Réalisateur : Marine Hugonnier |
Genre : Documentaire |
Pays : France, Pologne |
Durée : 34 minutes |
Date de sortie : 2022 |
Compétition Internationale FID Marseille 2022 |
Objet du documentaire : Dispatch From Przemysl est plus qu’un simple film, c’est une initiative entreprise au vingt et unième jour de la guerre entre l’Ukraine et la Russie pour apporter un soutien à la Pologne et livrer une valise de nourriture et de médicaments à l’Ukraine.
Depuis désormais cinq mois, l’Ukraine est frappée par des attaques de la Russie. Bombardé, envahi, saccagé, pillé, torturé, le pays est assiégé par les forces armées de Vladimir Poutine. Vu de l’Union Européenne, l’information nous est tronquée, digérée et portée par des médias sensationnalistes, ne cherchant finalement jamais à comprendre une population, et plus largement une nation.
Au-delà de la barbarie, d’une rare intensité, nous connaissons très peu cette population agressée, fuyant pour leurs vies.
Le documentaire de Marine Hugonnier, présenté en compétition internationale au FID Marseille 2022, nous mène à la bordure du pays, en terre d’accueil qu’est la Pologne, prenant le parti de laisser parler les images, et croisant quelques témoignages pour orienter nos regards vers le passé, le présent et ouvrir nos pensées à l’avenir.
Dispatch From Przemysl, s’attache à une fresque bien plus ample, qui se dévoile jour après jour, semaine après semaine, mois après mois, où des cinéastes font le déplacement sur ces terres offensées pour capter le réel. Nous pouvons ainsi rattacher cette proposition aux deux propositions de Mantas Kvedaravičius, réalisateur lituanien ayant tourné Mariupolis 1 & 2.

Nuit Et Brouillard
Février 2022, l’Ukraine est attaquée, envahie par les forces armées russes. Les premiers réfugiés arrivent à Przemysl en Pologne. Sur place, un accueil des ukrainiens fuyant le conflit prend forme, un accueil populaire, volontaire, n’attendant pas l’avis des dignitaires de Union Européenne pour prendre en charge les premières victimes du conflit.
Des bénévoles du monde entier, venant de France comme du Japon, du Canada comme de l’Espagne, ont fait le déplacement pour aider. La caméra laisse apparaître un noir et blanc au grain appuyé, une image qui nous affranchit des temporalités.
Le documentaire s’organise en deux parties, nous remémorant dans un premier temps, dans le silence d’un couloir, où les familles se tassent et patientent, les tristes heures de l’Europe. Puis laisse la parole aux réfugiés, apportant une vision intime de la population ukrainienne entre passé et avenir, réussissant à capter en quelques instants la force d’une nation souffrante, mais combative.
Le documentaire joue avec notre imaginaire collectif, laissant inconsciemment nos pensées se calquer sur les archives de la Seconde Guerre Mondiale. Les visages marqués par les guerres que nous voyons sur les chaînes historiques renaissent, la paix européenne vole en éclat, le spectre des horreurs passées s’invite de nouveau.
En posant sa caméra, dans différents espaces du lieu d’accueil, la cinéaste nous laisse à la réflexion sans trop apporter d’aiguillage. Nous entrons dans une triste contemplation, une situation en apesanteur qui dépasse nos représentations du conflit, réussissant à éveiller l’effroi, à nous cibler, à nous mettre sur le chemin de la compréhension.
Nous n’entendons plus, sommes abattus face à cet enfer, seul le bruit des corps en mouvement vient à nos pavillons. Le reste s’évapore, nous ne distinguons plus les vacarmes, nos pensées se chamboulent. Hugonnier nourrit nos interrogations, fait naître un travail de la pensée saisissant.
Comment cela a t’il pu arriver à notre barbe ? Comment avons nous pu occulter nos regards ?

The Rain Will Never Stop
Nous allons à la découverte d’un peuple ukrainien dans sa diversité. Przemsyl devient cette corniche qui laisse transparaitre deux univers celui de la guerre, et celui des réfugiés. Un portail aux portes de l’Union Européenne, nous attirant de façon certaine vers ce chaos, nous obligeant à sortir de l’indifférence.
La proposition essaie constamment de dépasser les dirigeants politiques pour remettre au centre du regard ceux qui font la démocratie : le peuple.
Nous sommes face à un événement d’entraide des peuples, dépassant l’économie et se confrontant aux reliefs des labyrinthes administratifs abscons. Le présent vient nous soulever.
Des mères de famille souhaitant rejoindre de la famille aux quatre coins de l’Europe à ceux, celles, qui souhaitent repartir se battre, en passant par les étudiants étrangers bloqués aux portes de l’Europe ne pouvant obtenir l’asile. Le chaos se dessine mais l’humain se bat pour toujours trouver le chemin vers la vie. Nous sommes face à un inquiétant voyage, où l’espoir ne cesse de guetter le cadre.

A La Rencontre De Nos Démocraties, Bas Les Masques
Dispatch From Przemysl est une proposition documentaire très juste. Une réflexion vers un monde en proie à l’effondrement, face aux horreurs que nous pensions enterrées. Le projet ne cherche jamais le sensationnalisme, n’essaie pas d’influencer nos regards. Le travail de Marine Hugonnier nous invite à constater, à aller à la rencontre du peuple ukrainien, s’affranchissant du vacarme de journalistes grandiloquents.
Hugonnier nous convie à contempler l’être humain, à se réapproprier l’histoire, à prendre conscience de la fragilité de nos démocraties, à mettre en garde une Europe qui dans l’ombre de ses institutions brumeuses, se voulant rassurantes pour ses citoyens, est intranquille.
Seul restera à noter l’introduction d’un discours de Volodymyr Zelensky, quelque peu maladroit, là où l’intimité prenait son envol, venant nous raccrocher à des politiques dont nous espérions nous affranchir, pour creuser le peuple, pour exhumer l’humain.
C’est exactement ce que nous venons chercher au FID, un cinéma à la lisière entre expérimentation, réalité, éveil des consciences et exploration de l’humain.