle vague du cinéma hongkongais.
Néanmoins sa reconnaissance avec les décennies a périclité, du fait de rares présentations dans les cinémathèques, du fait d’un véritable manque éditorial international autour de sa filmographie.
A ce jour, en France, seul Spectrum Films, qui a tant apporté pour la renaissance dans nos rétines du cinéma hongkongais, avait osé être assez ambitieux avec la sortie Blu-Ray de My Heart Is That Eternal Rose.
Fort heureusement, et il aura fallu bien des années, un acteur important du cinéma français, Carlotta Films, a mis les mains dans le paysage cinématographique hongkongais.
Une véritable joie lorsque l’on voit le travail d’exhumation effectué Carlotta Films pour le cinéma japonais, particulièrement autour de Ozu, le cinéma philippin, avec Mike De Leon et Lino Brocka ou encore le cinéma taïwanais, du côté d’Edward Yang et Hou-Hsiao Hsien.
L’année 2024 marque alors une expédition chargée du côté de Hong-Kong, à l’heure où Soi Cheang fascine, avec les ressorties splendides des films de Stanley Kwan et ce curieux Nomad réalisé par Patrick Tam.
Louis et Kathy sont de proches amis, issus de la bourgeoisie hongkongaise.
Louis est passionné de musiques occidentales entre Rock Britannique et musique classique.
Kathy, elle, déambule et perfectionne son rapport aux arts nippons entre galeries et pratique du Kabuki.
Tomato et Pong, eux, sont deux errants, de classe inférieure.
Tomato, sans famille, passe de brèves relations en brèves relations, le regard des hommes et leurs gestes violents sont son pain quotidien.
Pong, colosse pur et naïf alterne les petits boulots et survit dans la promiscuité de l’appartement familial.
Les chemins de ces quatre âmes, formant synthèse d’une jeunesse hongkongaise instable, vont se croiser, s’unir, s’aimer, se battre.
Dans l’obscurité, à l’ombre de la jeunesse, où seul l’éclat de la lame révèle les méandres des jeux politiques, des assassinats souterrains s’organisent.
La proposition de Patrick Tam, réalisée en 1982, se déroule à l’orée de la rétrocession de Hong-Kong à la Chine.
Nous sommes quinze ans avant la cassure vertigineuse que serait, sera, ce rattachement.
Dans cette frayeur perpétuelle de perte de liberté par la jeunesse, dans cette terreur d’être une terre de désirs internationaux et dans ce cauchemar de résonances historiques effrayantes avec les pays frontaliers, que cela soit la Chine ou bien le Japon, Patrick Tam parvient à capturer une lumière vacillante, bien que puissante, d’une génération en perte de repères, prête à créer un nouveau monde.
Dans les chambres David Bowie fait vibrer les murs. L’art Kabuki rageur et silencieux progresse en silence dans certains coeurs.
En périphérie, la J-Pop s’affiche et recouvre les murs.
Secrètement, un déserteur de l’armée rouge japonaise fait son apparition.
Sans bruit, les frontières avec la Chine renvoient à une geôle, une impasse dont seul les flots, la navigation vers l’inconnu semble encore promettre un rêve, loin de cet étau entre capitalisme et communisme.
Dans ce magma multiculturel et politique, Tam questionne l’âme même de Hong-Kong, sa population et son ensevelissement culturel intime par une économie monstrueuse et uniformisante.
Il est tout simplement obsédant de découvrir ces ruisseaux, tout juste perceptibles, venant polluer, flétrir les rêves, désirs et libertés.
Tout en contrastes et constructions méticuleuses du cadre, il est fascinant d’observer comment Patrick Lam est parvenu à saisir l’essence chaotique de son pays et la transposer avec un tel art de la narration, des élans poétiques.

A travers ces quatre personnages, Nomad joue d’équilibres, fait moduler et philosopher sur l’individu et sa place tout autant dans la société que dans son propre corps, entre esprit, formes et sexualités.
En jouant avec deux balances, riche/pauvre et fille/garçon, qu’il fait moduler autour des rêves, des peurs, de la féminité et de la virilité, Patrick Lam réussit à concevoir une palette expressive et émotionnelle singulière, une matière première intangible et unique, fantomatique et pénétrante. Une dimension qui est la grande qualité de l’oeuvre.
D’ailleurs, il serait triste de s’orienter uniquement autour de la rétine de Patrick Lam pour témoigner de la réussite de Nomad, oublier la présence d’acteurs qui foudroient le regard.
Qu’il s’agisse du regretté Leslie Cheung (Nos Années Sauvages, Adieu Ma Concubine), à la troublante sensibilité, Cecilia Yip (Center Stage), en paumée attachante reflétant à merveille le gouffre sociétal, Pat Ha (An Amorous Woman Of Tang Dinasty), en jeune amoureuse pleine de convictions et clairvoyances, ou encore Kent Tong, en colosse pur et naïf, la totalité du casting construit, par un jeu se répondant avec grâce, une fresque enivrante d’une certaine jeunesse, dans un certain Hong-Kong.
Il est saisissant de découvrir la manière avec laquelle Patrick Tam a conçu son langage cinématographique mêlant tout autant la nouvelle vague française dans la création des personnages et sa narration que le cinéma asiatique allant du Japon aux Philippines.
La rencontre de personnage rohmeriens avec une déambulation narrative proche de Jaques Rivette tout en jouant de variations visuelles rappelant Godard subjugue. Un étrange sentiment se dégage car à aucun moment Patrick Tam ne copie, il s’inspire et développe sa propre aura.
Une aura que le cinéaste vient saupoudrer d’échos provenant tout autant d’éclats de chambara que de projections d’une jeunesse étouffée par la mondialisation que dessinait Mike De Leon avec son étrange et passionnant Kakabakaba Ka Ba?.

Nomad est une balade insouciante, tout aussi magnifiquement sensuelle qu’humaine, qui sombre insidieusement dans les ténèbres d’un monde malade.
Un conte qui s’enfonce dans les bois, rencontre la bête et contamine l’âme à jamais.
Patrick Tam s’engage dans une histoire à quatre voix, installée dans une forteresse sous les assauts internationaux, désirs occidentaux, capitalisme vorace, et ambitions chinoises, engloutissement communiste.
La jeunesse voit les oiseaux de la liberté brûler. Ceux des générations passées qui ont oublié leurs rêves. L’éternité est inaccessible, chaque minute est un combat.
Le monde s’écroule, reste alors de croire en l’amitié, en l’amour, aux fulgurances de l’âme, en la différence, qu’elle soit de statut social ou de genre, pour embrasser les derniers espoirs en flottement, s’unir face à l’adversité, au chaos, et crier liberté, par delà les corps, le sang et la chair.
Au-delà de s’inspirer de la nouvelle vague française et de motifs frontaliers, Nomad dessine les formes qui feront le cinéma de Hong-Kong des années 80, structures les reliefs de Wong Kar-Wai, entre romances, politiques et violences, et va plus loin en modelant l’arche sur lequel la nouvelle vague taïwanaise va se construire, à savoir le cinéma de Hou-Hsiao Hsien (Millenium Mambo), Tsai Ming-Liang (La Rivière, La Saveur De La Pastèque) ou encore Edward Yang (A Brighter Summer Day).
Un pilier incontournable qu’il paraît effarant de ne découvrir qu’en 2024, en France.
Beau, Frondeur et Hypnotique.



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