Evolution : Critique

Réalisateur : Kornél Mundruczó / Scénariste : Kata Wéber
Acteurs : Lili Monori, Annamária Láng
Pays : Hongrie
Genre : Drame
Durée : 97 minutes
Date De Sortie : 18 mai 2022

Synopsis : D’un souvenir fantasmé de la Seconde Guerre Mondiale au Berlin contemporain, Evolution suit trois générations d’une famille marquée par l’Histoire. La douleur d’Eva, l’enfant miraculée des camps, se transmet à sa fille Lena, puis à son petit-fils, Jonas. Jusqu’à ce que celui-ci brise, d’un geste d’amour, la mécanique du traumatisme.

Déjà presque une année est passée depuis la première mondiale du nouveau film de Kornel Mundruczó, scénarisé par Kata Wéber, à Cannes, dans la sélection Cannes Première.
Depuis le film s’est fait très discret et vient tout juste de sortir sur nos écrans, de façon assez confidentielle.
Evolution revient sur trois générations d’une famille allant des années 40 jusqu’à nos jours, des camps de concentration à une Allemagne multiculturelle, travaillant nos sociétés, l’humain et les traumatismes hérités.

Kornel Mundruczó & Kata Wéber, de la page à l’image

Bien qu’encore assez méconnu du grand public, Mundruczó traverse le cinéma depuis bientôt un quart de siècle. Il débute sa carrière en 1998, diplômé de l’académie de cinéma et d’art dramatique d’Hongrie, en tant qu’acteur, et 2003 en tant que réalisateur. Il fonde Proton Cinema et theatre pour promouvoir ses créations.
Il a réalisé de nombreux courts-métrages, et a arpenté à plusieurs reprises le festival de Cannes, où il fut récompensé pour White God.

Lors d’une création pour Proton Cinema, Mundruczó rencontre Kata Wéber, une rencontre qui trouvera une effervescence à la fois artistique et sentimentale. Ils se marient et depuis 2014, Kata Wéber écrit les scénarios des films de Mundruczó.
Ils ont ainsi réalisé en collaboration quatre films, tous acclamés par la critique, tout comme le public ayant recontré ces oeuvres : White Dog, The Jupiter’s Moon, Pieces Of Woman et Evolution.

Les Trois Visages De La Peur

Évolution se présente à travers une famille sur trois générations de la grande mère au petit fils, des enfants des camps jusqu’aux millennials. Ce qui paraît être un gouffre à la fois temporel et idéologique, dans un premier temps, va venir se structurer pour nous apporter une vision bien plus connectée que celle de nos pensées, une architecture pour repenser nos sociétés, comprendre nos naufrages. Le fantôme du Nuit Et Brouillard d’Alain Resnais renaît.
Eva est née à Auschwitz, retrouvée sous la bouche d’aération d’une chambre à gaz. Elle fut l’enfant sauvage des camps, moquée par les nazis, son regard touche à une vérité qui de notre point de vue de spectateur semble relever du champ de l’imaginaire, d’un cauchemar, d’une histoire brumeuse. Ses yeux ont été les témoins d’une humanité dégénérée, ses yeux restent les alarmes des naufrages à venir.
Léna, la Fille d’Eva, quadragénaire, a toujours grandi avec les peurs de sa mère, faisant des réserves de miettes, apprenant à se dissimuler, devant redouter sa religion, vivre dans le secret, demeurer dans l’ombre. Elle est l’enfant de la défiance, de la méfiance. Sa vie est un parcours pour s’extirper des horreurs vécues par sa mère, elle souhaite s’émanciper des croyances d’une parente névrosée par l’immondice des hommes, espérant rattraper l’histoire, sortir d’une obscurité tourmentée. Elle désirerait être reconnue comme juive, mettre fin à ces décennies de peur, de silence, sous le joug d’une mère survivant dans la frayeur d’une histoire spiralaire. Une quête du passé, une expédition administrative débute pour être reconnue, entre récits de la mère et documents dissimulés.
Jonas, le fils de Léna, quant à lui, collégien, vit loin de toutes ces perceptions de la guerre, il subit inconsciemment les angoisses de son arbre généalogique, projection des terreurs vécues par ses ancêtres. Il est ostracisé, moqué, par des camarades de classe qui se moque de sa fragilité, physique, le ramenant tragiquement à son statut de juif martyr, dans une Allemagne multiculturelle, où les minorités sont éloignées, où la population malgré des campagnes de prévention creuses, préfère la communauté à l’unité, qui au-delà du devoir de mémoire ne voit pas l’ombre qui apparaît sous les pas de sa jeunesse.

