Réalisateur : Jacques Rivette |
Acteurs : Sandrine Bonnaire, Jerzy Radziwilowicz, Laure Marsac, Grégoire Colin, Françoise Fabian |
Genre : Enquête |
Pays : France, Italie, Suisse |
Durée : 166 minutes |
Date De Sortie (Salles) : 1997 Date de Sortie (Blu-Ray/DVD) : 15 Juin 2021 |
Synopsis : La vengeance d’une jeune femme, Sylvie Rousseau, lointaine descendante d’Electre, qui n’hésite pas à se substituer à son frère, et à s’opposer à sa mère, afin de faire la lumière sur la mort de son père. Sa quête l’amène à affronter l’ancien associé de son père, Walser qui semble détenir la clef de l’énigme…
Depuis 2015 et la sortie exceptionnelle d’une édition intégrale de OUT 1 par Carlotta, le cinéma de Jacques Rivette a connu un nouvel élan dans le paysage éditorial hexagonal. Nous avons depuis eu la chance avec le travail de trois acteurs majeurs du cinéma français, à savoir Carlotta, Studiocanal et Potemkine, de (re)découvrir le monde mystique et mystérieux du plus discret et méconnu réalisateur de La Nouvelle Vague.
La totalité des œuvres charnières du cinéaste réalisées durant les années 70 où il développe ses mécanismes et schémas, serpentant et cartographiant avec fièvre les rues de Paris, avec Balzac comme guide céleste, ont connu des restaurations et sorties au format Blu-Ray.
Là où les années 60, 80 et 2000 sont assez peu représentées, pour le moment, Potemkine semble s’atteler à la ressortie des films du cinéaste sortis durant les années 90. Il y a tout d’abord eu Jeanne La Pucelle, ressorti dans une édition inattendue en 2019, puis sans prévenir sont apparus Haut, Bas, Fragile ainsi que Secret Défense, œuvres difficilement visibles jusqu’aujourd’hui.
Nous reviendrons sur l’édition Blu-Ray de Secret Défense de la manière suivante :
I) La critique de Secret Défense
II) Les caractéristiques de l’édition Blu-Ray

I) La critique de Secret Défense
Jacques Rivette, le mystique de La Nouvelle Vague
Jacques Rivette, bien que connu des cinéphiles, est très certainement le plus méconnu cinéaste de La Nouvelle Vague, réalisant de nombreux longs-métrages sans jamais connaître la lumière médiatique qu’ont pu avoir ses camarades acquis à la révolution du cinéma de Jean-Luc Godard à Agnès Varda en passant par François Truffaut, Eric Rohmer ou encore Alain Resnais.
Certaines de ses oeuvres ont su traverser le temps de par leurs caractères scandaleux (La Religieuse réalisé en 1966), expérimental (Out 1 réalisé en 1971) ou encore de par leurs célébrations publiques et critiques (La Belle Noiseuse réalisé en 1991, Grand Prix du Festival De Cannes).
Jacques Rivette n’a cessé tout au long de sa carrière de manipuler et travailler la forme et le fond de ses réalisations, devenant une réincarnation moderne de Balzac dans sa manière d’interconnecter les protagonistes. Ses films sont traversés par un fascinant mysticisme qui fait s’élever ses récits de recherche, de jeux de pistes, vers une perception du monde, et des êtres, unique.
Tout comme l’a souligné Dora Musy, la filmographie du cinéaste ramenée autour de 22 œuvres allant de Aux Quatre Coins jusqu’à 36 vues du Pic Saint-Loup, se trouve interconnecté avec les 22 arcanes du Tarot de Marseille et les 22 lettres hébraïques qui expriment l’univers. Une vision qui lorsque l’on commence à creuser, fouiller le cinéma du réalisateur prend tout son sens.
Partir à la rencontre du cinéma de Rivette, c’est partir à la rencontre de soi, des autres, de l’invisible, du monde, du surnaturel mais surtout de l’éternité.
A L’Ouest Des Rails
Le cinéaste français en travaillant sur la forme récurrente du jeu de piste, qui traverse une grande partie de ses œuvres, pose ici une variation sombre à la fois dissonante et surprenante, loin de la stylisation d’ordinaire poussée des lieux et des corps. Jacques Rivette se déconstruit pour mieux se réinventer dans de ténébreux habits.
Secret Défense propose une ambiance terne, agoraphobe et oppressante. Le jeu de piste où les rues tentaculaires poussaient à l’exploration, au fruit du hasard, et à l’insouciance disparaissent. Les personnages sont confinés, ne se déplaçant que d’une ligne de métro à l’autre d’un train à une ville éloignée.
Il y a ainsi dans ce long-métrage orchestré par Rivette, une véritable limitation des espaces, attachant le récit au rail des trains, guidant les protagonistes d’un appartement à des bureaux, d’un hôpital à un manoir, de la vie à la mort. L’histoire progresse, se développe, faisant du spectateur le témoin d’une investigation criminelle étourdissante, à travers les dialogues, les plans-séquences et toute la magie que sait faire naître Jacques Rivette à travers les corps et les regards. Les murs paraissant protecteurs lors des premières séquences, deviennent des geôles mentales et physiques, gardiennes de l’histoire des lieux, des maux et des morts. La dimension claustrophobique est assez singulière pour le cinéma de Rivette et apporte une noirceur à l’élégance glaçante.
