Signal GPS Perdu : Critique

Réalisateur : Pierre Voland

Genre : Conte Expérimental

Durée : 42 minutes

Pays : France, Belgique

FID Marseille 2022 // Compétition Française

Synopsis : Un jeune homme marche dans l’hiver, pour tenter de dépasser ses propres interdits : une rencontre amoureuse avec un autre homme, et une rencontre spirituelle avec le Christ.

Le FID Marseille débute tout juste, j’aurai rêvé retrouver la cité phocéenne, le plaisir de se perdre dans ses rues, de se laisser porter par un cinéaste, une histoire, ou bien même un mystère en direction de salles que je prenais plaisir à redécouvrir, et m’aventurer dans d’autres jamais foulées.
Cependant, le FID 2022 ne va pas de pair avec le calendrier scolaire, et je vous ferai voyager au coeur de cet extraordinaire festival, à distance, de mon appartement, où les films sont, et seront, projetés dans des conditions optimales afin de pouvoir couvrir l’événement et s’approcher au plus près de l’expérience des films en présence.

Premier jour, premier film, mon regard se tourne vers l’inconnu, un titre, une image ainsi qu’un synopsis pour le moins intrigant croisant Chrétien De Troyes, site de rencontres gays et expédition au coeur des montagnes du Jura dans un noir et blanc saturé, ont raison de moi, je m’engouffre dans la brèche, m’abandonne à la brume. Il s’agit de Signal GPS Perdu, présenté au sein de la compétition française, réalisé par Pierre Voland.
Le cinéaste français continue son parcours expérimental, après Le Volet De Ma Chambre, qui rappelait le travail de Tony Conrad, et Autoportrait, ajoutant aujourd’hui à ses explorations visuelles, une ligne narrative à la lisère de la poésie et de la philosophie.

Le Bois Dont Les Rêves Sont Faits

La caméra se dresse face à la forêt, gardienne de secrets millénaires, une voix off nous conduit dans ce domaine vierge de civilisation à la rencontre des mythes, à la découverte de l’invisible. Les plans sont fixes, révélant une nature préservée, à la fois obsédante et inquiétante, au grain sursaturé, et empli du charme des films en Super 8, rappelant l’atmosphère de la scène Black Metal du début des années 90, la froide morsure d’Arckanum, Enslaved, Darkthrone, Burzum ou plus récemment I Shalt Become.
Chaque mot est pesé, chaque plan compté, croisé avec différents supports visuels.
Pierre Voland maîtrise l’art d’un cinéma contemplatif se jouant sur trois dimensions : littéraire, visuelle et sociétale.
Dans cette quête du cerf, figure christique, qui apporterait l’éclaircissement dans nos ténèbres émotionnelles et psychologiques, la paix intérieure, le réalisateur conçoit une danse où les écrits médiévaux viennent réinvestir notre imaginaire, où nos questionnements trouvent des réponses dans les siècles passés et où les réflexions d’antan viennent à nous interroger sur nos perceptions modernes, sur l’absurde de nos sociétés dites évoluées.

Code Inconnu

En orientant nos pensées autour des concepts de l’amour et de la raison, il analyse le glissement opéré en plusieurs siècles, révélateur de nos naufrages.
En croisant l’amour aveugle, chevaleresque, celui qui pousse à s’enfoncer dans les tréfonds, ceux qui n’ont jamais été foulés, avec nos systèmes modernes rationalisées, où chaque décision, se doit d’être prise en s’assurant de la sécurité de tout le processus de réalisation à mettre en place, dédale psychologique, Signal GPS Perdu ouvre une fracture révélatrice, celle d’un monde individualiste écœurant où les autres ne sont que valeurs, où l’humain n’est plus qu’objet.
Ainsi le chevalier de Chrétien De Troyes n’hésite pas un instant à mettre sa vie en jeu dans l’optique de découvrir une princesse, sans jamais même se questionner sur cette dernière, son existence même, il croit encore, garde l’espoir, la foi en l’avenir.
Tandis que de façon contemporaine, la rencontre de l’autre se doit de passer par des plateformes virtuelles, basées sur des caractéristiques physiques et morales de chacun, ne laissant plus à la vie la possibilité de rencontrer l’inconnu, de braver le danger pour s’accomplir.
Dans ce monde où l’intime s’est évanoui, où la croyance en l’avenir est morte, où le poète agonise, Pierre Voland dépasse les mots de Chrétien De Troyes et nous plonge dans une effroyable analyse, effroyable mais nécessaire.

Nostalghia

Le parcours réussit très rapidement à nous happer, appelant le spectateur dans une dimension qui convoque les contes et légendes, dans un espace poétique troublant, une antichambre du cinéma qui ne donne plus à voir le mouvement mais qui fait ressentir le récit, sa progression, parvenant à venir nous chercher physiquement.
Cette décomposition du son et de l’image, du temps et de l’espace, de la forme et du récit, est une grande réussite. Chaque mot, chaque image, viennent à créer des perceptions sensibles différentes pour chacun. Signal GPS Perdu est en ce sens, un passage pour se reconnecter à nos imaginaires, à nos vies, loin de toutes technologies, réseaux sociaux destructeurs.
Un chemin s’ouvre, une voie qui nous permet de rééduquer nos âmes.

Signal GPS Perdu, Signal VIE Retrouvé

Signal GPS Perdu est une fascinante plongée, en super 8, au cœur de l’inconnu, au delà d’un mystérieux brouillard et d’une forêt aux secrets millénaires, mettant en parallèle amour et raison, guidé par le texte de Chrétien de Troyes, et croisant nos technologies modernes, pour constater nos errances et retrouver un sens dans nos existences.
Un voyage fort, qui laisse les images et la voix de Pierre Voland nous hanter, nous guidant dans nos pensées les plus intimes, ouvrant des cheminements singuliers, empreints de poésie, derniers actes avant la nuit infinie, pour dépasser nos schémas, nous propulser par-delà le tangible, nous proposer de rêver tout simplement, nous proposer de distinguer la lumière dans les énigmatiques ténèbres qui étreignent nos esprits.