Réalisateur : Marcel Camus |
Acteurs : Breno Mello, Marpessa Dawn |
Genre : Drame |
Pays : France – Italie – Brésil |
Date de sortie (Cinéma) : 1959 |
Date de sortie (Blu-Ray) : 19 octobre 2021 |
Synopsis : Persécutée par un inconnu, Eurydice trouve refuge à Rio chez sa cousine Serafina. Elle rencontre Orphée, vedette du carnaval : l’amour est immédiat.
Après plusieurs années silencieuses, Orfeu Negro se rappelle à nous. Palme d’Or au Festival De Cannes 1959, le film n’a connu qu’une sortie DVD il y a désormais plus d’une décennie. Une édition à l’image convenable qui à l’époque permettait surtout de découvrir le film, sans trop souffrir des affres du temps.
Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts, plusieurs masters HD ont fait leurs apparitions à travers le monde, sans jamais pourtant offrir le spectacle escompté.
Aujourd’hui, Potemkine revient sur cette oeuvre fascinante qu’est Orfeu Negro en proposant un tout nouveau master 4K.
L’article autour de l’édition Blu-Ray d’Orfeu Negro s’organisera de la manière suivante :
I) La critique d’Orfeu Negro
II) Les caractéristiques techniques de l’édition Blu-Ray
I) La critique d’Orfeu Negro
Marcel Camus, rêveur perdu dans l’éternel
Marcel Camus a réalisé neuf long-métrages entre 1957 et 1975.
Professeur de dessin aux beaux-arts, le cinéaste découvre le théâtre en pleine seconde guerre mondiale alors qu’il se trouve dans un camp de prisonniers en Allemagne. Il s’essaie alors à plusieurs postes y découvrant dans des conditions rudimentaires une passion pour la mise en scène.
Au lendemain de la guerre, Camus devient assistant pour des réalisateurs de renoms tel que Bunuel ou Astruc.
Sa carrière de réalisateur débute avec Mort En Fraude en 1957, pamphlet sur la politique française en Indochine, et se trouve célébrée dès 1959 en décrochant la Palme d’Or avec Orfeu Negro. Il est assimilé jusqu’à l’aube des années 60 comme cinéaste appartenant à La Nouvelle Vague.
Le reste de sa filmographie bien que plaisante, fait la part belle au divertissement grand public et perd son regard acéré, poétique, sur la société.
Son oeuvre la plus connue est Le Mur De L’Atlantique, avec Bourvil et Jean Poiret.
De la Grèce antique à Rio l’infernale
Marcel Camus, avec Orfeu Negro en 1957, prolonge un mouvement de cinéma qui depuis le début des années 50 et l’Orphée de Jean Cocteau ne cesse de prendre en ampleur : la relecture de la mythologie grecque. La proposition de Camus se situe en plein cœur de cet esprit de réinvention des mythes, à la suite de Cocteau, et quelques années avant que le cinéma italien ne s’empare de la question avec entre autres Medée et Œdipe Roi de Pier Paolo Pasolini ainsi que le Satyricon de Federico Fellini.
Orfeu Negro s’envole, s’échappe vers une contrée qui dans les 50s garde sa saveur de mystère et d’exotisme : le Brésil. Le cinéaste s’amuse ainsi à reconstituer la tragique histoire d’amour qui lie Orphée et Eurydice, depuis l’Antiquité, en plein Rio de Janeiro.
L’histoire se met très vite en place, elle joue entre nos connaissances culturelles et l’appel d’un tragique recommencement, celui de l’impossible mais irrépressible amour entre Orphée et Eurydice.
Les personnages ont conscience de leur présence au sein de cette réécriture, Orphée sait que l’amour envers Eurydice est inaliénable, qu’un jour, malgré les rencontres, la vie, une femme au doux nom grec se rappellera à son regard éveillant des millénaires de croyances, dépassant les civilisations et les religions, les damnant jusqu’à la mort, et ce, pour l’éternité.
Un destin lié qui se trouve souligné dès les premières séquences du film. Les protagonistes ne se connaissent pas, mais ils se ressentent, s’attirent, le mythe par-delà la raison.
L’univers tout entier semble s’organiser pour que la rencontre ait lieu. L’œil de Camus, orchestre le film tel un marionnettiste. A travers une utilisation libre, parfois presque sauvage, mais fascinante de la lumière, de la gestuelle, des sonorités et des décors en dehors des studios, le réalisateur nous invite à partager une fiévreuse et charmante Bossa Nova.
Nous nous retrouvons enchaînés et enchantés face à une mise en scène qui enivre, porte, des sommets divins surplombant la ville, aux mortuaires canyons carnavalesques où les célébrations électrisent la rue.

