All Eyes Off Me : Critique

Réalisatrice : Hadas Ben Aroya
Acteurs : Elisheva Weil, Leib Lev Lenin, Yoav Hait
Pays : Israël
Durée : 90 minutes
Date De Sortie : 8 juin 2022
Genre : Drame, Érotique
INTERDIT AUX MOINS DE 12 ANS

Synopsis : Raconté en trois chapitres liés, le film suit une génération jeune et confiante. Danny est enceinte de Max. Elle veut profiter d’une fête pour le lui annoncer, mais n’y parvient pas. De son côté, Max explore les fantasmes sexuels de sa fiancée Avishag. Celle-ci se confie à Dror, qui la paye pour garder son chien. Entre le vieil homme et la jeune femme naît une intimité inattendue.

La fin de journée approchait, Nice était en pleine effervescence. Les bars commençaient à se remplir, certains l’étaient depuis bien longtemps à en croire certaines conversations, les routes dégueulaient de véhicules qui revenaient d’une harassante journée de travail, traduit par un nuage de klaxonnements.
Dans ce maelstrom fait d’épuisement, d’ivresse, de rires, de cris et de soleil, à l’ombre, sous les arcades, la curieuse affiche d’All Eyes Off Me attire les regards, attire mon regard. Le spectre de Théo Et Hugo Dans Le Même Bateau s’immisce dans nos pensées, tout comme le cinéma de Gaspar Noé avec ce rouge viscéral et ce titre, All Eyes Off Me, jouant un duel prétentieux, mais alléchant, avec le tube international de 2Pac, All Eyes On Me, vient à décrocher la curiosité.
La porte du Mercury, nouvellement rebaptisé Jean-Paul Belmondo, s’ouvre, ticket dans les mains pour l’inconnu, la salle 3, la plus petite de la ville, se dresse face à nous. L’enceinte de cette derière est à moitié pleine, soit une dizaine de personnes, surprenant.
La lumière s’éteint, il est déjà l’heure, entre curiosité, crainte et euphorie, le cinéma de Hadas Ben Aroya s’offre à nous.

Contes Cruels De La Jeunesse

Israël, ses nuits, sa jeunesse, sa fougue, sa folie et ses excès. Les appartements abritent des fêtes rassemblant des dizaines d’étudiants, jeunes majeurs, et peut-être quelques mineurs, d’une bourgeoisie malade.
L’alcool et la drogue sont les ciments d’une union des corps, une glaise friable dès lors que les effets s’amenuisent, une substance qui dépasse le réel, occultant les êtres, les fondant à l’idéal de chacun. Nous découvrons une certaine jeunesse israélienne en apesanteur, furieuse, pleine de questions, s’aventurant dans les flammes, en quête de vie, au-delà du monde des adultes, à la recherche constante de limites. Max voit Avishag pour la première fois, ils se sont rencontrés via Instagram, ont liké leurs posts mutuels, la tension ressentie par delà l’écran de leurs smartphones se confirme, l’attirance s’échappe dans cette nuit endiablée, mise en scène comme une furieuse rencontre du cinéma de Gaspar Noé et Larry Clark.
En une fascinante et hystérique scène d’ouverture, la cinéaste plante la puissance de son cinéma, l’ambiguïté de sa proposition. La nouvelle génération désinhibée, ayant dans leurs poches la boîte de Pandore pense s’élever au-dessus de toutes connaissances, générations. Elle s’étourdit à son insu, joue constamment avec l’enfer sans jamais en voir ses précipices, pensant en connaître ses rouages, n’en distinguant finalement tout juste que le relief.

