The Painted Bird : Critique

Réalisateur : Václav Marhoul
Acteurs : Petr Kotlar, Stellan Skarsgård, Udo Kier, Harvey Keitel
Durée : 162 minutes
Genre : Drame
Année de sortie (Festivals) : 2019
Année de sortie : 2022

Synopsis : À l’aube de la Seconde Guerre mondiale, un jeune garçon abandonné erre dans une Europe de l’Est dévastée. Témoin des pires atrocités ou subissant lui-même de terribles persécutions, il devra se battre pour survivre et espérer.

Ayant marqué les festivals de Venise et Toronto de par sa rudesse tant visuelle que psychologique, The Painted Bird réalisé par Václav Marhoul était dans tous les esprits cinéphiles il y a trois ans.
Le film fut comparé à Requiem Pour Un Massacre, réalisé par Elem Klimov, tant pour son récit que pour son architecture narrative.
Depuis lors, un lourd silence s’est formé autour de cette oeuvre tout autant redoutée que fantasmée par tous les regards absents lors des festivals où le film a sévi.
The Painted Bird a connu une édition Blu-Ray et DVD en République Tchèque il y a quelques mois, avec sous-titrage français, mais les frais de port étaient prohibitifs.
Cependant, l’attente touche à sa fin, Filmo TV propose depuis le mois d’avril le cauchemar de Marhoul en exclusivité temporaire sur sa plateforme.
Une sortie streaming qui plus tard dans l’année sera complétée par une édition physique chez Spectrum Films.

Vaclav Marhoul, l’enfer de la guerre

Vaclav Marhoul est un réalisateur tchécoslovaque diplômé de la FAMU (Film and TV School of the Academy of Performing Arts) à Prague. Il réalise en 2003 un premier film encore inédit en France : Mazaný Filip. Une oeuvre qui aura marqué son début de carrière car Marhoul a déjà adapté ce film au théâtre sept années auparavant.
Le film est une adaptation d’un récit de Raymond Chandler mêlant comédie et film noir. Ce n’est pas un franc succès et le silence se fait autour de Vaclav Marhoul durant cinq années.

Il joue régulièrement dans des productions télévisées entre deux réalisations.

C’est en 2008 avec La Bataille De Tobrouk que les formes, et obsessions que nous retrouverons dans The Painted Bird prennent vie.
Le film présenté lors du premier festival du cinéma Tchèque à Nice nous fait suivre deux soldats tchèques en Lybie durant la Seconde Guerre Mondiale. Les deux comparses ont pour mission avec leur bataillon de libérer la ville de Tobrouk, durant leurs parcours ils découvriront les horreurs de la guerre et ouvriront nos regards sur un épisode historique encore trop méconnu.
Marhoul commence à tailler son cinéma, tâtonne, s’inspire de ça et de là du film de Larissa Chepitko : L’Ascension.
La réception du film reste très confidentielle mais installe sur la scène internationale le nom du réalisateur.

Ce n’est qu’en 2019 en adaptant le livre de Jerzy Kosinski, The Painted Bird (L’Oiseau Bariolé), que le cinéaste éveille toutes les curiosités.

The Painted Bird, Les Enfants Terribles

Entre nuit et jour, dans une impasse troublante, impasse temporelle , à l’écrin noir et blanc où lutte la vie dans l’obscurité, un enfant court, poursuivi par une horde de garçonnets. Il tient dans ses bras une hermine, il se rue dans l’obscurité dans l’espoir de survivre lui et son animal. Les bambins le rattrapent, jettent l’animal à terre et l’immole. Le jeune garçon est roué de coups et laissé dans la fange aux côtés de sa créature rongée par les flammes.
Le désespoir inonde le cadre, la fin des temps n’a jamais paru si proche. La guerre a détruit les hommes, les a révélé, les individus deviennent des ombres sauvages, des spectres à la barbarie sans limites.

Le garçon mutique vit chez sa grand-mère, dans une ferme isolée. Cette dernière sera vite emportée par un malaise cardiaque, laissant l’enfant seul dans un monde à la lisière du moyen-âge entouré de cruauté, de misère et de sadisme.
La mort suinte dans les moindres recoins du cadre, elle pousse l’humanité dans ses retranchements les plus nauséabonds.
Le garçon devient vagabond, ses yeux se métamorphosent en portail pour nous faire pénétrer les ténèbres.

L’esthétique sied à merveille le propos du film. Une ambiance poisseuse se libère.
Notre attention n’appartient qu’au cinéaste et au regard de Petr Kotlár, jeune acteur fascinant, guide silencieux dans les abysses. Vaclav Marhoul nous frappe sans retenue dans cette introduction-choc, où le calvaire ne fait que commencer.

The Painted Bird, L’Enfant Sauvage

En suivant la ligne d’écriture de Sosinski, le réalisateur porte à nos regards un monde en plein chaos. Un univers dont nous sommes éloignés de seulement une poignée de décennies et qui effraie en affichant la fragilité de nos civilisations, rappelant comme un conflit peut plonger nos existences dans une inextricable boue faite de larmes et de sang, de cri et de chair, d’effroi et de corps
L’oeuvre reprend de nombreuses horreurs présentes dans le roman, celles tues pendant les guerres, celles en dehors des champs de bataille, celles qui terrorisent et demeurent à jamais silencieuses, celles qui annihilent un peuple, celles qui font des civils des objets sacrificiels, des piliers à ronger pour faire s’écrouler une nation.

