Réalisateur : Alex Garland |
Acteurs : Jessie Buckley, Rory Kinnear |
Pays : Royaume-Uni |
Genre : Horreur Folklorique |
Durée : 100 minutes |
Date de Sortie : 8 juin 2022 |
Synopsis : Au lendemain d’une tragédie personnelle, Harper se retire seule dans la belle campagne anglaise, espérant y avoir trouvé un endroit pour guérir. Cependant, quelqu’un ou quelque chose dans les bois environnants semble la traquer. Ce qui commence comme une terreur frémissante devient un cauchemar entièrement formé, habité par ses souvenirs et ses peurs les plus sombres.
Cette année à la Quinzaine Des Réalisateurs, un seul film ne fêtait pas sa première mondiale avec le rendez-vous cannois. Une séance spéciale attendue, comble, car elle accueillait le nouveau film de Alex Garland, artiste protéiforme qui hante depuis déjà deux décennies la science fiction, une science-fiction cauchemardesque, aux allures de fin du monde.
Il est l’homme derrière les scénarios de 28 Jours Plus Tard et Sunshine, l’écrivain de La Plage, mais également le réalisateur de Ex Machina ainsi qu’Annihilation.
Avec Men, le réalisateur laisse au large la plateforme Netflix pour revenir tourmenter nos esprits en salles, une condition sine qua non pour se laisser happer par les labyrinthes tout en symboles qu’il nous propose.
La Dernière Maison Sur La Gauche
Harper se rend dans la campagne anglaise pour faire le deuil de son mari. Une relation toxique qui s’est terminée par le suicide de ce dernier. Elle est accueillie par un drôle d’hôte, dans une grande maison de pierre, demeure de l’ancienne bourgeoisie, à la forêt environnante s’étalant à perte de vue.
Alex Garland donne à sa réflexion un nouvel écrin, s’extirpant de la science-fiction, allant tutoyer l’horreur à tendance folklorique. Il garde cependant une thématique récurrente celle du deuil.
Le cinéaste ressort les mêmes couverts que pour Annihilation, ceux de la femme endeuillée, et offre une variation surprenante, la métaphore fantastique y est articulée avec bien plus de simplicité. Men est un film épuré qui parvient à échapper à la surenchère, et supercherie, visuelle d’Annihilation, qui fatalement se perdait entre hypnose de la rétine et labyrinthe narratif abscon.
La nouvelle proposition se recentre sur l’essentiel et permet un parcours bien plus malicieux entre symbolisme et onirisme. Le spectre de Tarkovski y est ressenti de-ci de-là, pour faire entrer le poétique, le surnaturel, l’invisible dans le récit.
Le fantastique pénètre le réel par un tour de passe passe maîtrisé, où nous nous laissons prendre au piège avec curiosité.

Cris Et Chuchotements
Dans cette bourgade désertée où semble ne vivre que l’hôte, où le moindre individu rencontré porte le visage de cet étrange propriétaire, le film prend une tournure suffocante où les grands espaces appellent le vide, poussant la protagoniste principale au renfermement, à l’isolation dans les pièces d’une maison aux formes variables. Nous devenons claustrophobes, l’inconnu qui nous faisait rire, nous rompt les muscles faciaux, vient nous chercher, nous traquer dans nos retranchements. Garland parvient à jouer avec nos nerfs nous faisant tanguer entre humour grinçant et angoisses.
C’est dans cette histoire de traque qui ne cesse d’évoluer que le film puise sa grande force. Il réussit à combiner les lieux à des horizons cinématographiques variés, esquivant les affres de la compilation, taillant un spectacle aux expressions multiples qui une fois son récit simpliste dépassé -le film serait bien fade si nous ne nous amusions pas à gratter tous les indices de lecture que glisse le cinéaste- se transforme en une curieuse œuvre mouvante venant travailler nos analyses pour révéler un récit qui se nourrit des caractéristiques des genres pour composer cette curieuse et terrifiante réalisation. Une mosaïque dissonante s’élève face à nous convoquant humour anglais suffocant, épouvante, home invasion, horreur pour finalement ouvrir les portes du surréalisme s’ancrant dans un final body horror jouissif.
Dans cette substance où les atmosphères ne cessent de glisser avec maîtrise, Alex Garland tisse la texture des rêves, celle où nous ne contrôlons plus le réel, où l’imprévisible devient la règle, où les lois physiques ne répondent à rien, venant se conclure aux portes des cauchemars de Dali, dans un chaos où les matières fondent et les terreurs fusent.

Hansel & Gretel
En jouant sur les espaces, le film se dévoile tel un casse tête infernal, sa structure invite insidieusement les décors à devenir personnages à parts entières. Le jeu de piste qui s’ouvre à nous est fascinant, encore faut-il s’y prêter et dépasser un récit de surface creux qui consternera ceux n’étant présents que pour l’horreur.
En introduisant le personnage d’Harper dans cette maison et ces terres millénaires, Alex Garland invite la carte de la mémoire de la nature, il conçoit un voyage sur ces territoires qui ont connu croyances et légendes, Histoire et contes. C’est par cette stratégie de mise en scène dévoilant des chemins de fer abandonnés, des baraquements de domestiques transpercés par le lierre, des églises catholiques et des pierres pictes taillées à l’image des croyances druidiques que le film gagne en verticalité, faisant des souterrains le lieu des horreurs endormies.
C’est dans ce paramètre druidique que Garland installe l’inconnu, l’horreur folklorique, les croyances pré-christianisme étant peu connues. Seules quelques pierres pictes restent, indices aux milles mystères. C’est dans ce vide historique, que vit l’horreur, dans cette non compréhension du passé des terres emplies de mysticismes.
En conviant ainsi l’Histoire, il confronte le récit de la vie d’Harper au passé des relations hommes-femmes à travers les âges, un parallèle poussant à l’exploration du subconscient pour dépasser le traumatisme. Tous les indices du cinéaste se lient, et l’analyse qui parcourait tout le film sur les relations toxiques prend toute son ampleur.
Men invoque tout à la fois le mythe d’Adam et Eve, que celui des satyres et des nymphes, posant un miroir face à nos civilisations modernes.
Alex Garland structure un cinéma de la confrontation à l’intrigante narration qui ne cesse de dépasser son récit, faisant de ce dernier un simple sous-texte pour aborder les civilisations, remonter les traumatismes millénaires.

Les Hommes Qui N’Aimaient Pas Les Femmes
Men derrière sa coquille de film d’horreur assez moyen se révèle être une réussite de cinéma d’exploration, qui laissera les aventuriers les plus curieux s’enfoncer dans une fange audacieuse et irrévérencieuse.
Si vous êtes là pour la terreur, passez votre chemin, Men n’est pas un film d’horreur conventionnel, il n’est pas là pour le frisson, il n’est pas là pour l’épouvante, il va bien au-delà.
Alex Garland dénude entièrement son cinéma et le hisse dans une dimension ne mâchant plus la lecture, acceptant les labyrinthes où le spectateur pour dépasser l’impasse se doit de pousser la réflexion afin de construire le puzzle d’un film aux nombreux embranchements où il est difficile de différencier le réel du fantastique, où l’acceptation de l’onirisme, de l’invisible est nécessaire pour apprécier pleinement cette curieuse oeuvre aux formes d’un discret mais acide kaléidoscope.