Réalisateur : Márta Mészáros |
Acteurs : Kati Kovács, Teri Horváth, Ádám Szirtes, Gábor Agárdi |
Genre : Drame |
Pays : Hongrie |
Date De Sortie (Salles) : 1968 Date De Sortie (Blu-Ray/DVD) : 2021 |
Durée : 80 minutes |
Synopsis : Une jeune ouvrière solitaire a grandi dans un orphelinat de l’État hongrois. Lorsqu’elle reçoit une lettre de sa mère, elle prend le train pour la rencontrer, mais cette femme mariée souhaite la faire passer pour sa nièce.
Depuis quelques années, l’industrie cinématographique, à l’image de la société se met à muter, se transformer vers une vision égalitaire des sexes et des genres. Du fait, de son orientation presque unilatéralement masculine, le siècle qui a vu naître le septième art a mis en lumière une perception du monde à travers le cinéma, grandement portée par celle des hommes, laissant les rares réalisatrices au statut de fantômes que l’on veut bien sortir pour apporter le mirage d’un art représenté de manière égalitaire. Cependant en dehors des biens connues Agnès Varda, Jane Campion ou encore Chantal Akerman, le constat est effarant, et révèle un véritable problème de société dans l’accès à la création cinématographique pour les femmes.
Bien que la transformation soit lente, de nouveaux noms ces dernières années, sortent de terre et actionnent une métamorphose du champ cinématographique international avec Céline Sciamma, Jodie Foster, Sofia Coppola, Claire Denis, Kelly Richardt, Mati Diop, Greta Gerwig, Kathryn Bigelow, Chloé Zhao, Maïwenn, Mia Hansen-Love, Noémie Lvovsky, Ana Lily Amirpour ou la très récemment couronnée par une Palme D’Or Julia Ducournau.
Une évolution tirant vers une transformation future de l’industrie des films qui est appuyée depuis quelques temps par un véritable sursaut dans le milieu de l’édition vidéo hexagonal.
En fondant un partenariat, Elephant Films, Splendor Films et Extralucid Films, ont lancé la collection Les Soeurs Lumière venant à exhumer les œuvres perdues de femmes réalisatrices. Les premières sorties ont déjà mis à l’honneur Alice Guy-Blaché (1873-1968), Dorothy Arzner (1897-1979) et prochainement révéleront Property (1979) réalisé par Penny Allen puis Old Joy (2006) réalisé par Kelly Richardt.
Cet élan de sauvegarde du patrimoine cinématographique est également la pierre angulaire de Clavis Films, éditeur spécialisé dans les horizons hallucinés hongrois et polonais, qui met à l’honneur en cette année 2021 la réalisatrice Márta Mészáros.
La cinéaste originaire d’Hongrie a été récompensée tout au long de sa carrière par de nombreux prix internationaux prestigieux allant du prix FiFPRESCI jusqu’au Grand Prix Spécial Du Jury au Festival De Cannes 1984. Cependant sa filmographie est restée presque invisible durant de longues années, n’ayant presque pas eu l’honneur de sorties DVD, à l’exception de deux titres.
C’est un drame dans l’histoire du cinéma que Clavis Films, mené par Simon Shandor, s’est alors fait un plaisir de panser en sortant plusieurs films restaurés en 4K, Neuf Mois (1976), Elles Deux (1977), Journal Intime (1984) et 2K avec La Belle Et Le Vagabond (1970) ainsi que Cati (1968).
Nous nous intéresserons ici à l’édition Blu-Ray de Cati.
L’article prendra la forme suivante :
I) La critique de Cati
II) Les caractéristiques techniques de l’édition Blu-Ray
I) La critique de Cati
Márta Mészáros, le témoignage caché d’une Hongrie secrète
Márta Mészáros a réalisé 12 longs-métrages entre 1968 et 2009. Elle fait partie de « La Nouvelle Vague » du cinéma d’Europe de l’Est qui naît à la fin des années 60 aux côtés de réalisateurs tels que Věra Chytilová, Jan Němec, Miloš Forman, Károly Makk ou encore Miklós Jancsó, avec qui elle fut mariée.
