Journal Intime : Critique et Test Blu-Ray

Réalisateur : Márta Mészáros
Acteurs : Zsuzsa Czinkóczi, Jan Nowicki, Anna Polony, Ildikó Bánsági, Pál Zolnay
Genre : Drame
Pays : Hongrie
Date De Sortie (Salles) : 1984
Date De Sortie (Blu-Ray/DVD) :
2021
Durée : 106 minutes
Grand Prix du Jury au festival de Cannes, 1984
Hugo de bronze au festival du film de Chicago,  1984
Sélection Cannes Classics, 2021

Synopsis : Ayant perdu père et mère en Russie, pendant les purges de Staline, la jeune Julie revient en Hongrie accompagnée de ses grands-parents. La famille est hébergée chez Magda, femme célibataire qui occupe une position de pouvoir au sein du régime en place. A l’écart du monde extérieur, Julie se sent de plus en plus opprimée par Magda et par l’atmosphère qui règne à la maison. Se réfugiant dans ses souvenirs d’enfance et dans le cinéma, elle finit par entrer en contact avec János, jeune ingénieur qui représentera sa seule issue pour sortir de ce monde où elle est enfermée.

Depuis quelques années, l’industrie cinématographique, à l’image de la société se met à muter, se transformer vers une vision égalitaire des sexes et des genres. Du fait, de son orientation presque unilatéralement masculine, le siècle qui a vu naître le septième art a mis en lumière une perception du monde à travers le cinéma, grandement portée par celle des hommes, laissant les rares réalisatrices au statut de fantômes que l’on veut bien sortir pour apporter le mirage d’un art représenté de manière égalitaire. Cependant en dehors des biens connues Agnès Varda, Jane Campion ou encore Chantal Akerman, le constat est effarant, et révèle un véritable problème de société dans l’accès à la création cinématographique pour les femmes.

Bien que la transformation soit lente, de nouveaux noms ces dernières années, sortent de terre et actionnent une métamorphose du champ cinématographique international avec Céline Sciamma, Jodie Foster, Sofia Coppola, Claire Denis, Kelly Richardt, Mati Diop, Greta Gerwig, Kathryn Bigelow, Chloé Zhao, Maïwenn, Mia Hansen-Love, Noémie Lvovsky, Ana Lily Amirpour ou la très récemment couronnée par une Palme D’Or Julia Ducournau.
Une évolution tirant vers une transformation future de l’industrie des films qui est appuyée depuis quelques temps par un véritable sursaut dans le milieu de l’édition vidéo hexagonal.
En fondant un partenariat, Elephant Films, Splendor Films et Extralucid Films, ont lancé la collection Les Soeurs Lumière venant à exhumer les œuvres perdues de femmes réalisatrices. Les premières sorties ont déjà mis à l’honneur Alice Guy-Blaché (1873-1968), Dorothy Arzner (1897-1979) et prochainement révéleront Property (1979) réalisé par Penny Allen puis Old Joy (2006) réalisé par Kelly Richardt.

Cet élan de sauvegarde du patrimoine cinématographique est également la pierre angulaire de Clavis Films, éditeur spécialisé dans les horizons hallucinés hongrois et polonais, qui met à l’honneur en cette année 2021 la réalisatrice Márta Mészáros.
La cinéaste originaire d’Hongrie a été récompensée tout au long de sa carrière par de nombreux prix internationaux prestigieux allant du prix FiFPRESCI jusqu’au Grand Prix Spécial Du Jury au Festival De Cannes 1984. Cependant sa filmographie est restée presque invisible durant de longues années, n’ayant presque pas eu l’honneur de sorties DVD, à l’exception de deux titres.
C’est un drame dans l’histoire du cinéma que Clavis Films, mené par Simon Shandor, s’est alors fait un plaisir de panser en sortant plusieurs films restaurés en 4K, Neuf Mois (1976), Elles Deux (1977), Journal Intime (1984) et 2K avec La Belle Et Le Vagabond (1970) ainsi que Cati (1968).

Nous reviendrons aujourd’hui autour de l’édition Blu-Ray de Journal Intime, Grand Prix Spécial du Jury au Festival De Cannes 1984 et Hugo Bronze du Festival International du film de Chicago 1984, que propose Clavis Films.
Le film est aussi connu en France sous le titre Journal à Mes Enfants. Un titre plus facilement associable à sa trilogie autobiographique Naplo également constituée des films Journal à Mes Amours (1986) et Journal Pour Mon Père Et Ma Mère (1990).

Cette restauration de Journal Intime a été sélectionné à Cannes Classics 2021.

