La Casa Lobo (The Wolf House) : Critique

Réalisateurs : Cristóbal León, Joaquín Cociña
Genre : Animation
Durée : 74 minutes
Date de sortie : 2018
Pays : Chili

Synopsis : Après avoir échappé à une secte religieuse au Chili, Maria cherche un refuge dans une grande maison où elle est accueillie par deux cochons, seuls habitants. Un rêve en stop-motion où la maison réagit aux émotions. Les animaux deviennent doucement humains et la maison en un monde sombre et menaçant.

Il y a de ces rencontres cinématographique, dont nous n’attendons rien, et qui, en une poignée d’images, de cadres, nous éblouissent, nous ouvrent à être conscient d’horizons créatifs nouveaux, qui écarquillent nos paupières pour nous laisser une trace durable au plus profond de la rétine.

C’est exactement ce qu’avait réussi le duo de cinéastes chiliens formé de Joaquin Cociña & Cristóbal León, il y a de cela quelques mois. Au détour de mes échappées hebdomadaires sur MUBI, à la recherche de curiosités hallucinées et hallucinantes, je tombai nez à nez sur le curieux et dérangeant court-métrage d’animation The Bones, fait en stop-motion, nous ouvrant un regard cryptique sur la matière vivante et sa transfiguration en poussière, une danse macabre enivrant le regard dans son analyse sur l’histoire d’un Chili en pleine métamorphose, l’iris irradié par le mal. Le court-métrage produit par Ari Aster et héritier des jeunes heures de Burton, sans le romantisme pédant que nous connaissons de la part du père d’Edward Aux Mains D’Argent.
Une aventure occulte toute autant excitante que profondément inquiétante, une proposition qui ne pouvait qu’attiser la curiosité pour découvrir  les autres travaux de cette prodigieuse collaboration.
Une curiosité alimentée par l’arrivée toute récente sur la plate-forme de leur long-métrage réalisé en 2018, et lauréat du FID Marseille, du festival du film d’animation d’Annecy ainsi que du festival du Film de Berlin : La Casa Lobo / The Wolf House.  

Apocalypse Now

L’étrange entité nous fait suivre Maria, jeune femme allemande ayant fui une étrange communauté, secte, symbolisée par des loups,  et ayant trouvé refuge dans une maison délabrée, en pleine forêt, espace protégé, rêve loin de l’oppresseur, mais prison gardée par le prédateur qui rôde à la recherche de sa proie échappée.
The Wolf House à travers le personnage des loups représente, sans jamais la nommer, la Colonia Dignidad, secte nazie dirigée par l’immonde Paul Schäfer, et entretenue par Pinochet, devenu camp de sévices, d’expériences et de tortures durant près de trois décennies.

C’est ainsi, sans jamais montrer, sans jamais nommer, donnant une dimension universelle, insaisissable, à ces horreurs, et préférant canaliser son regard sur les rescapés et l’après, que les deux réalisateurs créent une réflexion stupéfiante. Comme à leur habitude, ils ouvrent les entrailles d’un Chili ravagé par ses dictateurs, ils jouent de symboles et de poésie, pour délivrer une philosophie allant au-delà de la parole, faisant entrer le spectateur dans une véritable projection, dans un labyrinthe où seule la pensée est la clé, où les névroses deviennent portails. Nous plongeons dans une hallucination totale.  La maison prend vie, une vie irrépressible ayant le pouvoir de convoquer la mort tout comme l’éternité.
Maria élève deux animaux, deux cochons, prenant par la suite la forme d’enfants, la réalité se distord prend la forme des songes, des sentiments, des peurs comme des joies, des rêves comme des terreurs. La matière se dérobe, les certitudes se disloquent, le monde de Maria s’effondre tout comme il se construit. The Wolf House est une impressionnante étude des traumatismes et de leurs répercussions mentales, de la difficile reconstruction des victimes, des martyres.

La Maison Aux Fenêtres Qui Rient

Le mal est à la fois à l’extérieur mais également à l’intérieur de la maison. C’est la grande force de The Wolf House. Sa manière de cultiver et travailler l’insécurité de son personnage principal, se réfugiant dans une maison providence dont les murs vont vite devenir gardien des démences, des souffrances, des névroses est d’une effrayante perspicacité.
Les réalisateurs parviennent à capter le sentiment de danger omniprésent à l’extérieur du foyer, laissant finalement prendre vie aux ténèbres dans l’enceinte paradisiaque, dessine le malédiction que l’on peut s’infliger dès lors que l’on vit et dissimule dans la peur.
L’horreur s’immisce de manière progressive jusqu’à totalement submerger le cadre et nous guider dans un terrible purgatoire où la porte vers l’extérieur, vers l’inconnu, devient l’ultime duel, l’ultime possibilité pour s’émanciper, renaître, quitte à se perdre à jamais.
The House Wolf est ainsi une incantation à la renaissance, une prière pour déjouer le sort infligé, pour accepter les marques inaliénables et vivre.

La Rue Des Crocodiles

Le duo qui avait su nous sidérer de par son inventivité plastique avec The Bones, se dévoile, se découvre, avec ce film antérieur, à l’inventivité estomaquante, où peintures, maquettes, marionnettes, dessins, matières organiques s’offrent une lutte acharnée pour faire naître une vision unique, toute autant abstraite que frontale. L’expérience visuelle est totale, organisant la possibilité de se perdre dans ces méandres, tout en dissimulant dans les moindres recoins du cadre pléthore d’indices, de pistes, pour construire le chemin narratif qu’ouvre le duo de réalisateurs.
Une création visuelle sans pareille se joue devant nous, et nous semblons ne plus avoir les mots pour cibler nos ressentis et émotions face à ce troublant, suffocant, traumatisant mais pourtant obsédant film qui rappelle la folie visuelle des frères Quay.

Requiem For A Dream

The Wolf House, fable à la noirceur infinie, s’amusant à visiter des espaces honteux de l’histoire, mais qu’on ne peut plus se permettre d’occulter, est sans aucun doute la plus grande expérience de cinéma que nous ayons fait ces derniers mois, une porte vers une nouvelle vision, vers de nouveaux imaginaires, des expressions nouvelles, une reconstruction même du média cinéma, un voyage où l’expérimentation paraît toucher l’au-delà, pour dépasser la narration, l’expérience visuelle et plus encore nos perceptions.

Joaquin Cociña & Cristóbal León sont l’aurore inespérée, l’espoir d’un art qui vient seulement d’ouvrir les yeux.

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