Réalisateur : Jacques Rivette |
Acteurs : Marianne Denicourt, Nathalie Richard, Laurence Côte |
Genre : Comédie Musicale |
Pays : France |
Durée : 169 minutes |
Synopsis : C’est l’histoire de 3 jeunes femmes à Paris, au cours de l’été 1994. Ce sera le récit de leurs aventures dans l’espace de la capitale. Dans les rues, les jardins, les dancings, les bibliothèques ou les ateliers… moins peuplés que d’ordinaire, partout la vie est un peu ralentie par les vacances et la chaleur…
Depuis 2015 et la sortie exceptionnelle d’une édition intégrale de OUT 1 par Carlotta, le cinéma de Jacques Rivette a connu un nouvel élan dans le paysage éditorial hexagonal. Nous avons depuis eu la chance avec le travail de trois acteurs majeurs du cinéma français, à savoir Carlotta, Studiocanal et Potemkine, de (re)découvrir le monde mystique et mystérieux du plus discret et méconnu réalisateur de La Nouvelle Vague.
La totalité des œuvres charnières du cinéaste réalisées durant les années 70 où il développe ses mécanismes et schémas, serpentant et cartographiant avec fièvre les rues de Paris, avec Balzac comme guide céleste, ont connu des restaurations et sorties au format Blu-Ray.
Là où les années 60, 80 et 2000 sont assez peu représentées, pour le moment, Potemkine semble s’atteler à la ressortie des films du cinéaste sortis durant les années 90. Il y a tout d’abord eu Jeanne La Pucelle, ressorti dans une édition inattendue en 2019, puis sans prévenir sont apparus Haut, Bas, Fragile ainsi que Secret Défense, œuvres difficilement visibles jusqu’aujourd’hui.
Nous reviendrons sur l’édition Blu-Ray d’Haut, Bas, Fragile de la manière suivante :
I) La critique d’Haut, Bas, Fragile
II) Les caractéristiques de l’édition Blu-Ray

I) La critique d’Haut, Bas, Fragile
Jacques Rivette, le mystique de La Nouvelle Vague
Jacques Rivette, bien que connu des cinéphiles, est très certainement le plus méconnu cinéaste de La Nouvelle Vague, réalisant de nombreux longs-métrages sans jamais connaître la lumière médiatique qu’ont pu avoir ses camarades acquis à la révolution du cinéma de Jean-Luc Godard à Agnès Varda en passant par François Truffaut, Eric Rohmer ou encore Alain Resnais.
Certaines de ses oeuvres ont su traverser le temps de par leurs caractères scandaleux (La Religieuse réalisé en 1966), expérimental (Out 1 réalisé en 1971) ou encore de par leurs célébrations publiques et critiques (La Belle Noiseuse réalisé en 1991, Grand Prix du Festival De Cannes).
Jacques Rivette n’a cessé tout au long de sa carrière de manipuler et travailler la forme et le fond de ses réalisations, devenant une réincarnation moderne de Balzac dans sa manière d’interconnecter les protagonistes. Ses films sont traversés par un fascinant mysticisme qui fait s’élever ses récits de recherche, de jeux de pistes, vers une perception du monde, et des êtres, unique.
Tout comme l’a souligné Dora Musy, la filmographie du cinéaste ramenée autour de 22 œuvres allant de Aux Quatre Coins jusqu’à 36 vues du Pic Saint-Loup, se trouve interconnecté avec les 22 arcanes du Tarot de Marseille et les 22 lettres hébraïques qui expriment l’univers. Une vision qui lorsque l’on commence à creuser, fouiller le cinéma du réalisateur prend tout son sens.
Partir à la rencontre du cinéma de Rivette, c’est partir à la rencontre de soi, des autres, de l’invisible, du monde, du surnaturel mais surtout de l’éternité.
