Réalisatrice : Laure Portier |
A l’écran : Arnaud Gomez, Jacqueline Puygrenier |
Genre : Documentaire expérimental |
Durée : 78 minutes |
Date de sortie : 2022 |
Pays : France |
Propos : Arnaud, c’est mon petit frère. Un jour, je me suis rendu compte qu’il était déjà grand. Il est né là où on ne choisit pas et cherche ce qu’il aurait dû être. Libre.
C’était une fin d’après-midi de juin, après les chaleurs que nous venions tous de traverser. Le ciel se couvrit d’un étouffant nuage, les degrés vinrent nous enserrer, nous faire prisonnier de nos corps se flétrissant sous la moiteur du climat.
Je quittais tout juste le travail, eus le temps de me frayer un chemin jusqu’à la gare, pour finalement me retrouver piégé, sur le quai. L’orage vint déchirer le ciel, un obstacle tomba sur la voie. Les lignes de trains furent suspendues et des pluies diluviennes vinrent transpercer les nuages.
Je m’engouffrai sous un petit abris, attendant une reprise rapide du trafic, consultai mes mails rapidement afin de gagner du temps sur toutes les tâches qui me m’attendaient à la maison. Un mail parmi d’autres saisit mon regard.
La proposition de couvrir la sortie d’un curieux documentaire, Soy Libre réalisé par Laure Portier, me fit faite, dont le synopsis ne fit qu’accentuer mes interrogations autour du sujet traité.
Je m’empressai de répondre afin de poser ma rétine sur ce film dont je connaissais si peu, presque rien à vrai, et qui éveillait pourtant ma curiosité.
L’article autour de la sortie DVD de Soy Libre s’organisera en deux temps :
I) La critique de Soy Libre
II) Les caractéristiques techniques de l’édition DVD
I) La critique de Soy Libre
Nous Deux Ou Rien
Laure Portier pour son premier long-métrage porte son regard vers un cinéma documentaire, s’ancrant pleinement dans le réel, frôlant la fiction à travers sa narration et un usage habile des ellipses.
Soy Libre suit Arnaud, le frère de la réalisatrice, durant quinze années du mirage de la fin de l’adolescence à la recherche d’une place dans un monde hostile.
Du beau milieu des tours jusqu’à l’exploration de terres inconnues, la cinéaste a suivi son frère régulièrement, le filmant, immortalisant une jeunesse sur le fil.
Une âme en peine qui jamais ne se résigne, cherchant toujours le dépassement de sa condition.
La forme qu’utilise Portier pour délivrer son message est à la fois troublante et charmante, sans jamais dessiner avec affirmation la structure, sans jamais dévoiler la trajectoire de vie, la cinéaste réussit en une poignée de séquences à faire de son frère une véritable énigme pour le spectateur. Arnaud court le monde, cherche une harmonie ressentie mais difficilement perceptible.
Le discours à la forme déterministe, de ce jeune homme semblant prisonnier dans un premier temps de sa classe sociale, réussit pourtant avec des écarts, de-ci, de-là, à laisser entrer une lueur d’espoir, celle de l’affranchissement des destins maudits.
Le montage a été effectué de manière assez méticuleuse pour traverser ces quinze années en une poignée de minutes, donnant l’impression de quelques mois, et réussissant à synthétiser et axer le regard sur l’essentiel, accaparant ainsi toute notre attention sur le point que souhaite faire ressortir la cinéaste.
Le temps s’exprime au fur et à mesure des caméras utilisées, à la stabilité de l’image ainsi qu’à sa qualité.
Le documentaire s’évapore alors comme témoignage du réel, la fiction s’éveille et nous résidons dans un espace hybride qui est le champ d’expression extraordinaire de la réalisatrice.

Les Déshérités
En suivant son frère, débutant le récit au milieu des cités françaises, Laure Portier souligne ainsi rapidement les écrits de Bourdieu. Elle suit un déterminisme qui interroge, qui montre une jeunesse condamnée avant même sa naissance et fait craindre la direction que compte prendre le documentaire, faisant redouter de suivre des cheminements de pensée que nous connaissons, et qui dans cette perspective aurait pu tourner à la proposition moralisatrice.
