Beau Is Afraid : Critique

Réalisateur : Ari Aster
Acteurs : Joaquin Phoenix
Genre : Drame Hystérique
Durée : 179 minutes
Pays : Etats-Unis
Date de sortie : 26 mars 2023

Synopsis : Un homme paranoïaque se lance dans une odyssée épique pour retrouver sa mère.

Ari Aster est très clairement devenu ces dernières années un cinéaste incontournable, travaillant un paysage cinématographique oublié, lui donnant une enveloppe visuelle nouvelle, manipulant l’esthétique avec rigueur, et dissimulant des éléments de récit dans les moindres recoins du cadre, permettant aux plus aventureux de s’immiscer dans des œuvres bien plus complexes qu’elles n’en ont l’air.
Bien que réticent à certains gimmicks du réalisateur, comme sa volonté de toujours donner au spectateur les clés de son manège à chaque clôture de spectacle, délivrant clairement l’impression de considérer le public comme amoindri intellectuellement, le talent d’Aster en tant que metteur en scène et créateur d’histoires dégénérées reste évident.
Après Hérédité, histoire de sorcellerie, de possession; après Midsommar, réécriture libre hallucinée de The Wicker Man, nous découvrons Beau Is Afraid, labyrinthe psychanalytique kaléidoscopique, faisant s’évanouir l’horreur à tendance fantastique du cinéaste pour tendre vers une terreur du quotidien, autopsiant la psyché d’un individu, ses perceptions du réel et l’enfermement dans des névroses dépassant sa propre existence, fardeau familial séculaire.

Beau Wasserman vit seul dans un appartement miteux, en plein cœur d’une grande ville américaine, il ne sort presque que pour se rendre à ses rendez-vous chez le psychologue. Dehors, le monde semble avoir sombré dans la folie, les individus errent et s’adonnent à toutes les déviances, à toutes les perversions. Beau est un homme traumatisé par le monde dans lequel il évolue, un homme reclus qui n’a pour refuge que sa mère, vivant à des centaines de kilomètres de chez lui.
C’est dans l’agitation, en route pour l’aéroport pour retrouver sa chère génitrice, que ses clés vont disparaître.
Comment partir sans fermer son appartement ?
Face au dilemme de laisser le chaos investir sa demeure ou bien rater le vol pour rejoindre Madame Wasserman, Beau est écartelé, le sol s’ouvre sous ses pieds. En une poignée d’heures, son logement est investi par tous les individus qui hantaient sa rue et sa mère est retrouvée morte, sans tête, écrasée par son propre lustre.
Beau n’a plus rien, Beau est inextricablement attiré par les abysses. La traversée des Etats-Unis démarre, une traversée pour faire ses adieux à sa mère, une traversée cauchemardesque pour contempler l’échec du rêve américain.

Ce troisième long-métrage est très certainement le plus ambitieux du cinéaste mais également le film labyrinthe américain le plus minutieux depuis Under The Silver Lake de David Robert Mitchell.
Aster s’applique à structurer son récit en plusieurs portraits-actes. De la sorte nous découvrons la frénésie des villes dégoulinantes de névroses, de drogues, de crimes, d’individualisme nauséabond, mais aussi, d’ailleurs, les restes du rêve américain et ses pavillons modèles, où le fils est mort à la guerre, et les parents, ainsi que la sœur, subsistent à travers des mélanges médicamenteux savamment dosés pour anesthésier l’esprit, oublier le chaos ambiant, pour finalement, dans un troisième temps, nous réfugier dans les bois à la rencontre des marginaux, des alternatifs, des rêveurs.
Du sang qui coule dans les rues, des vitres qui éclatent jusqu’aux flacons oranges pleins de médicaments en passant par les individus périphériques vivant seulement à travers les arts pour ne plus voir l’enfer, Beau Is Afraid est un fascinant paysage de l’aveuglement du peuple américain quant à ses déviances.
Le réalisateur s’amuse à faire glisser ce présent terrifiant à travers le temps, à la redécouverte des espaces et des chutes pour comprendre l’horreur moderne. Les générations se dévoilent, reflets des individus présents, racines enfouies gardiennes des secrets du naufrage contemporain.
La visite de l’invisible par l’exploration des temporalités est judicieuse tout particulièrement lorsque le duo chilien Cristóbal León et Joaquín Cociña, à qui l’on doit les prodigieux La casa Lobo et The Bones, viennent mettre en scène l’histoire des pionniers, le rapport à la terre et la construction d’une Nation autour du noyau familial. Il s’agit d’une séquence hallucinée et hallucinante, regorgeant de détails, et véritable pivot dans le film, apportant de nombreuses voies de lecture à toute l’odyssée hystérique que traverse l’hypnotique Joaquin Phoenix, et omniprésent jusqu’à l’indigestion dans son jeu sursaturé.