Paris, jeux de pistes et de vies
Rivette pour Haut, Bas, Fragile opte pour la configuration qu’il expérimente depuis OUT 1, à savoir, des déambulations dans les rues de Paris à la recherche d’une vérité, d’un parent, d’une communauté secrète ou d’un sens à l’existence même. A la manière d’un roman de Balzac, une kyrielle d’individus, parfois diamétralement opposés socialement ou économiquement, se rencontrent jouent un rôle dans la vie des uns et des autres réussissant à retransmettre toute la complexité des relations humaines, la comédie humaine respire.
Après plusieurs décennies à offrir des cartographies de la ville et des destins entrecroisés, parfois maudits, d’autres fois miraculés, le cinéaste français réussit à composer son oeuvre la plus juste et pertinente, depuis Julie Et Céline Vont En Bâteau, dans cette organisation vertigineuse de jeu de pistes dont seul lui détient le secret. Haut, Bas, Fragile ne se perd pas en guidant ses personnages dans l’impasse, bien que d’une durée conséquente, du haut de ses 169 minutes, le regard de Jacques Rivette va à l’essentiel, se concentrant sur un trio de femmes que tout oppose et que les différences amèneront à ouvrir des portes qui paraissaient closes, parfois même invisibles, depuis de nombreuses années.
La narration, partagée de manière égale, entre les trois personnages principaux du récit fascine et guide nos esprits dans des lieux, connus des amateurs du cinéaste, et réussit à les faire vivre à nouveau, leur offrant une nouvelle vie, de nouveaux mots, de nouvelles danses, une nouvelle poésie.

Rivette’s Angels
Le trio d’actrices, formé par Marianne Denicourt, Laurence Côte et Nathalie Richard, réussit à capturer la jeunesse d’un instant donné, l’été 1994. On y découvre un triptyque de personnages qui intrigue, souhaitant rompre avec leur passé, pour se réinventer et se libérer d’une prison héréditaire à la fois sociale, économique et humaine. De l’ancienne pickpocket reconvertie en livreuse, libérant l’ombre fataliste laissée par Robert Bresson avec Pickpocket en 1959, jusqu’à la jeune femme sans parents, sans passé, documentaliste déterminée à retracer le temps et l’histoire pour se sauver du vide en passant par une rescapée d’un coma d’une durée de cinq ans souhaitant résoudre le puzzle de son absence, Jacques Rivette dessine un monde de femmes criant leur indépendance, loin d’un monde d’hommes conspirationniste, véreux ou bien pire : gardien des secrets.
Haut, Bas, Fragile est une bénédiction pour les spectateurs, un chant d’espoir pour s’évader de situations, cases, prédestinées à chaque individu, et tout particulièrement aux femmes qui lorsqu’elles affrontent leur passé se trouvent bien souvent confrontées à un gardiennage, allant tirer sur le copinage, au faciès masculin pour garder les ruines d’une civilisation dépassée, en voie de s’écrouler.
De leurs libérations, Jacques Rivette déverse sa poésie aux formes labyrinthiques qui semblant par moment nous égarer, maîtrise avec virtuosité une écriture complexe qui cependant de par ses interprètes et son montage se révèle d’une limpidité effarante. En tissant des tas de nœuds avec les trajectoires que prennent les protagonistes, le cinéma de Rivette, et tout particulièrement Haut, Bas, Fragile démêle des problématiques sociales aux enchevêtrements troublants avec une facilité déconcertante, prenant la forme d’une enquête à la recherche de l’inconnu, ouvrant la voie à une proposition aux expérimentations multiples et singulières, qui parvient à se révéler dans ce film par le biais d’une mise en scène musicale et chantée stupéfiante.
Chantons les mystères
Dans son jeu de pistes, enquête vers des ailleurs rêvés, le réalisateur français propose de dépasser les silences qui nous enferment, qui gardent les secrets à jamais, nous cloîtrant dans des prisons de verre où l’on perçoit mais ne comprenons plus nos interactions avec le monde et les êtres, en optant pour un virage en direction de la comédie musicale. Cependant, contrairement au cinéma de Jacques Demy, Haut, Bas, Fragile reste mesuré dans sa dimension mélodieuse et use de la chanson comme de clés dans les relations humaines, un moyen de transgresser les lourds silences, de dévoiler l’amour, la colère tout comme comme les doutes.