La cartographie des songes
Marcel Camus tisse une fable sociale fascinante où la pauvreté s’est hissée en dehors de la capitale, au bord du précipice, où la population Afro-brésilienne, cœur de la civilisation moderne, est jugée comme paria, condamnée à être les petites mains des descendants de conquistadors, gargantua consumériste, faisant grandir la graine des favelas que nous connaissons aujourd’hui.
Le voyage en présence, lève le voile sur la magie qui lie les démunis, sur la volonté de liberté des déshérités, qui lors d’un seul et unique soir deviennent les héros nationaux du célèbre carnaval de Rio, tenu par une police raciste et nationaliste.
La commune se divise, chante, saigne, rit, frappe, pleure, meurt et vit. L’espace est nouveau mais l’histoire est éternelle, tout comme les récits antiques.
La pauvreté allège les individus de toute propriété mobilière, tout comme immobilière. Affranchis du capitalisme, du credo des hommes, les laissés-pour-compte surplombent la ville, s’élèvent vers les dieux, parviennent à atteindre un état mystique d’où ils scrutent l’enfer bureaucratique de la cité.
Un état spirituel que les fortunés de la ville ne peuvent plus percevoir, ne regardant plus que la pierre, délaissant leurs sens.
Ainsi, Camus conçoit un fin tableau de la société brésilienne et de sa capitale. Il parvient à cartographier Rio De Janeiro tant d’un point de vue social qu’ésotérique. Le discours ne s’enfonce jamais dans ces réflexions, de manière explicite.
Les images parlent, la caméra dépasse l’ordre sensible, les cadres nous glissent leurs secrets à l’oreille, façonnant Orfeu Negro à la manière d’un délicieux voyage où interprétation et réinterprétation ne cessent de s’embarquer dans cette ronde transcendantale des cieux jusqu’aux sous-sols des tours.
La mort guette, la foule devient un Styx déchaîné, l’amour apporte la tragédie, Orphée cherche Eurydice, Eurydice s’efface dans les limbes, la tragédie fait chanceler nos sens.
Marcel Camus a réalisé un monstre de cinéma, une sorte d’anti-Dolce Vita, l’expérience des invisibles.
Rio s’éveille, brille, crie, danse, chante et invoque les âmes traversant le temps et l’espace.

Danse Incantatoire
Orfeu Negro est une exploration, une quête vers l’inconnu où seul les mythes peuvent encore nous raccrocher au réel, où la mythologie devient socle pour interpréter l’inconnu.
La proposition gagne en substance, et devient radieuse, grâce à son appropriation de la culture brésilienne. Le film garde la trame principale du récit grec et vient complètement retravailler son atmosphère, son habit. Une proposition ambitieuse, qui au-delà de moderniser le mythe d’Orphée et Eurydice, vient porter à notre connaissance un pays tout entier de ses coutumes à ses croyances.
La musique, en premier lieu, est presque omniprésente venant battre avec une énergie époustouflante la rythmique du film, nous guidant sur des versants hypnotiques où les variations viennent appuyer à merveille les relations entre les personnages. Presque sans discontinuer les percussions nous saisissent et nous tiennent du premier tiers du film jusqu’à sa conclusion. Les corps se désarticulent, se pâment à la manière des sonorités. Là où le film à sa sortie marquait une révélation internationale autour de la musique brésilienne, cette dernière vient, plusieurs décennies, plus tard nous remémorer toute sa puissance, loin des affreux clichés ensoleillés que nous pouvons avoir de Rio, nous invitant à partager une danse nuancée où tristesse, colère, joie et peur se lient à jamais.
En second lieu, il est fascinant de plonger dans la religion Candomblé, mêlant catholicisme, rites indigènes et croyances africaines. Le film entier est un torrent ritualistique, qui nous mène droit au drame, où la magie est omniprésente, tout d’abord extra-sensorielle, pour venir de plus en plus jaillir dans le réel, créant un pont entre le monde des morts et des vivants entre enfer et paradis.
Cet espace à mi-chemin entre musique et croyances, laisse sans voix, magnifiant une oeuvre gigantesque et pourtant toujours humaine, où le réel sait ouvrir les failles de l’au-delà pour espérer retrouver les amours envolés.
Orfeu Negro, l’audace des âmes
Orfeu Negro est une Palme d’Or qui touche l’éternité, la proposition de Marcel Camus réussit à reconduire un récit millénaire pour un temps indéterminé mais certain, où la rencontre des cultures est parvenue à faire naître un chef d’oeuvre où chants, légendes, rythmes, amour, flammes, hypnose et magie noire s’embrassent et s’embrasent. Sublime.

