Baba Yaga : Critique et Test Blu-Ray

Réalisateur : Corrado Farina
Acteurs : Isabelle De Funès, Carroll Baker, George Eastman, Ely Galleani
Pays : Italie, France
Durée : 82 minutes
Date de sortie (salles) : 1973
Date de sortie (Blu-Ray) : Novembre 2021

Synopsis : À Milan, dans les années 1970, la photographe de mode Valentina Rosselli croise un soir dans la rue une femme belle et mystérieuse, tout de noir vêtue, répondant au nom étrange de Baba Yaga. Cette rencontre engendre chez Valentina des rêves bizarres où se mêlent luxure et sadomasochisme, puis des incidents inexplicables provoqués par son appareil photo, sur lequel Baba Yaga semble avoir jeté un sort. Peu à peu, cette dernière parvient à tenir la jeune photographe sous son emprise, et seul son ami Arno Treves paraît en mesure de la délivrer du pouvoir maléfique de la sorcière.

Adaptation de la bande dessinée érotique italienne Valentina conçue par Guido Crepax, Baba Yaga reprend l’histoire de l’un des numéros faisant se rencontrer la photographe investigatrice, Valentina Rosselli, et la légende slave Baba Yaga.
Le passage du neuvième art au septième art est confié à Corrado Farina, réalisateur tout indiqué, ce dernier ayant travaillé sur le screenplay de Diabolik, Zakimort E Selene, et a également réalisé le trop peu cité bien que très réussi Hanno Cambiato Faccia, film d’horreur Faustien.

C’est donc avec une toute nouvelle édition Blu-Ray que l’éditeur français Le Chat Qui Fume parvient à révéler Baba Yaga, conte macabre, tout comme la carrière d’un cinéaste de l’ombre et la silhouette brumeuse de la séduisante Valentina.

L’article autour de l’édition Blu-Ray de Baba Yaga prendra la forme suivante :

I) La critique de Baba Yaga

II) Les caractéristiques techniques de l’édition Blu-Ray

I) La critique de Baba Yaga

Corrado Farina, de la bulle à l’écran

Dès l’âge de vingt ans, Corrado Farina réalise des courts-métrages amateurs. Il en tourne une vingtaine couvrants différents genres représentatifs du cinéma populaire italien allant du film de guerre à la comédie, en passant par la science-fiction, l’horreur et le drame.

Après ses études de droit, il fut embauché comme rédacteur publicitaire. Il se fait la main en tournant de nombreuses publicités, puis se tourne vers le documentaire, jusqu’à se lancer dans le cinéma et réaliser deux films Hanno Cambiato Faccia et Baba Yaga.

Il ouvre un nouveau chapitre de sa vie en 1994 devenant romancier. Sa plume se tournera vers des champs giallesques.
Son ultime travail fut pour le musée du cinéma de Turin, où il tourna en collaboration avec son fils Alberto Farina le documentaire Motore!.

Le Chat Qui Fume All Stars

Baba Yaga réalisé par Corrado Farina renaît grâce à l’éditeur Le Chat Qui Fume, le titre n’a jamais connu sur le territoire français de sortie que cela soit au format DVD ou encore Blu-Ray, ce qui en fait une véritable découverte pour nombre d’entre nous.
Un premier regard qui s’ouvre après quelques années à sillonner le patrimoine cinématographique italien d’exploitation accompagné de notre matou aux poumons tuméfiés.
Les visages commencent à se rappeler à notre bon souvenir, et Baba Yaga se dévoile tel un Expendables du giallo convoquant ni plus ni moins que Carroll Baker, qui interprétait la troublante et captivante Martha Caldwell dans Le Couteau De Glace réalisé par Umberto Lenzi, George Eastman, l’amant sadique du Emmanuelle et Françoise de Joe D’Amato ou encore Ely Galleani, l’hypnotique actrice aux cheveux d’or qui fit une apparition éclair dans Le Venin De La Peur d’un certain Lucio Fulci et que l’on retrouvera devant l’objectif de nombreux cinéastes transalpins de Mario Bava à Damiano Damiani en passant par Joe D’Amato ou bien même Luchino Visconti.
Un véritable bouillon d’acteurs qui ont su électriser notre rétine, et emporter notre palpitant, à de multiples reprises, qui face à la caméra de Farina se trouvent être magnifiés. On pense tout particulièrement aux interprétations ensorceleuses de Baker et Galleani, en sorcière et poupée dominatrices.

