Synopsis : 1860. Dans un petit village, une statue est repêchée d’un lac.
Le comte Montebruno fait appel à Roberto Merigi (Anthony Steffen) pour la restaurer.
Son arrivée au village coïncide avec celle d’Harriet (Barbara Steele), la nièce du comte, dont les traits ressemblent étrangement à ceux de la statue.
Le domaine dont elle est l’héritière a vu se dérouler un drame il y a fort longtemps, et la malédiction semble ressurgir à la surface.

| Réalisateur : Camillo Mastrocinque |
| Acteurs : Barbara Steele |
| Genre : Fantastique |
| Pays : Italie |
| Durée : 92 minutes |
| Date de sortie : 1966 (salles) 3 juin 2025 (Blu-Ray) |
En 1957, Riccardo Freda initie, avec son film Les Vampires, un mouvement qui va défrayer la chronique : le cinéma gothique italien ! Et il est suivi de près par Mario Bava et son Masque du Démon qui introduira Barbara Steele en Italie.
Un ange pour Satan, sorti en 1966 met un merveilleux point final à l’âge d’or de cette période prolifique qui va, peu à peu, laisser sa place au Western Spaghetti comme l’annonce tacitement la scène de bagarre dans la taverne du village.
Ce Gothique Italien est la réponse directe à la concurrence qu’est la Hammer, qui produit ses films à la chaîne, notamment grâce à des réalisateurs comme Terrence Fisher (Dracula, prince des ténèbres, le retour de Frankenstein …) et qui sont autant de succès à chaque apparition d’acteurs de légende tels que Peter Cushing ou Christopher Lee.
Artus Films nous offre ici une merveilleuse restauration Master 2K qui fait honneur à cette funeste malédiction et fait sortir Camillo Mastrocinque de sa zone de confort, lui qui fut le maitre incontesté de la comédie à l’italienne et qui n’avait réalisé, jusque-là, qu’un seul film d’horreur intitulé La Crypte Du Vampire en 1964.
Laissez-moi vous conter une histoire envoûtante où la beauté n’est pas seulement gravée dans la pierre et ou le monstre aux yeux verts de la jalousie n’est pas seulement un fantôme ….

La Venus au Pygmalion
La scène d’ouverture annonce d’emblée la couleur de ce métrage qui se base plus sur le romantisme noir que sur l’horreur pure.
En effet, les adaptations des plus grandes œuvres littéraires du roman noir sont monnaie courante à l’époque. Avec une certaine élégance, et semant une multitude de détails cachés, Mastrocinque met en scène l’arrivée du sculpteur dans le village maudit d’une manière absolument magnétique et fascinante : dès l’incipit, il instaure un effet d’intense mystère, tout en dévoilant (très) lentement l’intrigue et retarde progressivement l’apparition de la légende qui imprègne les lieux, dans un suspense insoutenable.
Les bateliers conduisent le nouvel arrivant sur un lac calme aux eaux insondables, oniriques et vaporeuses qui viennent tout juste de « recracher » un secret de Polichinelle : une statue, dont les traits sont ceux d’Harriet, la nièce du comte Montebruno, copie conforme de son ancêtre Madalena, une femme fatale dont la beauté ensorcela plus d’un homme jadis.
La sœur de cette dernière, Belinda, elle, au physique plus ingrat, envieuse et cupide, fut entraînée sous le poids de la statue tombée dans le lac….
Bien mal acquis ne profite jamais.
Harriet, dont l’atavisme avec Madalena n’a pas échappé au Sculpteur, sert de modèle pour la restauration de la statue.
Mastrocinque nous renvoie donc à nos cours d’histoire, principalement à la mythologie grecque, et plus particulièrement à l’histoire de Pygmalion et Galatée, l’artiste tombant amoureux de sa création, rendue vivante grâce à Aphrodite, la déesse de l’amour, dont le film semble s’inspirer follement.
Le cinéaste nous offre un des moments les plus emblématiques dans l’atelier de restauration : la tension licencieuse entre les personnages principaux est à son comble, la tempête qui sévit dehors, dévaste également les cœurs : c’est à ce moment précis que Merigi tombe éperdument amoureux d’Harriet.
Le réalisateur puise aussi ses idées dans les écrits de Prosper Mérimée avec sa Venus d’Ille, ainsi que Machiavel, ou encore la sorcellerie : la malédiction s’abat sur les gens du pays : les bateliers de la traversée du lac qui sont retrouvés morts, sont ceux qui avaient remonté la statue ce qui nourrit de plus belle cette fable outrancière.

