Réalisateur :Bertrand Bonello |
Acteurs : Julia Faure, Louise Labèque |
Genre : Drame Expérimental |
Durée : 80 minutes |
Date de sortie : 16 novembre 2022 |
Pays : France |
Synopsis : Une adolescente est enfermée chez elle pendant une crise sanitaire mondiale. Elle navigue alors entre rêves et réalité, jusqu’à ce qu’elle se mette à suivre une inquiétante et mystérieuse YouTubeuse nommée Patricia Coma.
Bertrand Bonello… Bertrand Bonello…, il y a certains noms qui pour des raisons ou d’autres n’attirent pas toujours l’attention. Durant des années, le cinéaste et ses films n’ont su attiser mon regard, mon intérêt, et ce n’est pas faute d’avoir caressé mon pavillon tant il me fut recommandé.
Il aura fallu attendre sa présence, à la cinémathèque de Nice, qui d’ailleurs ne me séduisait toujours pas, et l’annonce de sa carte blanche, qui permit de remettre les pendules à l’heure. Une sélection de films qui rendit possible ma découverte de Salò Ou Les 120 Journées De Sodome de Pier Paolo Pasolini, sur grand écran. Une folie de programmation pour une ville du Sud-Est de la France qui donna un toute autre vision au nom de Bertrand Bonello. Je découvris alors Nocturama, son dernier film à l’époque, et quelle déflagration. Je revis le film à de nombreuses reprises, sans pour autant franchir totalement mon absurde barrière invisible jusqu’au FID Marseille 2019 où je pus me rendre compte de la grandeur du cinéaste, et enchaîner les séances de rattrapages, un amour de cinéphile est né.
L’aventure cinématographique Bonello est désormais un parcours ancré dans les bases de Kino Wombat, une manière novatrice et en constante évolution d’apprécier le septième art allant de la froideur tout autant terrifiante que touchante de Le Pornographe jusqu’au film de genre Zombi Child. Unevision de l’humain inadapté à l’environnement qu’il a créé qui m’habite et me suit littéralement désormais.
Aujourd’hui, Coma, son nouveau film fait son entrée dans un nombre de salles particulièrement réduit, et nous ne pouvions rater l’événement.
Virgin Suicides
Coma prend place quelques semaines, mois, après l’aventure Nocturama, hante la même ville, prolonge les symptômes et nous plonge dans une histoire parallèle à la nôtre, au cœur d’un confinement de la population durant déjà depuis sept longues années. Le film suit une adolescente, coupée du monde, vivant dans la capitale et ne pouvant croiser ses amis qu’au cours de conversations via Zoom.
Les expériences de la jeunesse n’ont plus lieu, la découverte du monde se fait par internet où les influenceurs sévissent et cadenassent la pensée, modelant une manière de réfléchir homogène créant une effroyable humanité de clones sous hypnose.
La lecture de la société moderne par Bonello est tétanisante. Il utilise un ton grinçant, comique, cynique, et d’une finesse analytique assez déconcertante. Il tourne son champ de vision vers une jeunesse solitaire, renfermée sur elle-même, pleine de rêves, dictés par le médias, hanté par ses cauchemars, ses peurs de l’inconnu.
Le cinéaste travaille le rêve pour l’élever comme concept auto-destructeur, où le rêve des uns dévore l’individualité des autres. A travers la notion de rêve, nous voyons apparaître une symbolique préoccupante et très pertinente de la société consumériste où le rêve de l’un conduit fatalement à poséder l’autre. Les relations humaine deviennent toxiques, mortifères, et développant une dynamique cannibale de plus en plus démesurée.
Les héros deviennent ceux que l’écran nous proposent, les tueurs en série des plateforme VOD deviennent le frisson interdit qui anime les jeunes, prolongation du star system, les adolescents n’idolâtrent plus les chanteurs, ils ont besoin de réel, d’un choc violent pour dépasser la bulle clinique dans laquelle ils ont été enfermés. Un appétit qui transforme la génération future en furie incandescente, certainement la génération de la fin du monde.

La Piel Que Habito
Dans ce monde de l’enfermement, Bonello érige les contenus vidéos comme de véritables divinités, détenteurs du savoir, où l’on suit une influenceuse lifestyle du nom de Patricia Coma. Le film dénonce par ce biais une vraie maladie de nos sociétés celle des influenceurs, personnes ordinaires, sans savoir particulier, instruisant et donnant irrémédiablement une éducation culturelle et idéologique aux spectateurs, les influencés.
Le réalisateur creuse un spectacle installant un malaise certain tant il n’est plus tellement dans la fiction et reflète un naufrage à venir, un miroir inquiétant de notre quotidien. Il gratte aussi la question de la position de l’influenceuse, ici, Patricia Coma se doit de mentir de vidéos en vidéos à la fois pour garder son auditoire, conserver une fascination, mais également être financé. Le monstre consumériste est ici et Bonello insiste bien sur notre incapacité à être libre, sur la perte de nos libertés de choix, le déterminisme montre ses crocs, nous sommes à la fin de l’évolution, faites vos adieux, nous sommes perdus.

Funny Games
Coma configure ses espaces et ses mises en scène pour toujours prolonger son discours et nous emprisonner, dès que nous espérons entrevoir un échappatoire, à notre anéantissement. Le film fait preuve d’une originalité fascinante dans sa manière de traiter l’image, la matière, les motifs mais aussi les supports. Le cinéma s’ouvre et nous tombons dans une multitude de manipulations du média, dédale lynchien. Il faut faire preuve d’une grande attention pour débusquer tous les éléments à la fois de la narration mais aussi de cette odyssée visuelle.
Nous sommes prisonniers de la chambre de l’adolescente et constatons cette société du contrôle où les navigations internet sont suivies, où les poupées prennent vie et parodient nos quotidiens révélant toute son absurdité, où la rue est filmée en continu et où seule la nuit, dans nos cauchemars, au fin fond de la forêt nous pouvons demeurer libre.. mais jusqu’à quand la forêt résistera t’elle à la folie des hommes ? Détruirons-nous absolument tous les espaces de nature, de liberté ? Pourquoi ne cessons-nous pas de créer nos supplices ?
Dans ce grand huit conviant le rire, invitant les larmes pour finir dans l’effroi, Bonello fait appel à un casting particulièrement réduit se limitant presqu’uniquement à l’adolescente, Louise Labeque, qui accroche nos regards du début à la fin, jouant avec une vraie dextérité les émotions et nous faisant croire à son existence, et l’influenceuse, Julia Faure, qui donne à voir le suicide consumériste à venir de nos sociétés. La magie opère dès les premiers instants, Coma est un délice dans tout ce qu’il entreprend.

Souvenirs de La Maison Close
Bonello ne cesse d’évoluer et nous administre ici un véritable chef d’œuvre d’inventivité réussissant à chorégraphier les rêves et névroses de notre époque en seulement 80 minutes, à l’aide d’un montage nerveux, n’ayant jamais peur de s’immerger dans l’expérimentation et défiant constamment le spectateur à remettre en cause son mode de vie, de pensée, pour sauver le peu qu’il nous reste.
Réchauffement climatique, manipulation médiatique, surveillances et fin du libre-arbitre, Coma est un observatoire, celui de notre chute que nous orchestrons à merveille et dont nous semblons ne plus avoir conscience.
Ouvrez les yeux, pincez-vous, ce n’est pas un songe, c’est le réel qui se rappelle à votre conscience, si tant est qu’elle n’ait pas sombrée également.