Jeunesse En Sursis : Critique

Synopsis : Masha effectue sa dernière année de lycée au côté de ses deux meilleurs amis. Lorsqu’elle tombe amoureuse, la jeune fille timide et marginale doit sortir de sa zone de confort. Une histoire universelle sur la jeunesse ukrainienne qui trouve une résonance particulière dans le contexte actuel.

Réalisatrice : Kateryna Gornostai
Acteurs : Maria Fedorchenko, Arsenii Markov, Yana Isaienko
Genre : Drame
Pays : Ukraine
Durée : 122 minutes
Date de sortie : 14 septembre 2022

Ces derniers mois, suite à l’explosion du conflit en Ukraine, un véritable coup de projecteur a été dirigé en direction des créations artistiques ukrainiennes. Tous les domaines ont gagné en représentation, et les salles françaises ont eu l’honneur de mettre en avant un cinéma qui auparavant demeuré assez confidentiel.
Aujourd’hui nous découvrons le premier long-métrage de Kateryna Gornostai, Jeunesse En Sursis, portant le regard sur une jeunesse sur le point de quitter le lycée, se retrouvant propulsée aux portes de la vie active, espace sans filets, vide effrayant où la vie prend parfois des embranchements irréversibles.

The Smell Of Us

Masha est une adolescente, femme à en devenir, de terminale. Durant cette dernière année face à l’institution scolaire, Masha et ses deux amis tout aussi anti-conformistes vont se mesurer face au vide grandissant, et approchant, de l’après-lycée.
Celui où les filets institutionnels se déroberont, ouvrant les portes de l’université ou bien de la vie active. Ces filets aux allures de cages durant toutes ces années de scolarisation, appuyant et inculquant la société, détestés par leur conformisme et leur moralisme, qui disparaissant du jour au lendemain, au réveil du bal de promotion, dévoilent un vide d’une inquiétante liberté, une obscurité d’une troublante autorité, poussant à s’intégrer, à s’uniformiser ou bien à lutter, à contre-courant, seul mais libre.

Le récit que nous présente Kateryna Gornostai n’apporte pas de véritables surprises sur les thématiques abordées, se voulant même conventionnel dans les sujets touchés, mais parvient dans la forme de ses expressions, au coeur de ses schémas de pensées, à orienter nos esprits et regards vers d’autres manières d’appréhender une problématique somme-toute récurrente depuis ses dernières années : la fin de l’école et l’amorce de la vie active.
Le film se parcourt d’une manière intelligente, ricochant d’un personnage à un autre, s’organisant autour de Masha mais s’évadant avec aisance dans l’intimité de nombreux autres portraits, touchant ses camarades comme les parents. Un voyage qui réussit à couvrir de nombreuses facettes de cet âge charnière, de cette transition abrupte à la fois angoissante et excitante, ainsi que les relations avec les adultes, figures perdues et formatées.
En entrecoupant le récit avec les témoignages des personnages, post-lycée, la proposition trouve un équilibre et capte le regard ainsi que nos études des images en présence. Nous plongeons, sans plus vraiment mettre de barrière dans la fiction, les protagonistes sont criants de vérité, portés par des acteurs effectuant dans la simplicité de leurs jeux un véritable tour de passe-passe schizophrénique, faisant de cet âge un grand écart doux-amer entre les rivages naïfs de l’enfance et l’âpreté d’un monde adulte sans rêves, dicté par la communauté, inculqué par la peur du vide, qu’il s’agisse de la solitude comme de la misère.
Une page se tourne, la synthèse de la première partie de l’existence se doit d’être faite pour définir le parcours à venir.

