Réalisateur : Alain Cuny |
Acteurs : Roberto Benavente, Christelle Challab, Alain Cuny, Ulrika Jonsson, Jean Des Ligneris, Cécile Potot, Ken Mackenzie, Samuel Tetreault |
Genre : Drame Expérimental |
Durée : 91 minutes |
Pays : France, Canada |
Date de sortie (salles) : 1991 Date de sortie (Blu-Ray et DVD) : 4 octobre 2022 |
Synopsis : Au XVème siècle, Violaine, promise à Jacques, met son mariage en péril en embrassant par compassion Pierre, bâtisseur de cathédrales l’ayant autrefois aimé et désormais lépreux. Mara, sa soeur jalouse, les voit et convainc Jacques qu’il a été trompé, tandis que Violaine, infectée par la maladie, est conduite à une léproserie.
Potemkine a le chic pour déterrer des œuvres-énigmes, perdues depuis des décennies, et parfois même littéralement oubliées.
En cette année 2022, ils opèrent ainsi avec la renaissance de deux pièces fascinantes du patrimoine cinématographique français, deux œuvres d’acteurs passés derrière la caméra.
D’une part, il y eut la résurrection de la filmographie de Pierre Clémenti en début d’année, puis l’exhumation inattendue de l’unique réalisation d’Alain Cuny : L’Annonce Faite à Marie.
Nous reviendrons dans ces lignes autour de la (re)découverte de l’adaptation de l’écrit de Paul Claudel.
L’article s’organisera en deux temps :
I) La critique de L’Annonce Faite à Marie
II) Les caractéristiques de l’édition Blu-Ray
I) La critique de L’Annonce Faite à Marie
Cris Et Chuchotements
L’Annonce Faite à Marie, adaptation d’une pièce de Paul Claudel, premier film et dernier film réalisé par Alain Cuny, est un triangle amoureux christique, balance infernale entre le bien et le mal, entre le divin et l’humain, entre Violaine et Mara. Un voyage au cœur d’un amour schizophrène, prisonnier de nos perceptions, de nos regards, dans un monde de croyants dépourvu de foi, dans un espace où les dieux semblent inaccessibles, où les êtres humains décident désormais de leurs propres chemins, face à un ténébreux gouffre d’individualisme.
Alain Cuny façonne dans sa vision un monde des hommes froid, contrasté par une nature regorgeante de vie, qu’il ne cesse de diviser que cela soit de par son cadre, de par ses mots ou ses regards. Il définit l’humain et ses quêtes illusoires.
Le cinéaste modèle son œuvre en suivant ses propres concepts tant techniques qu’intellectuels. La création qui s’ouvre face à nos yeux, qui scintillent de merveille, et nos pensées, qui semblent découvrir de nouvelles projections dans la manière de faire du cinéma, nous exalte totalement. Quelque part entre le cinéma de Bresson, l’étrangeté de Perceval Le Gallois de Rohmer, et la folie expérimentale incantatoire du cinéma des années 70, apparaît L’Annonce Faite à Marie. Nous comprenons désormais l’origine d’œuvres postérieures telles que Jeanne La Pucelle de Jacques Rivette ou encore le dyptique Jeannette/Jeanne de Bruno Dumont.