Car au-delà d’être un grandiloquent pamphlet autour du rêve américain, Beau Is Afraid est une terrible visite des coulisses de ce modèle existentiel idéal, tant autour de la famille, que de l’économie.
A la rencontre des bases de tout un système se trouve le cercle familial, socle fantasmé, berceau de toutes les cicatrices, de toutes les fractures. Chaque individu est la résultante d’une descendance complexe, qui bien souvent s’évapore des mémoires, ne restent alors que des portraits traumatiques hantant les photos, les murs, mais qui perdurent tant dans le subconscient que dans les corps, pour des siècles entiers, étant même la graine vers l’anéantissement.
Dans cet affrontement mère-fils, au poids biblique, travaillant donc les embranchements familiaux invisibles, à l’ombre d’un père dévoré par une parente mante religieuse, Beau n’a jamais pris son indépendance, est resté cristallisé dans cette identité infantilisée à qui l’on fait craindre l’environnement pour mieux le posséder.

En croisant ce naufrage américain aux racines des individus, Ari Aster décrypte avec acidité tout un univers qui court vers son auto-destruction, tout un cosmos qui oublie son environnement, vertige égocentrique.
Une vision lucide sur les failles qui nous entourent, venant jusqu’à interroger nos propres comportements. Il y a tout un travail philosophique et réflexif en jeu. De nombreuses pistes s’ouvrent, des cheminements qui ont déjà été empruntés par des réalisateurs tels que Peter Weir, Alejandro Jodorowski, David Lynch, Darren Aronofsky, Charlie Kaufman et même Richard Linklater, et qui ne sont pas juste vulgairement utilisés mais bien plutôt réappropriés venant trouver une synthèse des cinémas, venant à se greffer sur l’univers déjà imposant d’Ari Aster.
Une proposition extrêmement riche se dévoile durant près de trois heures, appelant à une dimension d’oeuvre exigeante, mystique, chargée en symbolismes, qui perd en stabilité et en ingéniosité dans sa clôture, appuyant toujours plus ses réflexions, qui étaient déjà pachydermiques, et nous prend la main pour nous décrypter de fond en comble le mystère de l’oeuvre, TIC du cinéaste qui une nouvelle foi semble douter de nos capacités, en usant d’une très embarrassante scène de jugement, pompeuse, au beau milieu des flots.

Beau Is Afraid est un film important dans la carrière d’Ari Aster, peut-être même une oeuvre charnière, qui réutilise de très nombreux motifs passés, arquant une véritable grammaire cinématographique propre au cinéaste, s’évadant de l’horreur, pour tutoyer l’absurde et travailler des terreurs viscérales propre à la nature humaine, aux sociétés qui en sont nés et magnifiant un véritable savoir-faire technique.
Néanmoins, bien que caressant le statut de film incontournable, peut-être même de chef d’oeuvre, Beau Is Afraid est rattrapé par la manie du cinéaste à refuser de nous laisser explorer totalement les métaphores visuelles en présence, à nous laisser gamberger sur ce fascinant jeu de piste, doutant toujours de l’intelligence de son public, et cédant aux épilogues pompeux et explicites, faisant s’évaporer tout un mystère, toute une aura.
Reste que Beau Is Afraid fera parler, couler de l’encre, sera sujet à de nombreuses analyses et espérons-le ouvrira la porte pour que tout un cinéma américain puisse se réinventer.

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