Néanmoins, il serait facheux de ne mentionner que ce casting aux allures de madeleine de Proust des amateurs de gialli et cinéma d’horreur à l’italienne, et d’oublier la fascinante Isabelle De Funès, nièce de notre Louis De Funès national, dans le rôle principal du film.
Son interprétation de Valentina nous guide droit au coeur du film, porté par un regard plein de mystère et d’étrangeté, au visage à l’hermétisme charmant. Il est triste de découvrir une telle actrice, destinée à devenir une icône du cinéma italien, tant la performance est mémorable, terminer sa carrière après ce premier rôle principal. Une vie de comédienne éphémère constituée de trois films destinés aux salles obscures et une poignée de TV films.
Une révélation que l’on contemple avec admiration et qui porte ce Baba Yaga bien plus loin que nos attentes, réussissant à emplir la cadre de Farina d’un subtil voile onirique, qui nous ensorcelle, et qui dans ce jeu tout en retenu hypnotise.

Camera Obscura

Le film situe l’action en pleine ébullition culturelle, dans l’Italie des années 70, et intrigue en installant son cadre au carrefour des arts entre photographie, bande dessinée, cinéma et littérature. Le long-métrage se sert des représentations artistiques pour révéler la perception que tout un chacun peut bien se faire du réel.
De la sorte, l’histoire que nous conte Corrado Farina joue sur notre capacité à percevoir le surnaturel, à jouer avec les capteurs extrasensoriels des protagonistes.
On y suit le personnage de Valentina, photographe professionnelle, qui à chacun de ses clichés partage avec le spectateur sa vision intime, charnelle et torturée du monde. Elle travaille dans le mannequinat, y façonne ses modèles en ressentant l’air du temps mais se trouve régulièrement rattrapée par des images au noir et blanc saturés surgissant dans son esprit, faisant cogner le subconscient dans les moindres recoins de ses pensées, traquant sa tranquillité, venant à la mettre en garde. Baba Yaga jette un sort à l’appareillage de Valentina, l’objectif devient l’oeil de la sorcière, le viseur se transforme en porte d’entrée de la psyché de la jeune femme pour la praticienne de la magie noire.

L’appareil photo, camera obscura, venant travailler le réel, le distordre, pour révéler un monde fantasmé est un portail vers le fantastique, le surnaturel et dans le cas échéant … la sorcellerie. La science au service de l’occulte. L’objectif a cette capacité à s’affranchir du monde tangible, perceptible à l’oeil nu.
Le film dresse un portrait silencieux du monde des artistes, et du poète, qui perçoit l’invisible et représente par les arts l’innommable.

Cette dimension que façonne Corrado Farina est stupéfiante, il dépasse les dialogues et réussit à travestir par l’image tout espace rationnel, pour révéler sa nature véritable, pour entrevoir un univers fantastique que l’on se doit de ressentir, qui vient nous habiter et modeler le film dans un schéma qui dépasse de loin nos attentes, faisant de ce spectacle, une échappée sensorielle extatique où nos fantasmes prennent le pas sur le réel, où les forces du bien et du mal se voilent, invitant le spectateur à se mettre à nu dans ce monde où les contes traditionnels, qui nous effrayaient tout comme ils pouvaient nous attirer, s’invitent à nouveau dans nos vies.

Dieu est mort, Thank you Satan

L’Italie des années 70, l’époque des brigades rouges, selon Corrado Farina est divisée, tant de par ses générations, que de par ses aspirations politiques. La jeunesse souhaite s’affranchir du passé, regarder le monde avec un oeil nouveau, et oublier les croyances farfelues des aînés. La religion n’a plus lieu d’être, seul peut exister la science et les arts nouveaux.
La volonté de dépassement est omniprésente, la découverte du cosmos occulte les secrets de la Terre.