La venue de ces segments musicaux se veulent alors comme des nuances subtiles, mettant en relief l’aventure que nous propose le film. Cette configuration élève l’oeuvre vers des sommets de cinéma, parvenant à déjouer le piège dans lequel s’était enfoncé Jacques Rivette en 1988 avec La Bande Des Quatre qui se perdait dans une démonstration chaotique où les mots n’arrivaient pas à porter l’intrigue et noyaient le spectateur.
Il fait, ici, avec Haut Bas, Fragile, l’expérience du mot juste, celui qui touche les âmes, reprenant la route poétique qu’il a tissé tout au long de sa carrière.
De plus, la musique n’intervient pas seulement pour faire avancer le récit, dévoiler le mystère, elle accompagne nos protagonistes, les définit.
Là où Duelle, réalisé en 1976, semblait avoir tracé une piste dans laquelle David Lynch avait su trouver un terreau fertile pour la naissance de ses oeuvres désormais connues de tous, Jacques Rivette semble avoir vu passer sur sa télévision un certain Twin Peaks et son club musical, le Roadhouse, liant les histoires, les récits et les cœurs.
Dans Haut, Bas, Fragile, nous découvrons trois salles de concert, chacune représentative de l’une des protagonistes, allant du cabaret au club chic, en passant par le bar à scène musicale. Ainsi, en croisant le destin des personnages dans ses lieux divers, le film fait pénétrer et s’imprégner les personnages du capital culturel et émotionnel des autres protagonistes. A la découverte de ces lieux complémentaires, les personnages vont alors pouvoir dépasser les geôles dans lesquelles elles ont grandi et perdu leur esprit critique, leur liberté.
Haut Bas Fragile, une équation pour la liberté
Haut, Bas, Fragile fait parti des essentiels du plus mystérieux des cinéastes de La Nouvelle Vague. Le film réussit à synthétiser des décennies d’expérimentations allant de la narration, aux partis pris visuels jusqu’au jeu d’acteurs si singulier que le réalisateur a fait mûrir avec sagesse et finesse.
En optant pour un virage vers la comédie musicale, Jacques Rivette décuple le champ poétique, qu’il entretient si précieusement dans chacune de ses propositions passées, émerveille; offrant avec Haut, Bas, Fragile un cinéma de tous les possibles, un poème à la vie, un chant à l’espoir, un cri à la liberté.

II) Les caractéristiques de l’édition Blu-Ray
L’édition conçue par Potemkine s’ancre dans le style visuel des œuvres déjà sorties par l’éditeur français à savoir : Céline Et Julie Vont En Bateau, Le Pont Du Nord et Jeanne La Pucelle.
Potemkine a eu la bonne idée de retravailler le visuel de l’oeuvre, abandonnant une affiche historique fade et d’un goût pour le moins douteux, pour offrir tout en simplicité un visuel pertinent et attirant, .
Image :
Le nouveau master 4K que propose Potemkine est exemplaire, apportant une jeunesse fascinante au film faisant redécouvrir ses cadres, ses couleurs et son énergie. Le niveau de détails donne à l’image un caractère vivant, organique, qui respecte l’image pellicule et accompagne avec merveille l’ambiance de l’oeuvre. Un travail autour du piqué qui se trouve magnifié par une colorimétrie pointilleuse qui fait ressortir les couleurs vives avec maestria et apportant des contrastes formidables à l’architecture de plans.
Son :
Potemkine propose une piste Français DTSHD-MA 2.0mono.
Cette dernière bien qu’offrant un mixage équilibré entre voix, agréablement mises en avant, et arrangements sonores surprenants, contrairement à d’autres restauration des films de Jacques Rivette, se retrouve face à un problème qui pourra gêner l’appréciation des parties musicales. Les instruments à vents parfois criards poussent à baisser le volume général afin de préserver nos tympans.
Néanmoins, bien que s’agissant d’une oeuvre teintée de comédie musicale, les pistes sonores qui viennent chatouiller le pavillon ne sont pas légions et la lecture de l’oeuvre en reste confortable, révélant même une rondeur surprenante.