Sa vie marquée par la fuite, avec ses parents, de son pays natal pour l’Union Soviétique dû à des appartenances politiques divergentes de celles de la politique dictatoriale de Miklós Horthy, puis son retour en Hongrie, en tant qu’orpheline dans une famille adoptive fût retranscrite dans la trilogie de Naplò dont le premier volet, Journal Intime, revient sur ce retour en Hongrie et la vie aux côtés de cette mère adoptive autoritaire.
Márta Mészáros a suivi des études cinématographiques au VGIK de Moscou, lieu ayant vu naître de grands noms du cinéma soviétique tels que Andreï Tarkovski, Andreï Kontchalovski, Elem Klimov mais également africain avec Ousmane Sembène et Sarah Maldoror.
Le cinéma de Mészáros est traversé par deux problématiques fondamentales qu’elle articule au cœur de ses longs-métrages : la perte du cadre familial et la volonté d’indépendance des femmes.
De l’orphelinat à la famille ressuscitée, les ailleurs imaginés
Cati est orpheline. Elle a grandi à l’assistance publique. Désormais, ouvrière dans une usine de textile à Budapest, membre d’une sororité de pupilles, la jeune femme est épanouie et a trouvé sa place dans le monde.
Âgée de 24 ans, elle reçoit un courrier, une lettre de sa mère. Un écrit qui va venir bouleverser ses certitudes sur la société, la famille et plus globalement les relations humaines.
En installant son récit au beau milieu du monde industriel, dans le poumon de la nation qu’est la classe ouvrière, Marta Meszaros montre le bonheur selon les dirigeants du bloc de l’Est. L’individu disparaît au profit de la collectivité, la propagande assure de la joie aux travailleurs poussés à une pratique stakhanoviste de leur emploi dans l’optique d’élever la nation, d’élever l’URSS, vers des lendemains radieux, utopiques.
En choisissant ce personnage d’orpheline, la cinéaste montre avec acidité, la nécessité de l’oubli du passé pour se jeter à corps perdu dans la machine communiste, se soustraire au noyau familial, générateur d’individualisme, pour s’offrir à la masse, à l’abandon charnel au prix des idéaux. La cinéaste réussit très rapidement, lors d’une scène de repas entre anciennes et actuelles pensionnaires de l’orphelinat, à pointer du doigt ce vivier fertile que sont les orphelins pour implanter la pensée d’Etat. L’URSS a nourri cette jeunesse, devient leur mère, leur père, leur a donné un toit et une « famille », en échange elles abandonnent leurs corps, leurs âmes, leur humanité pour faire fonctionner les machines et se livrer à ses entrepôts monstres pour le bien de tous, pour le bien de personne.
Cette configuration âpre, bien qu’il s’agisse de la section du film la plus pérenne pour Cati, va toucher à ses limites dès la réception du courrier, suite à une annonce postée dans le journal « orpheline cherchant ses parents naturels », lui dévoilant les ailleurs d’une possible vie de famille, d’une histoire et d’un passé qui vont se mettre en parallèle avec sa croyance aveugle en l’artifice communiste.
Ainsi, bien qu’heureuse de son train de vie, elle se se trouve à espérer un amour perdu, mais réel, loin de la tendresse froide mais communicative de l’institution.
Cati se vient à rêver d’une nouvelle dynamique, d’une nouvelle union des êtres, d’une nouvelle lueur pour diriger sa barque. Elle en vient à penser, imaginer, s’évader du couloir tracé depuis ses premiers pas sous l’égide de l’orphelinat et plus largement du parti.
Tout comme Meszaros avait réussi à mettre en image l’apparition d’un monde libre dans La Belle Et Le Vagabond, à travers la génération Beatnik, elle parvient de nouveau à créer une porte pour s’évader d’une existence réglée comme une boîte à musique, vers ses racines. Une recherche d’horizons lointains que Cati cachait au cœur de son subconscient.

La création de la réalisatrice devient d’autant plus troublante et fascinante, dès lors qu’elle parvient à nous intégrer pleinement aux pensées de la jeune femme. Ses interrogations deviennent les nôtres, ses certitudes également, tout comme ses désillusions. Le film nous ancre dans une enchevêtrement temporel, révélant une Hongrie bouleversante.
