« Conann & Les Déviantes » réalisé par Bertrand Mandico : Critique et Test Blu-Ray

Synopsis de Conann : Parcourant les abîmes, le chien des enfers Rainer raconte les six vies de Conann, perpétuellement mise à mort par son propre avenir, à travers les époques, les mythes et les âges. Depuis son enfance, esclave de Sanja et de sa horde barbare, jusqu’à son accession aux sommets de la cruauté aux portes de notre monde.

Synopsis de La Déviante Comédie : Les répétitions fictives du spectacle invisible : CONANN LA BARBARE. Alors qu’un virus sévit sur terre, Octavia Foss met en scène la comédie musicale gore CONANN LA BARBARE. Durant les répétitions, les actrices sont contaminées par leurs personnages

L’Emission a déjà commencé : Détournement d’une émission sur la chaine nationale du service public autour du monde de CONANN. Danse, dessins-animés, débats, remise en question une émission télévisée est bientôt prise en otage par les actrices de CONANN. Alors que la marionnette du cinéaste Bertrand Mandico, nous donne à voir une série de courts métrages sur la damnation des actrices et l’avenir du cinéma.

Réalisateur : Bertrand Mandico
Acteurs : Elina Löwensohn, Christa Théret
Genre : Fantastique Expérimental
Durée :
100 minutes (Conann)
68 minutes (L’Emission)
70 minutes (La Déviante Comédie)
Pays : France
Date de sortie :
2023 (salles)
Mai 2025 (Blu-Ray)

Cela fait déjà plus de deux ans que j’ai découvert Conann, troisième long-métrage de Bertrand Mandico, à La Quinzaine Des Cinéastes.
Une séance pleine à craquer, en compagnie de l’équipe du film, le cinéaste et ses femmes-barbares.
Loin du cinéma de John Milius, mais s’amusant à emboutir une vision machiste de l’action et de l’heroic fantasy 80s, Mandico propose un voyage faustien, à base de carcasses, de cendres, de phoenix.
Une aventure qui devait s’ouvrir avant tout sur la scène, le théâtre, mais qui avec la déferlante Covid a dû se métamorphoser, devenir cinéma essentiellement..

De cette métamorphose, des cosses sont restées, de curieuses expérimentations en bordure du film, Conann, offrant des voies réflexives tant sur l’histoire du tournage que sur la philosophie du projet ou encore autour de la psyché des protagonistes donnant naissance à : La Déviante Comédie, Rainer A Vicious Dog In Skull Valley, Nous Les Barbares, The Last Cartoon.

Par chance, Potemkine a eu l’audacieuse idée de compiler le film et ses modulations sous le format d’une édition spéciale, Conann & Les Déviantes.

Du glaive à la chair, de l’image aux coulisses,
la grande épopée Mandico

Conann, Conte Faustien et Récits de Cadavres

Bienvenu.e.s dans le grand théâtre, dans l’excentrique cabaret Mandico.
Le cinéaste français, fils batard de Kenneth Anger et Walerian Borowczyk, marque son retour et surprend avec Conann, film barbare qui renoue avec l’abstraction de ses courts-métrages tout en gardant la frénésie sous forme d’odyssée que nous lui avons découvert depuis Les Garçons Sauvages.

Conann, relecture féministe, transgenre et barbare, du bien nommé Conan, est un récit à travers le temps au-delà de l’espace à la quête d’un nom, à la poursuite d’un mythe, à la rencontre d’un fantasme.
Dans cet antre de violence, dans ce décor dévasté, Conann est faite prisonnière, jeune femme battue et humiliée, ayant vu sa mère martyrisée devant ses yeux par un groupe d’individus errants. Elle est maltraitée, violentée, emprisonnée, jusqu’à devenir bête, jusqu’à rencontrer son destin : Rainer, chienne-diablesse.
Cette chimère voit en la torturée la prophétie, l’âme à faire pactiser pour déchaîner le sang et la chair, le sexe et les larmes.

Mandico ouvre une juste métaphore sur les rouages du pouvoir, de la misère aux cieux en passant par la fange et la mort.
De cette union, de cette promesse de liberté, Conann va mutiler son présent dans l’espoir d’être toujours plus forte, vers un futur toujours plus parfait, vers un funeste destin toujours plus proche, un mirage d’enfer capitaliste se distingue au coeur de la brume.
Le cinéaste oeuvre dans le champ d’un cinéma plus politisé, dans le champ d’un cinéma qui décompose le monde, la violence et ses particules pour disséquer le pouvoir jusqu’à en distinguer ses viscères, sa substance primaire.

Mandico avec son délire à mi-chemin entre Faust de Goethe et le Conan interprété par Schwarzenneger, va laisser libre court à toute sa fantaisie à toutes ses obsessions, fondant dans un érotique magma l’esprit et le corps.
L’entrée pour le bal des horreurs est ouvert, Mandico n’a plus aucune retenue, la jouissance est totale, Conann est une œuvre expérimentale, un sommet de tous les essais passés du cinéaste, une créature de Frankenstein complètement possédée, vorace, portée par un désir incommensurable de liquides corporels, de sécrétions, d’entrailles et d’organes tous plus sublimés les uns que les autres par l’oeil-caméra.
Toutes les trouvailles visuelles, toutes les audaces et astuces artisanales connues du cinéaste atteignent une sorte d’apogée, Méliès par-ci, Bava par-là, esapce de malice, de déviance mais aussi plus étonnamment de didactismes.
Mandico escorte le regard, avec la volonté d’offenser, avec le désir pasolinien de scandaliser, et écarquille avec insistance nos paupières pour nous confronter à des instants de cinéma singuliers, uniques, quelque part entre Portier de NuitSalòQuerelle et La Grande Bouffe, nous soumettant, se délectant de l’immondice faite poème.