Bien que l’horreur soit massivement diurne, les scènes les plus esthétiques sont celles qui se passent la nuit, lorsque l’orage éclate et que les éclairs zèbrent le ciel, renforçant ce sentiment de baroque clair-obscur et stroboscopique.
Le palazzio des Montebruno a quelque chose de surnaturel : en effet, une voix de femme se fait entendre si on prête l’oreille.
Qui donc ose troubler et apeurer les habitants de la demeure ?
Bercé par une musique mélancolique et nostalgique, de Fransesco de Masi, le métrage distille donc une bonne dose de fantastique et de mystique, avant de retrouver une once de rationalité, se perdant dans une photographie expressionniste et des fondus enchaînés majestueux, la superposition des plans est absolument inédite pour cette seconde incursion en pays horrifique.
Les traits des personnages sont tour à tour sublimés par des contrastes très travaillés et la laideur de certains est mise en exergue par de nombreuses nuances délicates.
Le noir et blanc, tirant parfois vers le sépia est d’une splendeur lunaire à la mesure de son actrice principale…

Barbara Steele, Doppelganger gothique
L’équivalent féminin d’un Peter Cushing ou d’un Christopher Lee, comme nous l’évoquions, est incontestablement une Barbara Steele, femme fatale, symbole sensuel d’une époque où elle seule pouvait rivaliser avec les têtes d’affiches masculines mythiques de la Hammer.
Propulsée chez Bava, elle évolue dans le genre telle une reine victorienne de l’épouvante. Forte de succès tels que Le Masque Du Démon (Mario Bava), La Chambre Des Torutures (Roger Corman) ou encore La Sorcière Sanglante (Antonio Margheriti), cette actrice britannique se taille la part du lion en Italie après bien des déconvenues dans son pays d’origine où elle pensait clairement ne plus pouvoir tourner, et un fiasco aux Etats Unis (elle a tout de même posé son veto pour tourner avec le « King of rock n’roll », j’ai nommé Elvis en personne).
La sensualité et le charme avec lesquels elle incarne tous ses personnages font d’elle une véritable icône de l’horreur dont le visage est reconnaissable entre mille et dont le jeu reste inégalé.
Habituée aux rôles doubles, elle fait de la« schizophrénie » son estampille et ferait presque passer Leland Palmer et le docteur Jeckyll pour des enfants de chœur.
Cette dualité intérieure tragique qu’elle incarne avec le personnage d’Harriet, possédée par Belinda, la sœur jalouse de son ancêtre, est renforcée tout au long du film par la présence de miroirs et ses absences de plus en plus fréquentes la laisse dans un état d’incompréhension et de fatigue totale.
On décèle, dans toutes surfaces réfléchissantes, les reflets de celles et ceux qui jouent un jeu de manipulation pervers.
La scène la plus emblématique du film nous montre Harriet, changeant de personnalité, se maquillant outrageusement et vulgairement, faisant presque l’amour à son image dans une pose lascive dont Belinda seule a le secret.
Les moments où son esprit déraisonne sont très subtilement amenés, on la voit donc exprimer ses penchants lesbiens pour sa femme de chambre, ne pas refouler son envie d’exhiber ses charmes auprès des hommes, et flirter à tout va, forte de cette beauté érotique insolente qui la caractérise quand elle sort d’elle-même.
Les miroirs sont donc autant de vérités sur le mal, le « vice » et révèlent tous les secrets enfouis, technique qui sera maintes fois utilisée par la suite comme dans le Morgiana de Juraj Herz.