L’article prendra la forme suivante :

I) La critique de Journal Intime

II) Les caractéristiques techniques de l’édition Blu-Ray

I) La critique de Journal Intime

Márta Mészáros, le témoignage caché d’une Hongrie secrète

Márta Mészáros a réalisé 12 longs-métrages entre 1968 et 2009. Elle fait partie de « La Nouvelle Vague » du cinéma d’Europe de l’Est qui naît à la fin des années 60 aux côtés de réalisateurs tels que Věra Chytilová, Jan Němec, Miloš Forman, Károly Makk ou encore Miklós Jancsó, avec qui elle fut mariée.

Sa vie marquée par la fuite, avec ses parents, de son pays natal pour l’Union Soviétique dû à des appartenances politiques divergentes de celles de la politique dictatoriale de Miklós Horthy, puis son retour en Hongrie, en tant qu’orpheline dans une famille adoptive fût retranscrite dans la trilogie de Naplò dont le premier volet, Journal Intime, revient sur ce retour en Hongrie et la vie aux côtés de cette mère adoptive.

Márta Mészáros a suivi des études cinématographiques au VGIK de Moscou, lieu ayant vu naître de grands noms du cinéma soviétique tels que Andreï Tarkovski, Andreï Kontchalovski, Elem Klimov mais également africain avec Ousmane Sembène et Sarah Maldoror.
Le cinéma de Mészáros est traversé par deux problématiques fondamentales qu’elle articule au cœur de ses longs-métrages : la perte du cadre familial et la volonté d’indépendance des femmes.

Journal Intime, l’acte autobiographique

Lorsque l’on se penche sur la vie de Márta Mészáros et que l’on se trouve face au synopsis de Journal Intime, il est difficile de dissocier le caractère fictionnel de la réalité.
Sans jamais prendre le virage du documentaire ou bien du néo-réalisme, la cinéaste réussit à nous raconter son histoire, personnelle et historique, avec une analyse fine. En arrière-plan, nous observons la construction politique de la Hongrie, pays à la difficile stabilité ayant connu pas moins de trois régimes en dix ans de la régence autoritaire de Horthy à l’URSS communiste en passant par la collaboration avec l’Allemagne Nazie représentée par Ferenc Szálasi chef du parti fasciste hongrois.

La réalisatrice parvient avec tact et adresse à dessiner une vision rebelle de la jeunesse hongroise. Elle se dresse, par le biais du personnage de Julie, face au pouvoir, incarné par sa mère adoptive , en rejetant l’éducation communiste. De par sa position d’enfant, d’adolescent à éduquer, elle se trouve préservée et va voir son entourage disparaître, se faire foudroyer par le régime. Elle devient une véritable menace pour ceux qui veulent lui venir en aide, l’amener à s’émanciper de la frénétique Magda.
Libérer Julie reviendrait alors à libérer la Hongrie, la petite histoire rencontre la grande histoire, la cause individuelle résonne sur l’intérêt collectif. Le parcours de Julie, ombre autobiographique de Márta Mészáros, est l’effervescence d’une population muselée prête à se soulever.

Un voyage cinématographique que la cinéaste réussit à parfaitement maîtriser avec un montage temporel qui rappelle L’Enfance d’Ivan réalisé par Andreï Tarkovski, avec cette enfance, jeunesse, déshumanisée par une politique d’Etat stérilisatrice de la pensée et où le poids du souvenir, celui du monde d’avant, est parfois la clé pour subsister dans l’enfer des hommes, pour dépasser les époques, le temps, et retrouver l’insouciance perdue.

Le devoir de mémoire

A travers le montage en miroir entre temporalité passée, rêvée et instant présent, Journal Intime retransmet le bonheur passé comme une vision possible et désirable du futur. Cette motivation de retrouvailles vers les temps préservés de l’horreur de la mondialisation aux habits génocidaires, est un espace de liberté infinie, un interstice vers lequel l’oppression étatique a le plus de mal à glisser. Les songes sont difficilement atteignables.

Dans cette conception, on ne cesse de voir une dualité entre les mentalités et pensées passée et présente. Il y a la volonté de cette mère adoptive à parvenir à couper l’héritage familial biologique, neutralisant les grands-parents et venant troubler la mémoire des fantômes du passé, ici les parents de Julie, afin de créer une servante de la grande URSS, un être dépossédé de son individualité, fourmi sacrifiable pour l’intérêt général.

En mettant en scène cette approche dualiste idéologique entre la sauvegarde de la liberté de pensée des individus face à la doctrine du parti unique, la cinéaste hongroise façonne l’une des plus belles pièces cinématographiques de résistance.

Un exemple sidérant d’appel à l’espoir, là où tout semble perdu, que l’horizon se teint d’un glaçant noir et blanc, Mészáros comprend, dépasse et livre une proposition au relief d’ultime portail vers la délivrance.