Cependant, et bien que l’aventure Mandico atteigne une révolution dans sa plastique, le cinéaste peine encore à structurer son récit, à créer des personnages dignes d’intérêt, préférant rebondir d’une galerie à une autre, signe de cinégénie hallucinée pour combler l’absence de consistance, bien que le sous-texte politique soit palpable, mais encore trop empêtré dans le labyrinthe esthétique.
L’anesthésie par les images ne réussit pas à nous faire oublier l’errance scénaristique, masquée par une narration confuse ou poésie rime avec subterfuge pour tenir jusqu’à la conclusion.
Une conclusion qui s’effondre habituellement, ne sait comment se dégager de toute cette frénésie, et où pour la première fois avec ce Conann, exception, réussit à dresser le portrait d’une société cannibale particulièrement acide, où la réussite des uns n’est que cadavre à dépouiller, pillage nécessaire pour subsister.

Conann réalisé par Bertrand Mandico touche à une grâce visuelle, qui cueillera les uns et offusquera les autres, un paroxysme d’une décennie d’expérimentations, qui ne parvient pas à dépasser un certain vide narratif, une plaie ici encore trop apparente pour uniquement se laisser porter par l’audace et la singularité de ce corps céleste malade de cinéma.
Reste une invitation qui ne ressemble à aucune autre où, assurément, Mandico s’affirme comme le cinéaste français le plus inventif et halluciné de ces dernières années.

Dingue, Irrévérencieux, Provocateur.

Les Déviantes, Autopsie et Analyse de Coulisses-Gouffres

Dans le prolongement de Conann, fiction de sexe et de sang, naissent le variations déviantes, fruits pourrissants, formes nouvelles et modulaires.
En quatre travaux, Mandico prolonge et s’échappe, développe et détruit.
Il y a le théâtre, il y a le poème, il y a l’avant-garde.

Se perdre en ces terres mouvantes, c’est reculer, observer la cathédrale, les ruines, remonter le temps et s’offrir une jouxte dans la psyché du cinéaste, mouvement sidérant, surréaliste, croisant tout autant les essais filmiques radicaux de Derek Jarman que la fougue mélodramatique et stylisée de Rainer Werner Fassbinder.
C’est véritablement l’ouverture d’un cortex et l’acceptation de l’ombre, des reliefs longtemps obscurcis.

Dans ce sentier réflexif il y a tout autant de brouillons informes que de véritables ingénieuses idées.
Qu’il s’agisse de la réflexion sur l’arrêt de la performance de La Déviante Comédie, sur le personnage de Rainer dans Rainer A Vicious Dog In Skull Valley, sur les cartes graphiques de The Last Cartoon ou encore la vision miroir entre les actrices et les personnages dans un espace-purgatoire avec Nous Les Barbares, Bertrand Mandico affirme toute la complexité de son univers, son caractère mouvant, changeant, illusoire et halluciné.

En acceptant cette déambulation aussi charmante qu’épuisante, cette façon pénétrer l’image avec colère, violence, matières organiques et érotismes, Mandico marque définitivement sa filmographie avec cette oeuvre-songe, oeuvre-monde meta fait de cinéma, de poèmes, d’improvisations, de textures, d’images immortelles.

Radicaux et définitivement Punk.

Les caractéristiques techniques de l’édition Blu-Ray

L’édition qui contient à la fois le digipack Conann et le digipack Les Déviantes est désormais épuisé, malheureusement.
Un packaging qui contient dans un fourreau inédit, les deux éditions, deux éditions aux esthétiques particulièrement soignées.
Cependant, rassurez-vous, il est toujours possible de se procurer Conann. Le digipack étant désormais disponible à l’unité.
Pour Les Déviantes ça s’annonce être une autre paire de manches.

Image :

Tourné en 35mm, le master video que cela soit pour Conann ou encore Les Déviantes, connaît de nombreuses fluctuations.
Ne paniquez pas, celles-ci sont volontaires, et font pleinement partie du voyage.
L’écrin varie de noir et blanc au grain organique et saturé à des palettes flash particulièrement pop parfois presque glacées. Entre ces deux écarts d’images il y a un travail de la pellicule, tordue, brûlée, floutée, patinée, griffée.
C’est une expérience visuelle que le master en présence restitue parfaitement.

Note : 10 sur 10.

Son :

Une piste 5.1 Dts-HD MA est proposée pour chaque film.
Une proposition qui n’use peut-être pas assez des enceintes surround se focalisant principalement sur la scène avant avec de beaux rendus, reliefs et matières sonores.
Le mix général est équilibré.
Une belle expérience que l’on aurait rêvé plus entêtante.

Note : 7.5 sur 10.

Suppléments :

L’édition compte un commentaire audio par programme, à savoir, un pour Conann en compagnie Mandico et Pacôme Thiellement, un pour La Déviante Comédie en compagnie de Mandico et Elodie Tamayo et un pour L’Emission a Déjà Commencé contenant Rainer A Vicious Dog In Skull Valley, Nous Les Barbares et The Last Cartoon en compagnie de Mandico et Pacôme Thiellement.

Les commentaires audio sont de grande qualité et ont un obsédant caractère cryptique.
Thiellement, spécialiste des cinémas labyrinthiques, est comme un poisson dans l’eau, Elodie Tamayo, critique aux Cahiers Du Cinéma, offre également de belles pistes réflexives.

Enfin, en dehors des commentaires audio, se trouve la proposition Identification d’un film(s) – Philippe Azoury chez Bertrand Mandico, retour sur des esquisses, storyboard et collages pour capturer l’idée Conann de sa création à sa naissance.
Une rencontre sympathique.

Note : 7.5 sur 10.

Pour découvrir Conann :

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