« The Substance » réalisé par Coralie Fargeat : Critique

Synopsis : Avec The Substance, vous pouvez générer une autre version de vous-même, plus jeune, plus belle, plus parfaite. Il suffit de partager le temps. Une semaine pour l’une, une semaine pour l’autre. Un équilibre parfait de sept jours. Facile n’est-ce pas ? Si vous respectez les instructions, qu’est ce qui pourrait mal tourner ?

Coralie Fargeat… Coralie Fargeat…
Ce nom méconnu a eu une drôle de résonance lorsque Thierry Frémaux a annoncé la venue de la cinéaste en compétition au Festival De Cannes. Une annonce d’autant plus troublante car la cinéaste française a pour tête d’affiche un envoûtant duo Demi Moore-Margaret Qualley.
Revenge, son premier long-métrage, est sorti depuis déjà 6 ans et la carrière de la cinéaste nous semblait jusqu’ici au point mort, ou en tout cas très loin d’une possible sélection cannoise en compétition.
Le premier film de la cinéaste, nauséeux, craspèque et redoutablement violent avait soulevé nos petits coeurs, Rape & Revenge poussif et hyperstylisé.
Un souvenir foudroyant est d’ailleurs resté ancré, une séquence charnière pour saisir la frénésie Fargeat : une scène de cautérisation avec les restes d’une canette sous les effets d’un peyotl, drogue hallucinogène effaçant tout stimuli douloureux.
La cinéaste devenait le symbole d’un cinéma rageur, irrévérencieux et à la violence graphique totale.

Alors, à quoi s’attendre six ans plus tard, avec le souvenir étrange d’une cinéaste française qui osait l’outrance, le mauvais genre, le tout avec une conviction surprenante.

Hollywood, Elisabeth Sparkle, lauréate d’un oscar de la meilleure actrice durant sa jeunesse, vient de fêter sa cinquantaine.
Aujourd’hui, les studios l’ont oublié. Elle anime une émission d’aérobic sur une chaîne de télévision.
Sa routine est monotone, les rêves lointains. Lorsque le patron de la chaîne lui annonce la fin de son créneau pour mettre en avant une animatrice plus jeune, Elisabeth Sparkle s’effondre. Au volant de son véhicule, distraite par ce coup du sort, elle est percutée par une voiture.
A l’hôpital, son corps ne présente aucune séquelle. Un interne lui glisse une clé USB dans la poche.
A l’intérieur de la clé, la présentation d’un prodigieux programme de jouvence, un traitement pour trouver la meilleure version de soi.
Elle suit le protocole, s’injecte une première dose et s’effondre.
Son dos se déchire, dévoile une plaie béante, de cet obscur espace de chair naît Sue, son alter ego.

Face à The Substance il y a une remontée acide de tout un cinéma d’horreur, une mosaïque référentielle ne reculant devant aucune démesure.
Le film repose sur de nombreux codes du cinéma d’horreur 80s, avec une tendance majeure au body horror, espace d’expression distordant la chair, les organes, pour mener à la naissance du monstre qui sommeille en nous.
Il y a alors tout autant Re-Animator, et plus largement le cinéma de Stuart Gordon, que la folie orgiaque de Society, et la fusion des chairs chez Brian Yuzna.
Si ces deux références ont continuellement traversé nos pensées, il est également très difficile de faire abstraction de thématiques à la Cronenberg qui ne cessent d’infuser, de la première à la dernière seconde du long-métrage.
Ces références plastiques et réflexives en matière d’horreur sont également portées par des fulgurances renvoyant directement à un cinéma cynique et profondément gore. Le spectre des productions Troma de Lloyd Kaufman est en présence, on pense fortement à Troméo et Juliet, mais aussi à toute l’hystérie d’oeuvres bis telles que Basket Case ou bien Frankenhooker. Le plaisir est total pour tout amateur de distortion des corps, de fluides crasses et de monstruosités filmiques.

L’écriture du film, et la ligne narrative, sont quant à elles plus conventionnelles, moins sauvages et surprenantes que la plastique de l’œuvre. De nombreux tricks scénaristiques semblent tout droit sortir d’un épisode de Black Mirror, souhaitant avant tout impressionner plutôt que de construire. La trame principale recycle grandement, parfois pompeusement, l’oeuvre d’Oscar Wilde : Le Portrait De Dorian Gray.
Un pur produit de l’image est proposé à la rétine, à grand coup d’esthétique glacée, de colorimétrie saturée et de séances d’aérobic déliquescentes.