Ce Théâtre des passions, dépeignant frustrations sexuelles et viles bassesses, et dont l’atmosphère sulfureuse fait écho à la monstruosité féminine, illustre cette superbe maxime du film : « le feu est comme un baiser qui vous caresse tout le corps » et résonne dans cette scène mémorable ou Harriet/ Belinda se dévêt de ses atours pour bousculer les désirs du fou du village et ainsi asseoir sa domination fulgurante de séductrice envers les hommes, cravache à la main !
L’érotisme qui s’en dégage reste tout en subtilité, en retenue, réel tour de force de Mastrocinque.
Pour conclure, remettons l’église au centre du village : le fin mot du film reste, somme toute, assez trivial.
Point de surnaturel ici-bas mais une mascarade bien orchestrée pour une histoire d’héritage aussi bien physique que pécuniaire.
La malédiction qui terrorisait les habitants n’est plus qu’un tissu de mensonges obscènes, fait de superstitions et de soumissions : les croyances et la crédulité populaire sont donc exploitées jusqu’au bout avec une telle perversité que le jeu en vaut la chandelle. Le coupable est celui auquel on ne s’attend pas mais les personnages ne sont pas tout blancs ou tout noirs ce qui rend son naturalisme au film.
Les contrastes de l’image résonnent avec la mise en scène dans une parfaite dissonance qui mène vers un moment historique du cinéma bis européen, l’apothéose d’une ère en passe d’être révolue…. Magistral !

Les caractéristiques techniques de l’édition Blu-Ray
Nous avons eu la chance de recevoir l’Edition complète MASTER 2K restauré – version intégrale, qui est d’une beauté inestimable, comme toujours chez Artus Films, avec les affiches d’époque placardées sur le volets du digipack.
Cet écrin, est, à la mesure du film, un vrai bijou vintage.
Image :
Format 1.85 1920X 1080P 16/9 compatible 4/3
C’est une superbe restauration 2K que propose l’éditeur, le noir et blanc épuré (qui s’étire légèrement vers le sépia à certains moment), fait ressortir les contrastes et est à se damner.
Les reliefs subliment les acteurs à chaque instant immortalisant les visages, les corps et leurs moindres marquent du temps.
Les détails cachés dans les images ressortent de bien belle manière, de par un travail du piqué particulièrement habile.
Les scènes de nuit ont un impact et un pouvoir absolument non négligeables : La découverte du métrage n’en a été que plus mémorable.
Nous avons été particulièrement bluffés par l’utilisation des stroboscopes pendant les scènes d’orage où les jeux de contraste ont été d’une solidité à toute épreuve.
La texture pellicule ressort à merveille, avec un lissage parfaitement mesuré et un grain organique saisissant. Quelques marques et scories font leurs apparitions sur deux ou plans, autant dire rien, et le cadre a été parfaitement stabilisé.
Son :
Dolby Mono d’origine 2.0 VF d’époque et VOSTF italienne d’époque
Les deux pistes audio ont été joliment restaurées, et proposent certainement le meilleur que l’on pouvait en tirer.
Il n’y a ici pas de traces de saturation et les niveaux sont assez juste permettant de créer de belles atmosphères.
Bien que nous soyons dans une configuration frontale l’impression d’être enserrée tout au long du métrage est présente.
De plus, la musique de Francesco de Masi est magnifique et magnifiée.
Suppléments :
Les bonus ne sont pas nombreux mais sont des plus intéressants sur la partie historique du cinéma bis européen et ponctués d’anecdotes.
– Présentation du film par Nicolas Stanzick (38 minutes)
Comme toujours, et encore plus lorsqu’il est question de cinéma gothique, Nicola Stanzick apporte de très nombreuses connaissances avec un véritable didactisme.
Il aborde le cas du début du cinéma fantastique italien, les places respectives de Mario Bava, Riccardo Freda, Antonio Margheriti dans cet horizon cinématographique spécifique afin de mieux introduire le plus confidentiel Camillo Mastrocinque.
Le spécialiste revient également sur l’étrange carrière de Barbara Steele et s’engagera dans différentes pistes de lecture.
Incontournable.
– Entretien avec Vassili Karis
L’acteur revient sur son expérience du film mais préfère régulièrement aborder son aversion pour le fantastique ayant du mal d’ailleurs à différencier cinéma gothique et horrifique.
C’est assez amusant comme impasse notionnel et bien que nous n’apprenions que peu de choses ici, cela reste plaisant d’écouter une personne ayant participé au tournage du film.
L’entretien est croisé avec la présence de Fabio Melleli, historien du cinéma apportant de la matière au supplément.
– Générique français
– Diaporama d’affiches et photos vintage
– Film-annonce original


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