Les locomotives, plumes du récit, parcourent l’oeuvre sans jamais s’imposer, sans jamais devenir personne, poussant à la réflexion, à la complexification des personnages. Elles se transforment en connecteurs, reforment des liens distendus, accueillent les familles et leurs secrets, font disparaître les distances, pour les mener au-delà de leurs croyances immisçant le doute pour reconstruire la vérité.

Une Affaire De Famille
Tout comme Jacques Rivette limite les lieux, il limite les personnages, proposant un unique personnage principal, Sylvie, interprétée par une fabuleuse Sandrine Bonnaire.
En rétrécissant les points de vue, le réalisateur s’intéresse à une dimension unilatérale dans son récit. Il facilite ainsi la naissance de fausses pistes qui ne sont pas présentes dans le récit mais plutôt chez le spectateur qui les laisse naître dans son imagination. Rivette nous met à la place du personnage principal. Il laisse respirer le plans, les mots, les gestes pour nous intégrer pleinement au déroulé de l’histoire. Nous projetons nos propres vies, expériences, réactions au cœur de cette famille dynamitée, mutique, autour de la mystérieuse mort du père de famille.
La famille présentée dans Secret Défense se limite à la mère, mystérieuse artiste jouée par Françoise Fabian, au frère, homme aveuglé par la soif de vengeance, interprété par Grégoire Colin, et la soeur, Sylvie, prête à tous les sacrifices pour préserver ses proches.
Cette cellule familiale limitée, au dialogue impossible, détient pourtant toutes les clés pour réussir à résoudre une investigation, qui dans son acte final, semble tristement stérile, vaine. L’impensable survient du silence, de l’impossible échange, de la soif de vengeance individuelle, des fantômes du passé, parfois occultés, oubliés et pourtant invisiblement terrifiants.
C’est ce mystère intangible qui va faire basculer ce trio familial dans la plus douteuse des enquêtes ralliant des éléments de manière gauche menant les victimes vers le statut de tueur.
Dans Secret Défense, Jacques Rivette organise son propos, comme bien souvent autour des secrets et des silences, mais dépasse de loin son paysage habituel plongeant dans l’oeuvre noire, désespérée, où personne ne peut plus être innocent.
Il travaille et conçoit une galerie de personnages incarnée de manière minutieuse et effroyable. On pense particulièrement à la troublante relation entre Sandrine Bonnaire et Jerzy Radziwiłowicz à la fois déconcertante, excitante, effrayante, énigmatique et tout particulièrement troublante.
De la victime à l’assassin, l’histoire d’un secret
De ces relations glaçantes que nous sert Jacques Rivette, un sentiment de malaise né, celui de ne jamais maîtriser l’histoire, de rester figé par les zones d’ombre que seul le destin semble bien vouloir nous révéler. La maîtrise du suspense est totale, l’écriture et le montage estomaquent. Nous pensons, à tort, connaître les victimes, les bourreaux et les dégâts collatéraux que cette relation de tueur/tué laisse transparaître.
Cependant, les perceptions, directions du réalisateur sont bien plus précises, adroites et surprenantes. En séparant la mort du père de l’enquête familiale, cinq ans plus tard, le récit pousse les victimes, analysant les causes de la mort du père, à travers un brouillard mensonger, à plonger dans une dimension vengeresse quitte à reproduire les horreurs du passé sur des familles innocentes. La mémoire des morts vaut-elle tant d’âmes à faucher ?
En ne laissant pas au passé ses drames douteux, les personnages de Secret Défense foncent, frappent, tirent et oublient de se raisonner. Une analyse redoutable de la part de Jacques Rivette qui réussit à construire des personnages à l’humanité exaltante, et à la théâtralité dramatiquement poétique.
Code Inconnu
Jacques Rivette réussit à dépasser, transcender, l’expérience du film noir en y intégrant ses codes. Le film se transforme en entité étourdissante où il est difficile de prendre pied et où pourtant le magnétisme obsédant des personnages, de leurs phrasés, de la mise en scène et de ses murs aux regards acérés, à la parole interdite, portent le film vers un ailleurs que l’on ne pouvait que fantasmer et dont seul Rivette semble avoir la clé, pour inonder la pellicule d’une justesse éblouissante
Secret Défense est une proposition à la fois entêtante et extatique dans la filmographie d’un cinéaste aux multiples expérimentations, qui signe ici un classique du cinéma français, une oeuvre obscure sur l’humain, à la rencontre des genres, à l’orée de territoires nouveaux.

II) Les caractéristiques de l’édition Blu-Ray
L’édition conçue par Potemkine s’ancre dans le style visuel des œuvres déjà sorties par l’éditeur français à savoir : Céline Et Julie Vont En Bateau, Le Pont Du Nord et Jeanne La Pucelle.