Néanmoins, il n’en est rien car Laure Portier regarde la France avec un regard insoupçonnable, franc, allant plus loin que la violence symbolique française, l’allongeant jusqu’à un constat européen, et met le doigt sur une partie de la population indésirée, indésirable, qui, qu’elle soit française ou bien étrangère, n’a pas de destin du point de vue des institutions.
Laure Portier vient nous brusquer, nous tirer de nos embourgeoisements et tire la sonnette d’alarme autour d’une nation qui a perdu la liberté de ses citoyens sur l’autel du capitalisme, de la valorisation des êtres, et de la disparition d’humanisme.
Dans cette cuvette, impasse conçue de toute pièce pour piéger ceux qui nourrissent le système en usant leur vies, Arnaud survit et cherche l’échappatoire. L’espace qui pourrait lui conférer une liberté qui lui a été dérobé à la naissance.
Wings Of Hope
En s’affranchissant dans un premier temps de son pays, Arnaud cherche à repartir sur des bases nouvelles en s’expatriant en Espagne. Il fixe la source des privations de sa liberté autour du sol français et découvre très rapidement que le pays de Cervantes recoupe les mêmes problématiques, répondant aux paramétrages de l’Union Européenne, lui offrant néanmoins une clé à se réapproprier, l’apprentissage d’une nouvelle langue : l’espagnol.
De cette nouvelle connaissance, tout une diversité de pays, de cultures, de sociétés, s’ouvrent à lui. Il s’évade alors du vieux continent et s’envole pour Lima, capitale du Pérou. C’est dans ce nouvel espace géographique que finalement Arnaud trouve sa place, son humanité dérobée.
Soy Libre est une véritable recherche du bonheur aussi bien d’un point de vue géographique que temporelle. Le film ouvre la possibilité, et la question, de l’espace où tout un chacun peut s’accomplir , s’épanouir, rouvre le champ des possibles, nous poussant à appuyer notre regard au-delà des prisons que nous nous sommes créés que cela soit dans nos villes ou pays de naissance, appelant à redécouvrir le monde ainsi que les cultures pour finalement reconquérir nos âmes et nos êtres.
Une fascinante réflexion autour de la réappropriation de nos libertés porté par le regard d’une sœur, de plus en plus espacé dans le temps, de plus en plus empli d’amour, pour un frère s’épanouissant, réussissant dans sa progression tout au long du film. Elle parvient à figer l’anonyme pour le transformer en personnage de cinéma tout en nuances, un icone, rien que cela.
Les Chemins De la Liberté
Soy Libre réalisé par Laure Portier naît dans l’obscurité, celle des tours, tombeaux à ciel ouvert, et ne cesse de tirer notre attention au-delà à travers le regard rêveur, plein d’espoir, d’Arnaud, nous faisant dépasser les frontières et les continents, les pensées et les sociétés.
La proposition nous dévoile une France, une Europe, obnubilée par sa réussite économique ne faisant des individus que des données sacrifiables au nom de la réussite, dévoilant les contours d’un esclavagisme moderne, de la toute puissance du capitalisme, et essaie de nous faire voir dans de subtils interstices des espaces de liberté, des directions libératrices à la rencontre de l’humain.
Failles à travers lesquelles si nous observons attentivement, nous pouvons dépasser nos prisons mentales pour chercher notre bonheur, et notre place. C’est ce qu’a fait Arnaud, ouvrant le chemin pour que nous puissions redécouvrir nos existences.

II) Les caractéristiques techniques de l’édition DVD
Image :
Compilant de nombreux extraits vidéos durant quinze années, la qualité de l’image qui nous est proposée en devient assez difficile à juger d’un point de vue qualitatif partant de caméra mini-DV jusqu’à un matériel moderne. La définition de l’image en est alors matériellement instable et s’ancre dans la forme même du film.