Le cinéaste réussit à fournir toute une palette de situations affichant une carte précise de l’état physique et mental de la population allant des bourgades abandonnées du fin fond des champs aux villes hystériques. L’enfant subit et voit, la sauvagerie inonde l’écran, nous le suivons dans ce voyage où la mort ne prend plus, où la douleur est perpétuelle.

Vaclav Marhoul pour mieux coller au texte a pris la décision de segmenter le film en plusieurs séquences plus ou moins longues, présentant la rencontre de l’enfant avec de nouveaux individus, familles ou communautés.
Ces rencontres dévoilent le caractère bestial de l’homme.
Des névroses liées à la guerre des uns aux troubles psychiatriques sévères des autres, The Painted Bird pèse l’hystérie de la guerre, un état de fait se trouvant décuplé par cette République Tchèque rurale figée au moyen-âge, entre sorcellerie, analphabétisme et consanguinité.
Le règne de la violence nous ouvre ses portes, la Seconde Guerre Mondiale à hauteur du regard des civils abandonnés nous glace.
Les sévices pleuvent, l’imaginaire paraît infini en matière de sadisme, une infinie qui éclate à chaque incartade des bataillons militaires qu’ils soient russes ou allemandes, créant d’ailleurs de rares interstices aux calvaires champêtres pour laisser filer notre héros dans une déferlante d’atrocités.

Parmi ces visages fugitifs, nous apercevons Stellan Skasgard, Udo Kier ou encore Harvey Keitel. Ces immenses acteurs, se fondent dans le film de Marhoul, sont humbles dans leur jeu et amènent l’expérience vers de terribles mais fascinants espaces. Ils n’essaient à aucun moment d’appuyer leur présence, de montrer leur statut d’acteur international.

Néanmoins cet enchevêtrement de séquences à la violence appuyée, détachées les unes des autres, mène le film à créer une distance avec le spectateur. Là où le jeune homme de Requiem Pour Un Massacre nous fendait l’âme, ici, le jeune garçon au jeu très juste ne réussit pourtant pas à venir toucher nos sentiments les plus profonds. Cet amas d’horreur nous pousse à se protéger quitte à rester imperméable aux émotions.
La dimension compilatoire nous égare. Notre rétine qui était électrisée lors de la première moitié du long-métrage, se trouve anesthésiée et ne répond plus aux stimuli continus après deux heures de calvaire, laissant l’expérience parfois en suspens, dévoilant un récit brumeux, où la toile se met à couler brouillant des reliefs qui avaient tout de l’exploit.
La tétanie annoncée laisse place à un étourdissement. L’empathie s’évapore. Nous encaissons les images, les horreurs, avec froideur.
Le chef d’oeuvre qui se façonnait s’étiole, se perd, et oublie de dépasser la violence, bien que la clôture veuille ouvrir le spectateur à la pensée, la tentative est gauche, et ne met pas en perspective l’étendue des horreurs passées.

The Painted Bird, l’enfant massacre

Il est ici bien difficile de faire abstraction des œuvres matricielles qui ont permis de faire naître The Painted Bird. La photographie en présence, qui nous obsède, ravive en nous la flamme d’un cinéma évanoui.
Quelque part entre Requiem Pour Un Massacre, L’Ascension, Il Est Difficile D’Être Un Dieu et Satantango, le film de Vaclav Marhoul est une relecture d’un cinéma soviétique brusque, blessant, venant porter à nos regards des images d’une humanité en proie au chaos, à l’autodestruction, guidé par un morne onirisme.
Une sombre poésie qui trouve également des ingrédients de sa splendeur dans les premières œuvres de Tarkovski, à savoir, L’Enfance D’Ivan et Andrei Roublev.

A la rencontre de cinéastes troublants, Bela Tarr, subversifs, Elem Klimov, expérimentaux, Alexei Guerman et singuliers, Andrei Tarkovski, The Painted Bird se transforme en patchwork mémoriel où nos souvenirs cinéphiles jaillissent du cadre et vient étouffer la création de Marhoul.

L’impressionnante photographie et le terrible chemin de croix de ce jeune garçon au cœur des terres désolées, ravagées par la guerre, se trouve rapidement dépassé par le spectre de cinémas préexistants. Une forme de catalogue s’installe et nos espérances de nouvelles expérimentations s’envolent, délivrant de beaux moments de cinéma, des séquences qui viendront nous troubler pour de nombreuses années, mais qui trouveront leurs origines dans les chocs originellement infligés par les cinéastes précédemment cités.

The Painted Bird, L’Enfant Sacrifié

The Painted Bird réussit à cartographier avec maîtrise l’état psychique et physique d’une population au bord d’un gouffre humain, intellectuel et culturel, faisant de ce garçon, jeune homme en devenir, l’œil qui nous montre l’immondice, faisant de ce garçon, jeune homme en devenir, le spectre d’une nation abattue, d’une génération-monstre. L’enfance disparaît, l’innocence est perdue.
Vaclav Marhoul réussit un exercice de style brusque qui se perd parfois en chemin, faute à une architecture aux apparats de catalogue de pratiques sadiques, ainsi que d’architectures cinématographiques, et où à force de trop en donner, nos regards s’égarent, nos pensées se terrent.
Un essai mémorable, qui se doit d’être découvert et partagé. Une curieuse expérience de cinéma qui avait les fondations d’une grande oeuvre.

Pour découvrir le film :

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