C’est dans ce décor que se plante le récit du film et pousse une réflexion sociétale pour la moins intéressante. Les étudiants n’ont pas connu la guerre, veulent s’affranchir des démons de leurs parents. La société est divisée, la jeunesse souhaite bâtir un nouveau temple, loin des rivières de sang et des violences qui ont secoué le pays.
La génération Beatnik a foulé le pavé. Les étudiants rejettent toute dimension religieuse. Dieu est mort, et il va bien falloir construire sans attendre une quelconque rédemption, don du ciel.
Un affranchissement qui se doit d’être vécu en créant de nouvelles bases, de nouvelles icônes. Le cinéaste en profite alors pour jouer sur cette dualité culturelle et générationnelle entre Valentina et Baba Yaga.
Il met, entre autres, en parallèle Godard et l’expressionisme allemand. Le premier en temps que révolutionnaire idéologique, le second comme gardien des savoirs perdus, des sciences occultes, révélateur des ombres.

C’est en faisant la bascule vers le fantastique que l’espace culturel que s’est créé la jeunesse en action, se trouve perdu, donnant au mal les habits que leurs parents avaient su leur inculquer. Les sorcières, se mêlent aux nazis, une brèche surréaliste s’ouvre, Satan n’a plus besoin de se déplacer, l’humanité s’est déjà révélée à la hauteur de son macabre travail.
Farina convoque une danse succulente des genres, se joue des arts pour créer le chaos. Un magma envoûtant entre conte pour adultes, érotisme, naziploitation, cinéma surréaliste et bien évidemment giallo.

Valentina Et Baba Yaga

Le film de Corrado Farina nous plonge dans l’univers de Valentina, à travers l’adaptation du tome 41 de la série et nous comble en affichant un giallo surnaturel à l’esthétique fascinante, un manège au coeur du subconscient, et des arts, qui couvre nos rétines d’une extase non feinte, dépassant les genres et n’hésitant pas à franchir les interdits pour offrir un voyage à la fois excitant et effrayant, sensible et inquiétant

Baba Yaga sans être exempt de défauts, ayant du mal à clôturer une histoire fourmillante de mystères, est un divertissement saisissant qui ne relâche pas un instant le seau maudit qu’il nous a apposé, et ce, pour notre plus grand plaisir.

Baba Yaga est cette oeuvre que Le Chat Qui Fume nous sort de son chapeau sans crier gare, et qui risque bien d’être l’un des fleurons de son catalogue.
Ne manquez pas le rendez-vous avec votre sort, ouvrez grand vos paupières, dilatez vos pupilles, Baba Yaga vous charmera, Baba Yaga vous condamnera.

II) Les caractéristiques techniques de l’édition Blu-Ray

Image :

Note : 8 sur 10.

Le master que nous propose Le Chat Qui Fume est de très bonne facture.

Le film offre de très belles nuances tant dans sa colorimétrie que dans la gestion du contraste. Il est surprenant de découvrir la profondeur du noir lors de certaines séquences, et les couleurs primaires ressortent à merveille équilibrant le cadre avec brio et révélant toute la dimension pulp de la proposition de Farina.

Le niveau de détails est étonnant et décuple l’impact visuel du film, allant ressusciter l’oeuvre et lui donner toutes ses chances pour s’affirmer à l’avenir comme un incontournable du cinéma d’exploitation italien. Le grain de la pellicule a été conservé, décuplant la magie de l’oeuvre en présence, collant à merveille à la proposition.

Son :

Note : 7 sur 10.

La piste Italienne en DTS-HD MA 2.0 mono d’origine proposée fait des merveilles en terme de profondeur et de spatialisation. La musicalité du film envoûte et participe grandement au charme de la proposition. Les voix, quant à elles, ne sont jamais criardes, et trouvent la rondeur nécessaire pour ne jamais accrocher nos tympans.
On prend plaisir à monter le volume pour profiter de la partition de Piero Umiliani.