L’annonce du retour de la fillette abandonnée réveille la culpabilité de certains, ranime les blessures des uns et fait naître cette volonté d’aller vers son prochain chez d’autres.
Ainsi, les reconnaissances de parentés viennent bousculer Cati qui bien que crédule lors de la découverte de sa première famille, se trouve assez déconcertée face aux multiples réponses d’inconnus se voulant être des parents de l’orpheline vint-quatre ans plus tard.
Cette situation révèle un certain mal-être qui vient nous saisir tout au long de l’oeuvre où la notion de famille vient à se faire malmenée, questionnée pour finalement laisser le choix au personnage principal de concevoir sa propre histoire, construire sa propre lignée à partir des différents parents potentiels rencontrés. L’imaginaire devient le dernier rempart. L’imaginaire devient la liberté.
La vérité n’est plus garante du réel, la vérité devient une construction artificielle pour dépasser le malheurs et les peines. Une vision pour échapper à cette dimension inconnue au cœur d’un pays où le caractère individuel est mort depuis belles lurettes, où l’humain devient fourmi au service de ses dirigeants.
Cet affrontement entre l’individu et le collectif vient marquer l’oeuvre par un caractère dualiste qui parcourt le film de tout son long en mettant sans cesse en parallèle hommes et femmes, milieux urbains et milieux ruraux, jeunes et vieux, traditions et modes nouvelles.
Cati est cette histoire de la jeunesse où le monde est un concept à conquérir, à parcourir, un univers à penser et à s’approprier.

Hongrie des villes, Hongrie des champs
La perception dichotomique entre villes et champs est un motif récurrent dans le cinéma de Marta Meszaros, mais l’approche de cette thématique dans Cati est certainement la plus poussée. Elle parvient à fixer deux approches idéologiques fondamentalement opposées entre les deux espaces avec d’une part la ville aux mille usines, au vrombissement chaotique permanent et vitrine de l’Etat et d’autre part la campagne, gardienne des traditions, des secrets et prison de verdure loin de tous les rêves de jeunesse.
En créant ces deux univers, Cati construit deux espaces assourdissants où le milieu urbain de par sa cacophonie laisse les individus se perdre en suivant la voix toute puissante des dirigeants, se ruant vers les usines s’oubliant littéralement pour des intérêts supérieurs inconnus, et où le monde rural, aux silences dévastateurs, pousse les individus à dépérir derrière les traditions et où la jeunesse s’oublie à la dégénérescence.
Meszaros tisse une toile mouroir où les deux Hongrie celle des villes, tout comme celle des champs semblent arriver à leur point de rupture, devenues irréconciliables.
En paramétrant ces deux territoires par un seau maudit où le peuple se meure, la cinéaste propose un échappatoire celui de la banlieue, la ville nouvelle, à la frontière du chaos ambiant des métropoles, et en dehors des traditions hantées des villages qui rappellent dans certains recoins le caractère anxiogène du cinéma de Bergman.

Cati et les hommes
Marta Meszaros après avoir laissé s’égarer Cati dans ses croyances les plus profondes, dans son assurance en l’indépendance, et les amours d’un soir, se trouve confronté aux hommes, sans échappatoire contrairement à ses douces années d’orphelinat où la gardienne se faisait mur face aux assauts acnéiques et testostéronés de la gente masculine.
Plus les recherches de la jeune femme progressent, plus elle s’enfonce dans un univers où les femmes se font rares, où loin de la grande ville ses dernières deviennent muettes et où les hommes loin de tout égalitarisme se jouent à déstabiliser la jeune femme. Du père de famille étrangement intéressé par la beauté de l’enfant illégitime, aux fantasmes des jeunes hommes aveuglés par les magasines et émissions télévisés qu’ils projettent sur la beauté singulière de Cati, les mâles de tous âges veulent posséder l’oiseau rare, ouvrant l’oeuvre à des séquences grinçantes où les rires laissent place aux zygomatiques crispés.
Marta Meszaros peint alors un univers où les fils de Mars sont perdus, en rûte, loin de toutes réalités, et où Cati, fille de Vénus est bien plus maline, réussissant à jouer des déviances et troubles de ses prétendants aux pensées de chair, avec une justesse déconcertante affirmant perpétuellement plus l’indépendance de la femme.