A noter que l’édition propose une version en audiodescription mais également pour sourds et malentendants. Une direction éditoriale paraissant essentielle, mais qui n’est pas de mot d’ordre de toutes les éditions que l’on peut rencontrer.
Enfin Potemkine a eu la très bonne idée d’ajouter des sous-titres anglais afin d’atteindre un public dépassant les frontières hexagonales et permettant de découvrir le cinéma de Rivette à travers le monde, ou tout du moins pour les possesseurs de lecteurs zone B.

Suppléments :
Les suppléments de l’édition de Haut, Bas, Fragile sont proposés sur un DVD, présent dans l’édition du film. Ce dernier contient :
- Analyse du film par Pacôme Thiellement (39′) :
En partant des textes de Péguy, d’un rapide clin d’oeil à Balzac et d’une mise en parallèle avec Julie Et Céline Vont En Bateau, Pacôme Thiellement, décrypte et analyse les personnages, les axes narratifs, les schémas récurrents. Il dissèque la relation entre les trois personnages, la balance entre les protagonistes.
L’essayiste ne cesse de voyager dans la filmographie de Rivette pour aborder avec précision Haut, Bas, Fragile. Sa manière d’ausculter le film dans les moindres recoins croisant les dissonances instrumentales au jeu des actrices, des acteurs, à leurs relations tout en définissant l’approche enfantine, rêvée, de la comédie musicale, est impressionnante.
Pacôme Thiellement réussit à prolonger l’expérience du film avec brio et ouvre des portes amenant le spectateur à se replonger au coeur du film mais également de la filmographie toute entière du cinéaste. Une très grande réussite.
- Extraits du film commentés par les acteurs (26′) :
Les actrices et acteurs reviennent sur des séquences du film avec passion et ne cessent de se rappeler les conditions de tournage et le travail avec Jacques Rivette. Les interprètes sont présents en voix off pour disserter sur leurs souvenirs, , échappant à la lourdeur des commentaires audio s’étirant parfois trop. Le dosage est ici parfaitement calibré. Le supplément est touchant, réussissant à montrer les coulisses d’une oeuvre enchantée et enchanteresse où la la légèreté estivale semble avoir touché les moindres interprètes de l’oeuvre.
- Interview de Jacques Rivette par Frédéric Bonnaud (9′) :
Document d’archives où Jacques Rivette, dans un bistro, revient sur l’origine du film, le choix du casting ainsi que le caractère collaboratif de l’écriture du film avec le trio d’actrices. La proposition est brève, rebondit sur un contenu déjà abordé dans les autres suppléments, mais voir Rivette nous parler avec une telle légèreté d’Haut, Bas, Fragile est un moment pour le moins agréable.
- Entretien autour du scénario (27′) :
Document d’archives particulièrement pointu où le scénario est déconstruit, expliqué pour mesurer pleinement la dimension collaborative et libertaire de l’oeuvre. Les actrices ayant participé à la création de leurs propres personnages offrent leurs vues sur la façon dont a été bâtie l’oeuvre.
Un supplément qui complète à merveille tout ce qui a été abordé dans les précédents bonus. Une édition pointilleuse et fascinante.
- Bande-Annonce
Note globale :
L’édition d’Haut, Bas, Fragile est exemplaire et se révèle indispensable pour toutes les personnes friandes du cinéma de Jacques Rivette. Au-delà d’une restauration la proposition que fait Potemkine relève de l’exhumation tant le travail apporté, avec un sens du détail accru, permet de redécouvrir une oeuvre parfois secondaire dans la carrière du cinéaste et qui pourtant désormais semble essentielle.
L’édition Blu-Ray de Haut, Bas, Fragile est disponible aux adresses suivantes :
- https://store.potemkine.fr/dvd/3545020073100-haut-bas-fragile/
- https://www.cinefeel.fr/dvd/3545020073100-haut-bas-fragile/
L’édition DVD de Haut, Bas, Fragile est disponible aux adresses suivante :