Réalisatrice : Marusya Syroechkovskaya Réalisateur assistant : Kimi Morev |
Genre : Documentaire |
Durée : 103 minutes |
Pays : Suède, Norvège, France, Allemagne |
Date de sortie : 2022 |
Sélection ACID 2022 |
Objet du documentaire : Marusya et Kimi, amoureux inséparables, passent à l’âge adulte alors que les rêves autoritaires de la Russie s’installent. En tournant l’appareil photo de Marusya sur eux-mêmes, ils capturent l’anxiété euphorique de leur jeunesse, brûlant la chandelle par les deux bouts – mais alors qu’une lumière brûle plus fort, l’autre pourrait s’éteindre à jamais. Le message d’une génération réduite au silence.
Lorsque l’on se trouve au Festival De Cannes, il est très facile de se faire dépasser par les multiples compétitions, et assez difficile de se trouver dans la salle que l’on désirerait au moment voulu, suivant le niveau d’accréditation.
L’aventure nécessite une grande préparation tant physique que mentale, et surtout de la chance. La chance de rater certains films attendus et de se retrouver devant d’autres films inconnus, de découvrir l’insoupçonnable.
Malheureusement, durant le festival je n’avais pas vu la présence du projet documentaire de Marusya Syroechkovskaya, et je n’ai pu qu’à une seule occasion me rendre à l’ACID, compétition parallèle, et ce, pour découvrir le très humain et touchant Atlantic Bar.
C’est au détour d’une plateforme professionnelle que reparut le titre How To Save A Dead Friend, après avoir lu plusieurs articles sur la proposition, il est venu de rattraper ce manquement de mon dernier périple cannois.
Hello Darkness
Maryusa et Kimi se rencontrent, se découvrent, s’aiment. Ils ont respectivement 16 ans et 17 ans.
Elle, filme sans discontinuer un quotidien sans lendemain au rythme d’une coldwave torturée et de la mort successive de ses amis. Lui, vit en poète éloigné du monde par ses fix, souhaitant accéder à des terres perdues, celles des rêves.
Ils tombent fous d’amour, amour maudit, la mort pour cavalière, caméra au poing, ouvrant le regard sur une Russie de l’ombre celle d’une jeunesse agonisante.
Maryusa est la réalisatrice de ce film documentaire s’ouvrant sur les funérailles de Kimi. La proposition nous donne à voir la Russie des invisibles, de certains adultes d’aujourd’hui, de la gangrène qui s’est installée, insidieusement au rythme d’une nation dévoilant son spectre autoritaire.
En compilant presque une décennie d’images, la jeune femme au parcours tumultueux, nous ouvre l’intimité de jeunes adultes s’évadant entre musique et drogues dures. Elle dresse le portrait d’un territoire dépressif où les majeurs sont évanouis, abattus par des conditions de vie effrayantes, et une nouvelle génération désenchantée. La cinéaste dessine un futur effondrement étatique, mêlant images télévisées, images du quotidien et musiques expérimentales, ouvrant une brèche vers le chaos.
Nous découvrons la devise d’une jeunesse souffrante face à un pays que Poutine, entre ombre et lumière, tient d’une poigne impitoyable : Cold Wave. Bad Trip. Suicide.

Le Journal D’Un Suicidé
Nous partons à la rencontre d’une facette de la Russie, dissimulée par son pouvoir étatique, révélant une société rongée dans ses bases, abandonnant la classe populaire, aux générations à venir incertaines.
Dans un pays où l’espérance de vie des hommes est de 13 ans inférieure à la moyenne de la plupart des pays européens, où l’alcool a ravagé les décennies précédentes, il n’est pas si étonnant de découvrir le vertigineux virage qu’est en train de prendre Marusya et ses amis.
La société héritée est un espace de désolation où la dépression flotte et s’immisce dans le moindre individu en présence, les paradis psychédéliques deviennent alors l’ultime rêve jusqu’à ce que ce dernier ne devienne une prison obsessionnelle.
Marusya Syroechkovskaya réussit à sélectionner des séquences clés de sa vie avec Kimi, permettant de pénétrer au coeur de l’individu, percevoir les rouages qui mènent à cette désillusion constante, où à chaque réveil la mort devient une porte vers le bonheur. Rien ne nous est épargné des prises de stupéfiants aux scarifications en passant par d’anxiogènes bad trip tout comme des instants en apesanteur, d’euphorie totale, grâce torturée.
Le portrait devient en quelques séquences très intime, déstabilisant le spectateur, pétrifié face au dramatique spectacle qui se joue à l’écran.

La Femme à La Caméra
Marusya Syroechkovskaya débute son oeuvre en filmant les appartements et salles de concerts, restant principalement dans des espaces clos, faisant naître pleinement le portrait des individus, nous offrant cette étrange rencontre, puis ouvre progressivement sa proposition vers l’extérieur.
Elle fait pénétrer la rue, les habitants, et inévitablement la politique.
En structurant progressivement le récit avec l’intervention de la politique d’Etat, au fur et à mesure des années, des allocutions pour le nouvel an, ou encore en se jetant à corps perdu dans des manifestations virant à la guerre urbaine, la cinéaste dresse un miroir effroyable entre réalité et image construite pour la scène internationale.
Une vision cauchemardesque situant l’existence des individus à l’écran entre anesthésie par les drogues ou combat physique contre l’autorité. Dans les deux situations, la mort ne cesse de planer, de venir récolter les âmes dans une infernale danse aux allures de roulette russe.

Maps To The Stars
How To Save A Dead Friend est un documentaire glaçant, effrayant, sur les coulisses d’un pays meurtri par des décennies d’autoritarisme, une nation blessée par ses désillusion, un territoire meurtri par son histoire, un peuple abattu par son invisibilité.
La Russie que parcourait Viktor Tsoï, figure de proue de la libération de la jeunesse par le Rock durant les années 80, ayant vécu un funeste destin, qui aujourd’hui renaît à travers Leto réalisé par Kirill Serebrennikov ou encore la redécouverte de L’Aiguille réalisé par Rachid Nougmanov, se poursuit à travers la proposition du documentaire en présence. Une prolongation qui observe la portée de cette lumière naufragée.
Le documentaire de Marusya Syroechkovskaya est une vraie confrontation entre l’image renvoyée par le pays et le voyage qu’il nous inflige au cœur de ses structures pourrissantes, de ses générations abandonnées et de ce pays à l’avenir humain incertain.