La restitution du film à travers le master DVD en présence est une réussite, mais ne vous attendez en rien aux sommets du support car ce n’est en aucun cas pertinent d’analyser une telle oeuvre à travers les critères habituels.
Son :
Tout comme pour le rendu image, le rendu son est variable, en fonction des années de prise, et difficilement évaluable tant ce critère fait parti intégrante du film. Une restitution parfois lo-fi qui rognera sur la clarté générale de certains dialogues.
Suppléments :
Les Alchimistes Films ont fait un beau travail en terme de contenu autour de cette sortie.
Nous y trouvons trois suppléments :
- Dans L’Oeil Du Chien réalisé par Laure Portier ( 2019, 38′) :
Dans L’Oeil Du Chien est le premier film, moyen-métrage, réalisé par Laure Portier.
Suivant le même procédé que pour Soy Libre, Dans L’Oeil Du Chien nous conte les dernières semaines de l’existence de la grand-mère de la cinéaste.
Une proposition difficile mais d’une touchante intimité, où le réel vient nous chercher, nous porter au cœur de l’écran.
La présence de ce moyen-métrage, sur cette édition DVD, est essentielle pour ceux qui souhaiteraient prolonger l’expérience qu’est Soy Libre.
En revenant autour du personnage de la grand-mère, présente dans le long-métrage, Laure Portier fait se rencontrer deux histoires partageant la même temporalité, parvenant à ce que les espaces, jusqu’à une courte séquence en présence d’Arnaud.
Il s’agit ici d’une proposition qui émeut de son ouverture jusqu’à son dernier souffle.
En découvrant ce premier projet cinématographique, nous nous rendons compte que Laure Portier dessine un geste de cinéma, crée sa propre ligne d’expression, innove, entre réel et fiction, où le montage vient créer ce nouvel de vie, et où la cinéaste nous conduit dans son intimité avec une frontalité mais également une tendresse qui troublent et subjuguent.


- Restitution sélective de l’atelier Démontage D’Un Montage au cinéma du réel 2022 (61′) :
Durant l’édition 2022 du Cinéma Du Réel, festival du film documentaire, Laure Portier, accompagnée du responsable montage, Xavier Sirven, ont participé à une conversation animée par Eva Markotis dans le cadre de Périphérie, une structure œuvrant à la création ainsi qu’à la diffusion du cinéma documentaire.
La discussion de plus d’une heure découpe et revient en détails sur les moindres aspects du film, de son concept à sa réalisation en passant par ses différentes modalités de création.
Il est fascinant de suivre cet échange, très pointu, sur la création documentaire, et sur la dynamique à trouver pour passer de centaines heures de film à une oeuvre documentaire n’excédant pas les quatre-vingts minutes.
Les Alchimistes Films nous fait un sublime cadeau en nous offrant un tel contenu.
- Bande-Annonce
Note Suppléments :

Avis Global :
Soy Libre est un documentaire surprenant, nous portant au cœur de la vie d’un jeune homme plein d’espoir en la liberté, qui, malgré les lois et directions d’une nation allant à l’encontre de sa propre devise, ne va cesser de croire, croire en l’ailleurs, croire en ses rêves, ceux de l’enfance, mais aussi ceux de lendemains meilleurs.
Un voyage filmé par le regard intime de sa sœur, la réalisatrice, qui au fur et à mesure des plans portera son frère d’anonyme à héros, avec toute la tendresse et l’amour que peut en porter le cadre, faisant fis du temps et des distances, observant le rêve fou, humain, de son frère.
L’édition que propose Les Alchimistes Films, ne brille pas nécessairement de par son contenu technique, restituant l’image et le son de caméras parfois bas de gamme, mais se trouve être accompagnée de suppléments d’une grande pertinence, pour plonger autour de sa réalisatrice : Laure Portier.
Note Générale :
Pour découvrir Soy Libre en DVD :