Another Spring : Critique

Réalisateur : Mladen Kovačević

Genre : Documentaire

Pays : Serbie, Qatar

Durée : 88 minutes

Sélection Proxima Karlovy Vary 2022

Objet du documentaire : L’éradication de la variole représente l’un des plus grands triomphes de la médecine moderne, mais en 1972, un chapitre peu connu de l’histoire de cette épidémie s’est joué en Yougoslavie.

Ne vous est-il jamais arrivé de suivre une image sans jamais vous demander le contenu d’un film ? Ne vous est-il jamais arrivé d’être absorbé par une énergie, vous traversant de toute part face à l’inconnu au cinéma ?
Pour ma part, c’est exactement ce qu’il vient de m’arriver. A la recherche de films nouveaux, d’images nouvelles, de récits inconnus, je me suis trouvé nez à nez face au film de Mladen Kovačević : Another Spring.
C’est donc dans cette inconnue, cet appel du vide -et finalement en lisant en diagonale le synopsis car mon aveugle folie a des limites- que j’ai découvert qu’il s’agissait d’un documentaire expérimental autour de la variole -l’hypocondriaque tapi en moi s’est éveillé.
Prenant mon courage à deux mains, je fis ma demande aux ayant droits afin de découvrir cette mystérieuse entité et obtins l’accord pour plonger au cœur de la proposition.

Tropical Malady

1972, de retour d’un voyage en Iraq, un citoyen yougoslave, originaire du Kosovo, rapporte dans ses bagages la variole, virus ayant disparu depuis plusieurs années du territoire.
Sur cette simple ligne, sur ce simple fait divers, Kovačević va investiguer et nous révéler la naissance ainsi que les coulisses, de la dernière grande épidémie de variole en Europe.

S’appuyant uniquement sur des images d’archive, le cinéaste reconstruit le puzzle d’une situation qui aurait pu devenir l’un des plus grands fléaux du 20° siècle en matière de maladie. La variole étant la maladie ayant emporté le plus d’individus dans le monde, avec pas moins de 300 000 000 de morts.
En retraçant le parcours de la maladie, suivant la passation d’individu en individu ainsi que la propagation extrêmement rapide du mal, Another Spring arrive extrêmement vite à nous faire prendre conscience de l’horreur, la terreur, qui se dresse face à la population.
Nous (re)découvrons une maladie qui semble aujourd’hui nous renvoyer au moyen-âge, alors qu’elle arpentait, infectait et tuait sur les terres européennes il y a de cela juste cinq décennies. Le documentaire s’immisce en nous, nous saisit de l’intérieur et ouvre nos consciences à l’inimaginable.

Face à ce drame humain, les autorités médicales et politiques se doivent de jouer un rôle décisif pour endiguer une menace exponentielle, face à une population non vaccinée, le virus n’étant plus présent sur le territoire depuis une période conséquente.
Nous partons à la rencontre d’un Kosovo rural, rappelant la fracture presque civilisationnelle entre ville et campagne de l’époque, éveillant en nous le souvenir du cinéma de Marta Meszaros.

La Terre Et L’Ombre

En investiguant sur cette crise le cinéaste fait renaître dans les pensées du spectateur une situation analogue, avec les deux années de crise sanitaire que le monde vient de traverser, et au sein de laquelle notre civilisation semble bloquée pour de nombreuses autres années.
Il est difficile de ne pas mener de comparaison, de céder à l’atmosphère anxiogène du documentaire, à ne pas être pris de frisson, en se remémorant nos quotidiens.

Nous sommes à la fois rassurés de ne pas subir les atrocités de la variole d’une part, mais nous trouvons face à une impasse, la notre, avec un vaccin pas suffisamment adapté, et une maladie ne cessant d’évoluer d’autre part.
Kovačević interroge ainsi notre situation moderne à travers son investigation retraçant les événements d’il y a un demi-siècle.
Un questionnement qu’il soulève avec une grande habileté, nous poussant à réexaminer nos existences et l’historique de la propagation du virus qui traverse le globe.
Un questionnement qui oriente vers la nécessité d’une collaboration des nations pour endiguer une pandémie, un mal, et ce, quel qu’il soit.

Begotten

Le réalisateur serbe donne à sa proposition une atmosphère poisseuse, anxiogène et particulièrement angoissante. Il retravaille les images, les saccade, et leur apporte une distorsion, créant d’invisibles encarts qui viennent nous piéger, nous enserrer dans cette proposition immersive, parfois difficilement soutenable.
Afin de nous garder sous son joug, Kovačević ajoute pour bande sonore, une expérimentation à mi-chemin entre le drone et l’ambient, rappelant des projets musicaux à la lisière de la folie qu’il s’agisse de Diagnose, Merszbow, Locrian ou encore Piotr Cisak.

C’est dans cet ajout de cinéma expérimental, que la proposition saisit pleinement, révèle son étrange pouvoir, marquant les images que nous découvrons comme des troubles que nous ne parviendrons que très difficilement à effacer, entrant dans la catégorie des documentaires que nous n’oublierons pas, ayant réussit à trouver le juste support, la juste forme, pour faire passer son message, pour s’ancrer dans les esprits, tout comme avait pu nous traumatiser, dans une autre thématique, The Act Of Killing.

Another Spring, Another Plague

Another Spring est un documentaire perturbant, mêlant images d’archive et discrètes insertions de cinéma expérimental.
Nous plongeons dans l’hypnose pour observer un drame humain, où notre seul guide est la voix monocorde du narrateur, portée par des fréquences sonores qui essorent nos esprits, qui fait de nous des captifs, des prisonniers aux yeux grands ouverts observant un fléau qui se répète actuellement sous nos pieds.
La variole n’est qu’un exemple parmi tant d’autres de la fragilité de nos existences. Kovačević vient à nous remémorer la nécessité d’une entraide humaine à l’échelle mondiale pour subsister, d’un dépassement des frontières pour ne pas sombrer à jamais dans un vide qui s’étend sous nos yeux, que nous ne voulons pas constater, et qui s’apprête, pourtant, à nous dévorer.