Dans ce relais générationnel, Évolution nous offre un paysage historique glaçant, une frise qui captive bien qu’elle horrifie, allant des atrocités connues jusqu’à l’intimité des familles à reconstruire, celles abandonnées à leurs traumatismes.

Contes De L’Histoire et Autres Poésies

En séparant son film en trois segments distincts, chacun pour l’un des personnages, occultant des décennies entières, le duo de cinéastes réussit le pari de révéler les ellipses par une structuration des plans ainsi que de la parole méticuleuse.
Le talent de mise en scène est redoutable, Mundruczó  parvient à nous renverser émotionnellement en usant de plans-séquences étourdissants, il saisit notre regard, captive notre attention et nous emprisonne dans cette fresque au sein de laquelle chaque spectateur a sa place à jouer, sa responsabilité.
Nous dépassons le cadre de la fiction, frôlons le documentaire pour arriver dans un espace porté par le regard d’un poète, parfois macabre, parfois émancipateur, qui dépasse les murs, gardiens des horreurs, pour chercher les secrets, ceux qui planent devant nos yeux mais sont parfois trop durs à accepter.

Le film nous guide de la sorte au-delà du tangible pour dépasser l’inavouable quitte à nous traumatiser, lors d’une séquence d’introduction terrifiante en pleine chambre à gaz, ou à nous délester, les marrées mémorielles qui vont dévaster le souvenir pour éclairer l’essence des vies, délier des relations difficiles.
Le réalisateur joue ainsi du temps, qu’il s’agisse de la durée de ses séquences, tout comme des décennies qui lient ces êtres, pour mettre en perspective le lent et âpre parcours de reconstruction des individus après la Seconde Guerre Mondiale, et plus globalement au lendemain des guerres, ainsi que le fossé entre nos aînés et nos vies modernes, des modes de vie dits « évolués » qui ne sauront cependant rattraper les névroses autodestructrices de l’être humain. Nous sommes condamnés, seul l’audace, celle de dresser le majeur, d’affronter les hérésies, celle de se redécouvrir en tant qu’espèce unie, et ne plus se dissimuler vers un individualisme fratricide, nous portera vers des lendemains pas nécessairement meilleurs mais nouveaux.

Evolution, Près Des Maux, Près des Âmes

Evolution est une proposition de cinéma incontournable, qui prolonge de terrifiants voyages tels que Le Fils De Saul ou encore Requiem Pour Un Massacre, une expérience nécessaire pour explorer notre histoire, comprendre nos sociétés.
Mundruczó invite les mémoires dans notre temporalité, nous conduit en trois actes à une réflexion subtile, où les images entre rudesses et poésies nous captivent, impriment nos rétines de séquences mémorables qui nous suivrons durant de longues années, et qui sait, peut-être même pour toujours.
La proposition reste néanmoins inégale, touchant au chef d’oeuvre dans son acte introductif perturbant, ayant les attributs des grandes oeuvres dans son second segment et se perdant dans des déambulations multiples lors de sa clôture, souhaitant ouvrir de très nombreuses questions sur nos sociétés contemporaines quitte à prendre de troubles raccourcis, facilités qui avaient été déjouées avec brio lors des deux premiers tiers.
Mundruczó  nous offre un film sur la mémoire et l’être humain saisissant, à la mise en scène stupéfiante et ancre de nouveau son nom dans le panthéon des cinéastes modernes.

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