II) Les caractéristiques de l’édition Blu-Ray
Image :
Rassurez-vous, la plus belle version que vous pourrez rencontrer d’Orfeu Negro, si ce n’est le master définitif de l’oeuvre, est juste devant vous.
La restauration 4K réalisée par Hiventy conserve merveilleusement le grain de la pellicule et affine avec une maîtrise estomaquante le niveau de détails. Un vrai miracle qui vient trouver tout son équilibre dans sa colorimétrie faisant du film une expérience hypnotique, où les couleurs se répondent et font danser nos regards.
Son :
Deux pistes sons sont proposées :
- Français DTSHD-MA 2.0mono :
La piste française est assez équilibrée entre les nombreuses fréquences qui s’enlacent et s’entrechoquent mêlant bande originale, atmosphère sonore et voix avec tact. La piste est chargée mais toujours claire dans sa lecture. Les doublages surannés ont un certain charme.
Néanmoins, les voix sont assez nasillardes, le doublage d’époque étant ce qu’il est, Potemkine a tout de même réussi à offrir une version convenable bien que criarde et manquant de rondeur. Problématique bien moins marquée sur la version portugaise.
- Portugais DTSHD-MA 2.0mono :
La piste portugaise est la plus recommandable. Elle bénéficie d’une très belle balance entre les fréquences, offrant un dynamisme réel à l’oeuvre, plus rond et affiné que la VF.
La musicalité de la langue portugaise décuple également l’onirisme d’Orfeu Negro.

Suppléments :
- « À la recherche d’Orfeu Negro », documentaire sur la genèse, écrit et réalisé par René Letzgus et Bernard Tournois (2005, 86′, VOST) :
Le documentaire présenté est un appel au voyage, à traverser le temps et l’espace, en déambulant dans le Rio De Janeiro du début des années 2000 à la rencontre d’intervenants ayant participé au tournage du film. On redécouvre Rio De Janeiro, on ne la reconnaît plus vraiment, donnant à Orfeu Negro ce tein doux-amer d’une époque révolue où les regards les plus affûtes pourront traverser le âges et les mythes.
- Entretien avec Estelle-Sarah Bulle, auteure du livre « Les Étoiles les plus filantes » (16′) :
Estelle-Sarah Bulle dans son entretien contextualise Orfeu Negro. Elle réintroduit le mythe d’Orphée, la place de Marcel Camus dans le paysage de La Nouvelle Vague, l’économie du cinéma de l’époque et le statut en plein bouillonnement du Brésil.
Une mine d’informations qui permet de plonger dans l’oeuvre, structurant de nouveaux reliefs au film, lui donnant un background saisissant.
L’auteure poursuivra son entrevue en observant l’accueil du film à Cannes et ses répercussions à sa sortie.
Un supplément très bien filmé avec des prises sons tout particulièrement propres.
- Entretien avec Anaïs Fléchet, maître de conférences en histore contemporaine, spécialiste des relations culturelles entre la France et le Brésil (33′) :
Pour clôturer les suppléments, Potemkine a eu l’idée extraordinaire d’inviter Anaïs Fléchet, pour nous faire découvrir le Brésil, ouvrir des axes culturels qui décupleront l’expérience d’Orfeu Negro revenant entre autres sur la place fondamentale de la musique et de la danse, disséquant les structures instrumentales et décomposant les cellules rythmiques.
Une analyse du pays s’ensuit, axant son discours en direction d’Orfeu Negro pour créer un pont entre culture française et brésilienne, faisant une analyse gargantuesque de tout ce qui pourrait graviter autour du film.
Ne ratez sous aucun prétexte ce document fascinant qui tout comme pour l’entretien avec Estelle-Sarah Bulle bénéficie d’une qualité superbe tant dans l’image que dans le son.
Appréciation Générale :
Potemkine comme bien souvent travaille ses sorties avec minutie et Orfeu Negro ne déroge pas à la règle.
La restauration est magnifique, le traitement de l’image est stupéfiant. Jamais nous n’aurions pu espérer replonger au coeur du Rio d’Orphée et Eurydice avec une telle qualité d’image. Une restauration visuelle qui trouve un bel habit dans sa piste originale portugaise.
Le tout est magnifié par le soin qu’a su, de nouveau, apporter l’éditeur en matière de suppléments avec plus de deux heures de contenus.
Fascinant tout simplement.
Pour découvrir Orfeu Negro en Blu-Ray :
https://store.potemkine.fr/dvd/3545020074152-orfeu-negro-marcel-camus/
Test réalisé à partir du matériel suivant :
Téléviseur : PANASONIC TX-40DX600E |
Lecteur Blu-Ray : Xbox One X |
Amplificateur Home-Cinema : Marantz SR6013 |
Installation 5.1 : Triangle Esprit Ez |