Image :
La restauration 4K de Secret Défense a été effectuée chez Hiventy.
Le nouveau master 4K que nous propose Potemkine sied à merveille au film de Jacques Rivette, réussissant à garder son atmosphère terne, prenant appui sur l’ambiance générale du film, tout en parvenant à lui apporter une nouvelle jeunesse, où les couleurs, plus discrètes que dans les autres propositions des films du cinéaste, rebondissent à travers le cadre pour révéler l’identité de l’oeuvre d’une bien belle manière.
Le niveau de piqué est admirablement travaillé apportant une belle profondeur de champ, et un niveau de détails sur le visage des personnages assez pointu. La colorimétrie et le contraste jouent de paire pour conserver l’aspect terne de l’oeuvre tout en lui offrant de légères mais très pertinentes touches de couleur.
Son :
La piste audio Français DTSHD-MA 2.0mono proposée par Potemkine est très réussie apportant une belle mise en avant des voix, donnée essentielle du film. La piste audio est fluide, claire et d’une rondeur appréciable, échappant à toute saturation, avec une belle balance entre les graves et les aigus. Reste néanmoins, un léger problème ne relevant pas du master mais de la prononciation de Jerzy Radziwiłowicz qui n’articule pas toujours bien ses phrases et laisse parfois quelques mots en suspens.
A noter que l’édition propose une version en audiodescription mais également pour sourds et malentendants. Une direction éditoriale paraissant essentielle, mais qui n’est pas le mot d’ordre de toutes les éditions que l’on peut rencontrer.
Enfin Potemkine a eu la très bonne idée d’ajouter des sous-titres anglais afin d’atteindre un public dépassant les frontières hexagonales et permettant de découvrir le cinéma de Rivette à travers le monde, ou tout du moins pour les possesseurs de lecteurs zone B.
Suppléments :
Les suppléments de l’édition de Secret Défense sont proposés sur un DVD, présent dans l’édition du film. Ce dernier contient :
- Analyse du film par Pacôme Thiellement (32′) :
Pacôme Thiellement introduit son analyse en revenant sur la collaboration entre Sandrine Bonnaire et Jacques Rivette. Il aborde très brièvement Jeanne La Pucelle, réalisé en 1994, puis parle avec plus de détails de la création du personnage de Sylvie qui servira d’architecture centrale pour Secret Défense, avec la volonté d’une écriture inspirée par les écrits de Georges Bernanos. Une approche que l’essayiste étoffe avec de nombreux documents, et éléments de culture transversaux.
Il dissèque le film de manière méthodique observant l’écriture du scénario, étudiant les lieux du récit, analysant les tiraillements internes des protagonistes, épinglant l’univers social du film et terminant sur la lecture analytique du titre.
Une nouvelle fois Pacôme Thiellement offre une analyse fine, dépassant le simple décryptage de l’oeuvre et ouvrant de nombreux axes de lecture amenant à revisionner Secret Défense.
- Interview de Jacques Rivette par Frédéric Bonnaud (9′) :
Document d’archives où Jacques Rivette, dans un bistro, revient sur l’origine du film et le choix de Sandrine Bonnaire. Le réalisateur revient sur la création du personnage de Sylvie qui a été menée de manière collaborative avec l’actrice principale.
La proposition est brève, rebondit sur un contenu parfois déjà abordé dans les autres suppléments, mais voir Rivette nous parler de cinéma et plus globalement de ses propres choix, en accord avec son équipe, en matière de création, reste fascinant.
- 5 prises d’une scène commentées par Laure Marsac et Sandrine Bonnaire (12′) :
Permettant de voir les coulisses du tournage à travers 5 plans, le supplément proposé peut être visionné avec ou sans les témoignages de Laure Marsac et Sandrine Bonnaire.
Cette discussion entre les deux actrices offre la possibilité de découvrir des souvenirs de tournage et les rapports entre les comédiennes et Jacques Rivette.
Un beau voyage au cœur de Secret Défense et ses mystères.
- Entretien autour du scénario (25′) :
Document d’archives particulièrement pointu où le scénario est déconstruit, expliqué pour mesurer pleinement la dimension collaborative de l’oeuvre. On y trouve beaucoup d’informations autour du virage singulier que prend Secret Défense dans la filmographie de Rivette, en touchant au domaine du récit criminel, policier.
Un supplément qui complète à merveille tout ce qui a été abordé dans les précédents bonus.
- Bande-annonce
Note Globale :
Potemkine propose avec cette édition une très belle redécouverte de Secret Défense.
La nouvelle restauration que nous présente l’éditeur français est exemplaire. Des conditions techniques irréprochables auxquelles viennent s’ajouter des suppléments pointus et amenant à venir se perdre de nouveau dans les sombres dédales de l’oeuvre.
Une édition de référence.
L’édition Blu-Ray de Secret Défense est disponible aux adresses suivantes :
- https://store.potemkine.fr/dvd/3545020073124-secret-defense/
- https://www.cinefeel.fr/dvd/3545020073124-secret-defense/
L’édition DVD de Secret Défense est disponible aux adresses suivante :