Ainsi la cinéaste avec une facilité toujours si étourdissante réussit à peindre un portrait de femme d’un nouvel âge, loin des prisons sexuées du passé, où les filles d’Ève se peuvent et se doivent de vivre libre sans penser aux coutumes liberticides des temps maudits.
Cati, l’envoûtante amertume de la liberté
En tant que premier long-métrage, et oeuvre la plus ancienne accessible de la réalisatrice de nos jours, Cati pose tous les mécanismes du cinéma de Marta Meszaros, de la place des femmes dans la société à l’âpre duplicité du régime communiste.
Cette proposition inaugurale d’une carrière de plus de trois décennies est une essentielle du cinéma, une oeuvre qui tout comme Les Petites Marguerites de Věra Chytilová a toute sa place dans la nouvelle vague féministe du cinéma de l’Est des années 60 et plus largement dans le panthéon du cinéma international de par les idées qu’elle défend et le travail de réalisation éblouissant d’une cinéaste incontournable.
Un cinéma d’avant-garde qui aujourd’hui est toujours d’actualité dans ses thématiques explorées. Un voyage à la rencontre du passé pour construire l’avenir, une odyssée où les coutumes rencontrent les pensées modernes, où tradition et modernité s’échangent un regard de défiance pendant que la libération des corps et des esprits se dévoile. Fascinant.

II) Les caractéristiques techniques de l’édition Blu-Ray
Image :
Le rendu Image est très proche de l’édition de La Belle Et Le Vagabond. Les deux films ont été restaurés en 2K dans les mêmes conditions et profitent des mêmes qualités tout comme des mêmes petites imperfections, reposant en grande partie sur le transfert en 1080i.
Nous sommes de nouveau surpris par un tel confort visuel donnant au film une seconde jeunesse, laissant respirer la pellicule avec réussite, quelques rares poussières et traces parcourent l’écran mais de manière général le scan qui a été effectué a permis un très beau nettoyage.
Le travail autour du piqué révèle de nombreux espaces du cadre que nous nous prenons à parcourir, à découvrir, ouvrant l’oeuvre à une exploration fascinante au coeur d’une Hongrie communiste qui intrigue et hypnotise.
Le contraste, quant à lui, vient affiner le travail de piqué et vient bercer le film de Meszaros dans un spectacle d’ombre et lumière qui prend son envol dès lors que nos yeux se perdent dans les plans ruraux.
Les scènes de nuit perdent de leur finesse et se font un peu sombre, mais rien d’handicapant.
Le transfert en 1080i, quant à lui, viendra peut-être déranger les regards les plus pointilleux qui constateront par moment de légères saccades.
L’édition Blu-Ray de Cati proposé par Clavis Films reste néanmoins une exclusivité mondiale et une chance extraordinaire pour les cinéphiles francophones de découvrir le cinéma de Marta Meszaros dans de si belles conditions.
Son :
La restauration piste Mono proposée apporte de belles conditions pour découvrir Cati sans jamais saturer et offrant une balance exemplaire entre environnement sonore, voix et musiques.
Le film entre dans une belle modernité offrant un confort d’écoute adaptée à l’oeuvre, nous plongeant dans le récit, ne laissant pas figurer les cinq décennies qui nous séparent de la sortie originale du film..

Suppléments :
Comme pour toutes les sorties Blu-Ray du cinéma de Marta Meszaros chez Clavis Films, aucun bonus n’est présent, contrairement à leurs éditions DVD. Frustrant.
Note Globale :
L’édition que nous propose Clavis Films pour Cati, en dehors de son triste manque de suppléments, est une vraie bénédiction pour les cinéphiles les plus curieux.
Avec un master 2K de très belle facture, bien que transféré en 1080i, et une piste sonore Mono de bonne qualité, nous ne pouvons que nous réjouir de la chance d’avoir des éditeurs français si audacieux pour ouvrir le regard sur un cinéma méconnu mais pourtant essentiel.
Cette nouvelle restauration de Cati en format Blu-Ray est une exclusivité mondiale à ne pas rater. Une exclusivité s’ouvrant avec bienveillance aux autres pays, intégrant un sous-titrage anglais et hongrois.
Cati est disponible en Blu-Ray à l’adresse suivante :