Néanmoins, à haut volume, un léger souffle se fait ressentir sur quelques séquences.

Suppléments :

Note : 10 sur 10.

Le Chat Qui Fume nous gâte une fois de plus en terme de contenus additionnels :

  • Une sorcière à Milan avec Luigi Montefiori (10mn45) :

George Eastman, Luigi Montefiori de son vrai nom, revient sur son expérience en tant que comédien allant de son arrivée sur le projet à ses relations avec les actrices et le cinéaste en passant par quelques anecdotes autour du financement de l’oeuvre. Un entretien touchant où l’acteur se remémore le film et la bande dessinée Valentina, assisté de son fidèle chien Billy. A voir.

  •  Valentina, Baba Yaga et papa avec Alberto Farina (45mn) :

Le fils du réalisateur dans un long et foisonnant entretien réintroduit la bande dessinée Valentina dans la culture italienne, nous comble d’informations autour de Baba Yaga et revient avec tendresse sur la vie de son père.
Certainement le meilleur supplément de cette édition.

  • Interview radio de Corrado Farina (19 mn)  :

Le cinéaste lors d’une interview radio revient sur sa carrière qu’il analyse en détails. Ce dernier supplément sur sa carrière offre une lumière sur les rares zones d’ombre qui restaient autour de la carrière du réalisateur après les suppléments précédents.
Un plaisir d’entendre le réalisateur parler de ses oeuvres.

  • Scènes inédites (9mn30) :

Contrairement à l’éditeur Shameless au Royaume-Uni qui a décidé de créer un nouveau montage du film optionnel en faisant des inserts, Le Chat Qui Fume a préféré nous apporter les séquences coupées en suppléments.

Les scènes coupées sont très intéressantes, en ce qui concerne les séquences dépassant les vingt secondes, et offrent au film certains détails cruciaux de l’histoire et parfois même de nouvelles pistes de lecture.

  • Court-métrage Mon cher petit journal de Corrado Farina (10mn40) :

A travers le journal pour enfants « Corriere dei piccoli », et ses 60 ans de publication, Corrado Farina forme un montage couvrant six décennies d’histoire, venant rassembler trois générations de lecteur. Le cinéaste s’amuse à croiser les images du journal et des images d’archives, décryptant la place prépondérante de la presse dans la naissances des idées, et la manière de les façonner.
Une histoire de la propagande et de la jeunesse qui estomaque.

  • Court-métrage BD freudienne de Corrado Farina (12mn) :

Un documentaire analysant la bande dessinée et l’importance des fumetti en Italie pour comprendre la société. Une mine de références.

  • Court-métrage BDphobie de Corrado Farina (12mn17) :

Un documentaire sur la place primordiale de la bande dessinée dans l’éducation de la jeunesse. Une analyse qui fait se dresser les jeunes générations et le caractère subversif des bandes dessinées face à une génération d’adultes frustrés et frustrants.

  • Film annonce

Note Générale :

Note : 8 sur 10.

L’édition que nous propose Le Chat Qui Fume pour Baba Yaga réalisé par Corrado Farina est exemplaire tant dans la qualité du master proposé qu’il s’agisse des caractéristiques visuelles ou bien sonores, mais offre également un contenu additionnel fascinant permettant de découvrir Corrado Farina, cinéaste méconnu à la carrière au cinéma éphémère, et qui mérite pourtant toute notre attention.

Baba Yaga est une faille dans le réel qui nous emporte au cœur de nos peurs enfantines entre terreur et excitation, où le regard mystérieux d’Isabelle De Funès guide nos pas dans l’obscurité, et où Caroll Baker en sorcière infernale nous glace le sang, armée de sa poupée de chaire à la parure typée sado-masochiste qui hypnotise, interprétée par Ely Galleani. Obsédant, tout simplement.

Baba Yaga est disponible en Blu-Ray à l’adresse suivante :

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