Le cinéma, dernière fenêtre de la pensée libre

Pour imager ce portail vers la liberté, Márta Mészáros continue d’éveiller les souvenirs passés, ceux des terres apaisées, de la candeur de l’enfance à travers le cinéma. L’héroïne du récit se rend ainsi de manière quotidienne au cinéma, antichambre de la propagande d’Etat, où bien que les œuvres subissent le dur sort de la censure, ces dernières ouvrent le champ de l’imaginaire, des ailleurs rugueux de la ville et de ses pensées dénuées de liberté. Julie préfère apprendre, recevoir une éducation de la part des images, libre d’interprétations, à l’éducation d’Etat, industrie stérilisatrice de toutes divergences d’opinion.

Les images que Julie découvre au cinéma se juxtaposent, se calquent sur ses souvenirs d’enfance quitte à ne plus que devenir une seule entité appelant à l’évasion, à la création. Cette transposition de l’imaginaire, au cœur du fictionnel prenant racine dans le réel, estomaque de par sa subtilité. Plusieurs échelles du réel viennent compléter un puzzle complexe, pour la liberté, qui à force d’analyse se révèle être la possibilité d’un ailleurs sûr, certain et possiblement atteignable.

Journal Intime, au-delà du temps et des maux : le cinéma

Márta Mészáros réussit avec ce premier volet de la trilogie de Naplo, à nous raconter son histoire, celle d’un pays et de la nécessité de résister, toujours, et encore, pour rester libre. Au delà du rêve et du souvenir protecteur, Journal Intime est une oeuvre fondamentalement révoltée, rebelle, qui traverse l’histoire, les sociétés, le monde et les maux pour nous rappeler l’importance des libertés individuelles, le combat vital et quotidien à mener pour parvenir à conserver un espace loin de la tyrannie des régimes totalitaires, de la folie des hommes.
Journal Intime est cette extraordinaire expérience poétique sur la liberté où le cinéma joue et jouera toujours un rôle essentiel, révélateur, pour nous rappeler qui nous étions, qui nous sommes et qui nous serons.

II) Les caractéristiques techniques de l’édition Blu-Ray

L’édition Blu-Ray de Journal Intime se présente dans un boîtier Amaray simple. Le nouveau visuel utilisé pour imager l’objet rentre dans une ligne éditoriale précise autour du cinéma de Márta Mészáros.


Image :

Note : 7 sur 10.

La restauration numérique 4K a été menée dans le cadre du « programme de restauration à long terme des films du patrimoine hongrois » du National Film Institute – Film Archive. Elle a été effectuée à partir des négatifs originaux image et bande de son magnétique au laboratoire National Film Institute – Filmlab.
L’étalonnage a été supervisé par Nyika Jancsó, chef opérateur du film.

Ce nouveau master 4K est une réussite. Le travail autour du piqué est précis, réussissant à donner une belle profondeur à cette oeuvre invisible depuis plus de 25 ans. Les contrastes ont été calibrés de manière adroite pour faire respirer la fascinante photographie noire et blanc et offrir un confort de visionnage de bonne facture. Quelques rares griffures et traces du temps apparaissent, certainement dû aux conditions de stockage des négatifs, mais cela reste infime et ne vient à aucun moment perturber la séance.
Bien qu’il soit formidable d’avoir accès à une telle oeuvre au format HD, il restera important de noter que la restitution en 1080i sur le Blu-Ray de Clavis ne permet pas de retranscrire le merveilleux master que nous avons pu découvrir au Festival De Cannes 2021.


Son :

Note : 9 sur 10.

La restauration sonore apporte de belles rondeurs à la bande-son et mixe avec justesse les voix.
Le film se détache de l’emprise du temps et entre dans une belle modernité, ne saturant jamais les fréquences et offrant un confort d’écoute indéniable.

Suppléments :

Note : 0 sur 10.

Les suppléments sont inexistants pour cette édition de Journal Intime. Nous aurions adoré découvrir plus finement l’histoire de la Hongrie, et des lectures analytiques du parcours cinématographique méconnu de Márta Mészáros.


Note Globale :

Note : 7.5 sur 10.

L’édition de Journal Intime réalisé par Márta Mészáros est une vraie chance. Clavis Films fait le pari formidable de mettre en avant les films de la réalisatrice hongroise qui semblaient avoir littéralement disparus de la cinéphilie mondiale. Une proposition qui au-delà d’exhumer un trésor du cinéma se part d’une très belle restaurationen matière d’image et de son, qui perd néanmoins de sa grandeur du fait d’un passage en 1080i.
Seul reste l’inexistence de suppléments pour continuer à découvrir l’univers de la cinéaste. Cependant le plaisir inouï de découvrir un tel film suffit à nous émerveiller face à cette édition inespérée, et qui pourtant est aujourd’hui bien réelle.

Les éditions Blu-Ray ainsi que DVD de Journal Intime sont disponibles à l’adresse suivante :

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