« Oh, Canada » réalisé par Paul Schrader : Critique

Synopsis : Un célèbre documentariste canadien, condamné par la maladie, accorde une ultime interview à l’un de ses anciens élèves, pour dire enfin toute la vérité sur ce qu’a été sa vie. Une confession filmée sous les yeux de sa dernière épouse…

Après un maladroit mais envoûtant The Master Gardener, Paul Schrader arrive sur Cannes avec un intrigant film, entretien d’un grand cinéaste-documentariste fictif en proie à la maladie, regard dans le rétroviseur entre rêves de vies, déformation du réel, et souvenirs troubles.
Un voyage du temps qui dans son speech rappelle un certain Millenium Actress, prodigieux film d’animation japonais réalisé par Satoshi Kon, qui jouait déjà la carte de l’entretien, de l’échappée fantasmagorique revenant sur une existence artistique toute entière.
Pour conter ces derniers instants, Schrader a concocté un étonnant duo Richard Gere-Uma Thurman, l’artiste et son épouse, le tout en adaptant une œuvre littéraire de Russel Banks.
À Cannes, l’attente est grande, les billets difficilement accessibles. La salle se tapisse de ses habits de nuit et les applaudissements retentissent.

Cependant, dès les premières minutes, quelque chose cloche dans ce Oh, Canada, une construction, de récits et d’images, qui questionne.
La plastique est glacée, plate, se détournant d’un traitement cinéma et rappelle l’esthétique de productions tournées et expédiées en quelques semaines du côté des plateformes de streaming.
Le film vivote sur certains clichés et s’effondre la plupart du temps, perdant tout aspect cinétique, perdant toute attirance vers le propos. L’image dessert le récit.
Schrader a beau passer du noir et blanc à la couleur, jouer des contrastes et des saturations pour structurer le temps dans le récit entre passé, présent et réalité déformée, l’ennui et le désintérêt se déploient assez rapidement.

Le cinéaste prend des raccourcis en matière de mise en scène, joue de quelques expérimentations, comme l’anachronisme des visages, et emprunte des chemins assez désespérants.
Son inspiration est en retard de plusieurs décennies, et surtout, ce Oh Canada ne raconte que peu de choses.
La proposition passe en grande partie à côté de son récit, ne se perd pas, nous aurions préféré l’errance, et oublie son propos, oublie son espace, son temps et n’est que parade d’inepties.
De la fin de vie à la puissance des souvenirs pour laisser traces d’une existence, Schrader ne sait quoi raconter, use de structures sous forme de catalogue, et ce ne sont pas les fractures temporelles en cache misère pour relancer le dynamisme de la narration qui vont arranger cette petite affaire.
Les minutes s’écoulent et la tornade Millenium Actress revient à nos esprits.
Oh, Canada est risible, caricatural et ostentatoire. Il se roule dans la fange d’un cinéma faussement populaire, faussement auteurisant, faussement créatif, faussement artistique. Il se jette sur toutes les gamelles et rate l’entièreté des contenus.

De plus, lorsque l’on pouvait espérer au moins se rattraper du côté des acteurs, estimés mais pas nécessairement appréciés chez Kino Wombat, la chute se fait alors fracassante.
Les performances sont hasardeuses, les effets du temps misérables et l’on se demande si Richard Gere croit lui-même au film.
Du côté de Uma Thurman, c’est un désert, un spectre.

Comme si ce n’était pas assez pour nous asséner le coup de grâce, Schrader conclut son récit avec une surenchère émotive exécrable, spectacle tire-larme, qui ne nous fait que tirer la gueule.

Paul Schrader signe un bourbier inattendu, un espace de création qui se noie dans son peu d’écriture, dans son néant.
Oh Canada est un naufrage absolu, autant pour son cinéaste, Paul Schrader, que pour ses acteurs, Uma Thurman et Richard Gere.
Pour le premier, on ne s’inquiète pas, bien que l’erreur de fin de parcours soit terrifiante, pour les deux autres c’est le signe des ténèbres.

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