Enter The Void

L’observation de la cinéaste autour de cette génération de l’immédiateté cristallise une jeunesse flamboyante qui ne sait, et ne peut, contenir les flammes de l’insouciance.
Dans cette recherche constante de reconnaissance et de plaisirs, à travers des témoignages toujours plus outranciers, le culte de l’image devient incendiaire, révélant une certaine jeunesse se comblant dans l’individualisme, faisant de la relation humaine une bourse à émotions incontrôlable, lui donnant une valeur que l’on peut posséder, où la jouissance d’un jour, éphémère, dessine la douleur du lendemain.
Dans cette toute puissante jeunesse, la réalisatrice marque des jeunes n’ayant plus de barrières physiques, célébrant l’image des corps à longueur de journée, se dévoilant sans la moindre appréhension, ayant oublié la maîtrise des sentiments. L’âme se détache de l’enveloppe corporelle, la pression du tout connecté et l’oppression du tout instantané fait s’envoler la réflexion, la méditation.
La chair reste, les pensées se dissimulent, réapparaissant lorsque un instinct de survie, quasi animal, refait surface.
Une aventure des corps s’ouvre à nous, inconsciente, effrayante, déshumanisante mais un parcours nécessaire pour se réapproprier son âme dans cette frénésie générationnelle, où d’un simple clic le monde semble basculer. Un monde où tout ne passe plus que par stimuli continus, où la construction de l’individu devient trop longue et laborieuse, où les joies de la veille deviennent l’ennui présent, où la lassitude laisse fatalement place à la solitude, les visages que nous croisons se dressent dans une constante conquête du temps, ne sachant plus saisir le calme, pour s’épanouir, ne vivant qu’à travers le chaos, quête d’un challenge et dépassement tragique.

The Smell Of Us

L’individualisme, prolongation d’un capitalisme maladif, suinte dans le cadre. Les êtres sont condamnés à la solitude si ils poursuivent les attentes sociétales. All Eyes Off Me appelle à dépasser le cadre, à dépasser les encadrements générationnels, à regarder en dehors les obligations d’un système boiteux, où l’individu n’existe que pour l’Etat. L’oeuvre appelle à la liberté et au respect de chaque individu.
La cinéaste réussit à nous offrir un spectacle vertigineux où la courbe émotionnelle est une variable imprévisible, un cheminement qui ne cesse de nous surprendre, nous émerveiller mais aussi de nous effrayer, offrant un déséquilibre permanent, dans notre fauteuil, où chaque partie du spectacle appelle à la réflexion, au questionnement.
Hadas Ben Aroya a une extraordinaire capacité à faire naître les émotions dans l’espace du cadre et parvient à réaliser le prodige, ce que nous attendons généralement du cinéma mais qui se fait de plus en plus rare, de propager ces énergies aux quatre coins de la salle.
All Eyes Off Me captive, fascine, accroche notre rétine dès la première image pour nous laisser dans une onde méditative qui transcende, émeut et nous suit plusieurs jours et semaines après la projection.

Trois Souvenirs De Ma Jeunesse

En débutant l’oeuvre dans un tourbillon visuel et émotionnel à la lisière entre Gaspar Noé et Larry Clark, la cinéaste israélienne tisse très rapidement la tangente pour faire naître l’analyse d’une jeunesse complexe, visitant les corps pour mieux pénétrer l’esprit.
Hadas Ben Aroya est virtuose dans sa maîtrise de la narration et des images qu’elle fait éclore. Cela faisait bien longtemps que nous n’avions pas eu une telle sensualité, une telle analyse des individus dépassant bien souvent la parole pour faire parler les gestes, les visages, comme révélateurs de la nature humaine, rappelant même par moment le cinéma de Tsai Ming-liang, cherchant continuellement une sortie à cet enfer moderne entre monotonie du quotidien pour les travailleurs, impasse dépressive effrayante, et névrose du tout instantané, avec une génération connectée qui ne comprend plus la moindre temporalité, la moindre réalité, se comportant tels des robots cherchant à exister en tant qu’individus, mais ne le pouvant faute à des capteurs sensoriels inexistants, dans le cas présent défectueux.
On y découvre Elisheva Weil, interprète principale, délivrant une palette d’émotions extraordinaire, nous mettant sous hypnose, attirant notre regard sans jamais le lâcher. Une formidable actrice est en train de naître.

All Eyes Off Me est un film punk, un graff en trois actes allant de l’hystérie des fêtes étudiantes à la méditation intergénérationnelle, en passant par l’intime, la découverte des corps, où l’appel à se révolter gronde, où l’humain se doit de renaître et de vivre sans attendre continuellement des lendemains meilleurs, qui ne seront que désenchantements mortifères. Une grade réussite.

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