X14 : Critique

Réalisatrice : Delphine Kreuter
Acteurs : Lucie Cure, François Ardouvin, Denis Lavant, Jeanne Balibar, Daniel Horn, Emmanuel Salinger, Florence Thomassin
Genre : Science-Fiction
Durée : 76 minutes
Pays : France
Compétition Française & GNCR FID Marseille 2022

Synopsis : Liz, la trentaine, vit dans son appartement de banlieue parisienne avec son chat et son robot domestique. Entre un Godldorak pacifiste et une créature protectrice sortie du Studio Ghibli, crête tendance punk et deux leds bleues en place des yeux, X14 s’occupe du foyer.Il est mélomane, affectueux et un poil jaloux. Elle, grande, mince, peau diaphane et regard translucide, vit avec un cœur artificiel et attend une greffe sans trop y croire.

Delphine Kreuter fait son retour sur les écrans. Dix ans se sont écoulés depuis la sortie de son dernier film Dubaï Flamingo, et même si je n’étais pas un franc adepte de la réalisatrice, je ne pouvais que constater la place singulière que cette dernière occupait au cœur du cinéma hexagonal.
En mêlant l’absurde à l’étrange, tout en s’ancrant dans le réel la réalisatrice avait su créer un univers détenant ses propres codes.
Après une décennie de silence, Kreuter refait surface au FID Marseille 2022 avec X14, film de science-fiction surprenant orientant son regard sur la détresse sociale humaine, la solitude de plus en plus grande des individus et la prison technologique s’élevant entre chacun d’eux.

Les Nouveaux Sauvages

Liz, la trentaine, vit avec son chat et son robot d’appartement X14. En attente d’une greffe du coeur, la jeune femme vit au rythme des batteries de son coeur artificiel.
Le jour, elle hante les couloirs de l’hôpital, rencontre des médecins, évitant les appels anxiogènes de sa mère, traîne sur Tinder, se terre dans son studio en compagnie de X14, danse avec lui, et le transforme en catalyseur de ses émotions.
La nuit, elle appuie le mascara, s’enfonce dans le vide à la rencontre de chair, à la rencontre des corps. Coup d’un soir, sexe d’une nuit, Liz compte bien tout entreprendre pour se sentir vivante dès lors que la paupière du jour fait son entrée.

Dans cette vie d’attente, une attente pour vivre, pour recevoir un coeur, Liz s’installe dans une condition entre machine et organe, réel et virtuel, ne trouve plus sa place, entre vie tronquée et mort attentive. Kreuter appuie sur la façon dont nous avons élevé les technologies pour vivre avec facilité, et soulève finalement notre isolement derrière ces innovations-prisons.
Elle réussit avec brio à dépeindre nos modes de vie, à nous interroger sur l’essentiel, à nous faire reculer face à l’écran pour nous questionner sur nos existences.
Dans ces tours, faites de milliers d’âmes, que sont les immeubles, plus personne ne se parle, plus personne ne se connaît, reste seulement l’appel des pulsions, celle des corps qui se frottent, de la chaleur qui pénètre, qui ne peut (pas encore) être comblé par le machines -et pourtant notre héroïne réclame des caresses à X14-.
Et si nous regardions notre grand remplacement ? et si nous observions notre effacement ?
L’homme a créé des intelligences rivales, des créatures de métal, ayant une conscience, une existence, qu’il ne sait contenir.

L’Homme Bicentenaire

En créant des intelligences artificielles, si poussées, Kreuter pose également la question l’identité. Elle interroge sur la définition d’individu. Une machine pourrait-elle de devenir plus humaine que l’humain lui-même. X14 est à mi-chemin entre Chappie et L’Homme Bicentenaire.
Dans le monde peint par la cinéaste, Liz semble avoir perdu ses émotions, avoir déconnecté sa sensibilité, existant en pilote automatique trouvant constamment ses solutions à portée de technologie, jusqu’au point de cloner son propre chat décédé afin de continuer à l’avoir à portée de main.
Et contrairement à cette perte d’appréciation du monde sensible, nous constatons que X14, conçu pour répondre à des tâches demandées prend de plus en plus d’autonomie, développe des sentiments, de la jalousie, et apprécie la musique, choisissant lui-même les disques qu’il désire, étant alors capable d’éprouver un avis et des envies.

La mise en scène est finement menée et toute sa réflexion se construit avec minutie, n’est jamais exprimé dans les dialogues mais est à portée de regard.
La cinéaste nous pousse à lire le cadre pour pleinement saisir les symboliques et messages.

La Nuit A Dévoré Le Monde

Un façonnement minutieux qui touche d’autant plus de par sa réalisation punk, son faible budget et ses trucages aux gros traits, qui en font son charme.
X14 est limité dans sa représentation, dans son financement, dites adieu aux hideux fonds verts, rappelez les costumes carton-pâte, Delphine Kreuter débroussaille tous les artifices et se rue vers l’essentiel : son récit.
Une direction qui pourra en laisser nombreux sur le carreau mais qui aura su séduire Kino Wombat, tant dans cette réalisation de bouts de ficelles que dans le jeu d’acteur poussif, peut-être même un peu trop pour François Ardouvin, qui porte et charme.
Cerise sur le gâteau, nous retrouvons Denis Lavant, acteur principal possédé du Holy Motors de Leos Carax, ainsi que Jeanne Balibar, dans deux petits rôles donnant de par leur maîtrise du métier un vrai relief à la proposition.

Notre Jour Viendra

X14 est une agréable surprise, un pari fou alors que le cinéma fantastique est de plus en plus lissé, à la recherche d’une perfection visuelle ne portant plus aucun sens, ne visant qu’à décupler l’égocentrisme de la production.
Le film de Delphine Kreuter alterne entre humour et tragédie, angoisse et euphorie, nous offrant de beaux moments de cinéma tout en portant une inquiétante réflexion sur notre monde du tout connecté, qui fatalement nous déconnecte du réel, de l’humain, nous approchant de la machine, terrain pour lequel notre corps n’a nullement été pensé. Un appel à décrocher, à se retrouver, réjouissant qui inquiète et laisse songeur.

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