Les corps se déhanchent. La cinéaste sait saisir le regard, enfoncer l’œil dans les corps.
Sa fascination pour la peau transparaît, les gestes sont décuplés par une caméra invasive, intrusive, si proche de son sujet qu’elle le pénètre presque.
Des motifs renvoient d’ailleurs à certains plans du cinéma de Peter Strickland, plus particulièrement à Flux Gourmet.
Tout un star-system prend forme, et la réalisatrice met en scène la décadence de cette industrie en putréfaction, monde s’élevant sur une pyramide de cadavres constituée de corps de femmes.

Les femmes sont en compétition, se nourrissent de la moelle d’anciennes stars pour être sous le feu des projecteurs le temps d’un show, d’une nuit, jusqu’à elles-mêmes finir par être dévorées.
Cependant, et bien que le film soit plein d’un sous texte féministe, il ne porte jamais un regard misandre, cible des déviances mais ne condamne pas, travaille à démasquer le voisin, le patron, les toxiques, ceux qui débordent sur les bordures intimes.
Les femmes survivent par leurs courbes jusqu’à un certain âge, les hommes, eux, ventripotents et sur la fin, usent des corps féminins pour le profit, le sexe, la gloire.
Les vampires existent et ils ont la crevette molle.

Fargeat conserve certaines idées déjà observées dans Revenge en terme de réalisation.
Elle aborde la dimension sonore du film à la manière du cinéma expérimental, décuplant les mastications, laissant quasiment entendre les mouvements de caméra, et propulsant les moindres sonorités dans le spectre du cadre pour le transpercer, malmener nos tympans, mettre en déroute nos sens, retourner les organes, ce qui constitue de nouveau une zone de contact avec la sensibilité de Peter Strickland.
Ce travail de l’ambiance sonore est accentué par un montage survitaminé et des captures d’images si proches des sujets qu’ils en perdent leurs proportions, deviennent matières surréalistes.

De par cette radicalité formelle, The Substance parvient à glisser sa philosophie par-delà l’horreur, à témoigner de l’injonction à la beauté, au sacrifice de l’âme par le corps, pour répondre aux demandes fétides d’une gente masculine directrice, pour répondre à une demande consumériste où la matière première est l’être humain, plus particulièrement le corps des femmes et leurs jeunesses.
Le message est là, rutilant, poussif, incontournable.

La finesse n’est pas le mot qui définirait au mieux la plume de Fargeat. Elle préfère avancer, avec ses gros sabots, sans jamais douter, en ligne droite, sans créer de mystères et alimente l’attention du spectateur à coup de surenchères.
Cette science de l’excès, menant au dégoût tout comme à l’hypnose, est un levier important chez Fargeat, une manière de prendre le monde en pleine face, sans pincettes, avec un tracto-pelle.
The Substance n’essaie à aucun moment de glisser les idées par la métaphore, la sémantique est si pachydermique que le film en devient assez caricatural. Dans The Substance, le temps de penser est révolu, le moment de subir, de se confronter, en apnée, est arrivé.

Les corps se disloquent. On assiste à la naissance d’un nouveau monde qui passe par le naufrage de ses icônes, qui passe par l’aliénation du corps et de l’esprit. L’impasse est là, les cris enfouis dans la carcasse sont vomis.

Les corps se flétrissent. Le regard ne peut plus s’échapper, observons le chaos, Kali Yuga fait de charognes, laissons le nous asperger, nous taillader, nous démembrer. L’heure est au sacrifice et Coralie Fargeat invite à l’ultime cérémonie.

Coralie Fargeat ne propose ni issue, ni redemption, seulement un constat d’une industrie et d’un monde fait de pourrissements.

Alors, face à un monstre aussi difforme que libre, on sort circonspect de la séance, on jubile de par tant d’audace, de fureur et d’outre-passements de codes.
Il est difficile d’avoir les idées claires et de faire naître une pensée nuancée.
Et pourtant, The Substance sous sa carcasse vomissant des litres d’hémoglobine, et avec son esthétique grotesque, grandit en nous, dépasse de loin le spectacle de surenchère offert et se transforme en un étrange objet réflexif sur la société, le corps des femmes, le beau et les vicissitudes engagées par les protocoles destinés à faire des êtres de véritables objets de culte, de consommation.
Fargeat réussit, là où Titane se vautrait à force de caresser sa vision auteurisante abscon, à toucher le coeur de son message, à offrir un monde de chair et de sang, soulevant la peau, les glaçages pour révéler le monde sans artifices.

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