Kids

Dans ce redoutable face à face avec l’avenir, le film construit un modèle adolescent très intrigant parvenant à toucher et dessiner le difficile équilibre émotionnel de cet âge si particulier. La cinéaste cible la balance décadente entre le corps et l’esprit. L’appropriation de l’individu passe par les expériences, des plus anodines, d’un regard soutenu à une accolade, jusqu’aux plus hostiles, du rejet jusqu’à la scarification.
L’identité des individus se joue, les chemins de vie et les attirances se révèlent.
Jeunesse En Sursis réussit à nous faire ressentir l’invisible dans cette dissociation entre le corps et l’esprit. Le périple qui se joue nous replonge dans notre propre adolescence celle des extrémités où les jouissances les plus extraordinaires rencontraient nos désillusions les plus sordides, où nous mettions nos corps à l’épreuve, où la barrière avec le péril devenait perméable, rongeant la charogne des adultes parfois jusqu’à la bile, nous faisant sentir la vie à travers le sang, la sueur et les sécrétions en tout genre.
L’enveloppe corporelle s’ouvre et se confronte à un monde à la carcasse béante, en pleine autopsie, se redessinant de manière parallèle à sa jeunesse, au rythme de l’immatériel, des technologies nouvelles, portant la vitesse du crash sociétal, et les fractures générationnelles, à un niveau de plus en plus terrifiant.

Palo Alto

Les adultes sont en retrait, mangés par leurs propres échecs, contemplant le gouffre les séparant de leurs progénitures. Certains deviennent harassant pour reconstruire le lien, d’autres abandonnent et d’autres résistent comptant les jours et les nuits.
L’indépendance des adolescents se joue à portée de main, de téléphones, trouvant un semblant de liberté, d’apaisement, à travers l’évasion du réel, ouvrant leurs plaies aux écrans et ne parvenant plus vraiment à communiquer entre tiers.
Cette rupture communicationnelle est particulièrement bien captée par la réalisatrice qui à l’aide d’un montage sans temps mort, mais laissant parler l’image et les gestes, réussit à dépasser les mots. Une configuration habile, qui se perd malheureusement dans sa dernière déclinaison avec une scène de bal assez pauvre, et brouillant la ligne de pensée de la proposition.
Cela fait d’ailleurs quelques années, que le cinéma ciblant la fin de l’adolescence se perd dans d’interminables scènes dansantes avec pour volonté de faire parler les corps, laissant parler le mouvement, tout en restant d’un affligeant académisme en matière de cadrage, ne réussissant que très rarement à souligner, à sublimer, le message du film.
Jeunesse En Sursis n’est pas l’exception, là où le film brille tout du long, il se cache, se gâche, quelque peu, dans sa conclusion avec cette triste scène d’un navrant conformisme, poussant les personnages vers un cheminement de vie tout aussi pâle.

The Tribe

Malgré ce faux pas, la puissance de l’impact de Jeunesse En Sursis réside, dans un facteur involontaire : sa sortie calendaire. Filmé avant le début du conflit armé en Ukraine, le film de Gornostai nous donne à voir les institutions d’un pays aujourd’hui ravagé, et vient à dépasser l’horrible représentation de l’Ukraine dans les médias, en tant que grenier de l’Europe, ne résumant cet Etat qu’à un ensemble de communes rurales pleines de champs de tournesol.
L’Ukraine se révèle comme une nation moderne, avec une jeunesse extrêmement semblable à la nôtre, que nous dénigrons pourtant aujourd’hui, amplifiant le vertige procuré par le film. Gornostai façonne le pays et le met inconsciemment dans cet état d’anxiété révélateur du conflit à venir.
Une oeuvre qui met en relief l’horreur absolue du conflit, nous faisant transposer ce dernier à nos terres, à nos existences, nous mettant en garde face à a guerre qui guette nos frontières.
Une proposition qui donne à voir un pays conscient de la possibilité d’une guerre depuis de nombreuses années, enseignant le tir au fusil à sa jeunesse, et où les puissances mondiales toutes aussi conscientes n’ont jamais dénier se préoccuper de cette épée de Damoclès au-dessus d’un peuple en proie à la mort et à la désolation.

Ham on Rye

Jeunesse En Sursis est un film adroit, dissertant avec intelligence sur la fin du lycée et le gouffre effrayant que révèle le monde actif, pourtant rêvé tout du long de la scolarité.
Le film de Gornostai touche juste sur l’adolescence en créant des portraits tiraillés dans le déséquilibre à la fois émotionnel et sentimental, doublé d’une muraille inter-générationnelle de plus en plus élevée au fil que les réseaux sociaux et les technologies mobiles ouvrent un espace secret, qui unit dans un premier temps pour finalement isoler les peines, prisons individuelles à en devenir.
Jeunesse En Sursis donne à voir une Ukraine comme nous la voyons si peu depuis ces derniers mois, semblable à nos pays européens, étrangement similaire.


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