Nostalghia
Cuny travaille le texte de Claudel, tout en usant d’expérimentations visuelles, il intègre de part et d’autres des coupes, bibliques, réintroduisant l’humain dans son environnement. Il appose un regard divin dans sa manière de faire naître la terre et le ciel, les bêtes et les insectes, la forêt et la glaise. Il créé un phénomène de balancier constant où naît la vie, et, où chaque élément de vie se trouve constitué d’une certaine ambivalence, d’une certaine dichotomie, est introduit au coeur d’un tout cosmique, ne différenciant ni le bien ni le mal, se délectant, inconsciemment, de l’opportunité d’exister.
Cependant, les humains, eux, ont croqué la pomme et vivent désormais avec une fracture, s’opposant au lieu de s’unir à travers ce que l’on peut définir comme le bien, à travers ce que l’on peut définir comme le mal.
C’est en dissertant avec ces deux concepts en personnifiant ses personnages par le biais d’une notion ou de l’autre, mais jamais les deux dans un seul être, que Cuny touche la grâce en faisant croiser ces caractères, ces individus, qui dans leurs confrontations, dans leurs tragiques duels, vont relier ces antipodes pour tenter de retrouver, reconstruire l’équilibre originel.
Le Diable Probablement
Le cinéaste endosse la casquette de cinéaste-philosophe, et use de la religion, de ces forces opposées, le bien et le mal, pour dépasser complètement le temps de son récit. Nous sommes propulsés à travers les espaces et les temporalités, un manekineko se glisse dans le cadre, des idéologies modernes apparaissent, droit de propriété, consumérisme, individualisme.
Le bien n’est plus religieux, il est égocentrique, l’humain fait désormais le bien pour s’enrichir, pour s’élever quitte à engranger le malheur, terreau fertile pour le mal, de l’autre côté de ses murs.
L’union des âmes, le collectif s’est évanoui, les maris possèdent leur épouses comme ils possèdent des terres, comme ils possèdent du bétail. Les richesses créent les péchés, mais la richesse matérielle est cependant devenue une vertu sociale. Là encore un jeu d’opposition se joue entre la loi des cieux et la loi des hommes. L’annonce divine n’est alors plus un miracle, mais une véritable attente, tant les hommes sont devenus lâches, cruels, et ont oublié le sens premier des textes de foi, car l’être humain est un croyant qui n’a plus la foi.
Dans ce contexte de crise, les saints réapparaissent, tout comme la lèpre. Ils errent dans des déserts de pierre, dans des déserts de glace, en pèlerinage, seuls face à leurs dernières heures. C’est dans cette configuration que des miracles, de-ci, de-là, allant de la guérison à la résurrection, vont faire naître des vagues, terres nouvelles, ultime espoir pour que l’humanité puisse retrouver le bonheur, loin des stigmatisations, loin du mal enfanté par la quête maladive du bien.

Le Grand Duel
L’Annonce Faite à Marie est une oeuvre déconcertante, remettant en question nos rapports au bien et au mal, réintroduisant la question de la croyance face à la foi, des textes bibliques face à la justice des hommes. Cuny marque un déséquilibre, une fracture, de l’espèce humaine au coeur d’un environnement tout en nuances, en balanciers. Il est effrayant de constater jusqu’où nos concepts tirant vers la liberté, l’individualisme, nous ont porté vers une impasse suffocante, nous cloîtrant dans une solitude stupéfiante.
Alain Cuny réussit à faire le constat de notre humanité en proie au chaos, et lui administre une lecture extrasensorielle appelant au miracle, réintègre l’humain dans sa place terrienne, astrale, divine.
II) Les caractéristiques de l’édition Blu-Ray
Image :
La restauration 4K a été supervisée par Caroline Champetier, directrice de la photographie du film. Une présence exceptionnelle qui a permis à cette renaissance du film, à partir de négatifs, de garder à la fois la texture pellicule, organique, mais également de conserver les couleurs avec toutes leurs nuances, tous leurs pigments, évitant avec pertinence les couleurs éclatantes et dénaturées.
Le travail du piqué est fascinant donnant à voir des détails extraordinaires, décuplant l’approche picturale, faisant de chaque plan un tableau.
Note Image :
Son :
Une unique piste son est proposée en Français 2.0 mono.
La piste sonore en présence est particulièrement ample du fait que les dialogues ont été réalisés en post production, chaque acteur étant doublé, donnant un certain coffre aux voix. Des voix, qui parfois, faute à l’accent de certains personnages et du traitement vocale avec résonances, deviennent trouble, bien que cela soit rare et n’empêchant jamais la compréhension du film.
La bande sonore, quant à elle, croisant chants liturgiques, musiques électroniques et amplifiées, remplit l’espace à merveille et nous hypnotise.
Les voix et les parties ambiantes, musicales, trouvent un très bel équilibre nous happant totalement au cœur de l’œuvre sans que jamais une piste n’écrase l’autre.
Note Son :

Suppléments :
Potemkine présente une nouvelle fois un travail extraordinaire en terme de suppléments, proposant près de deux heures de contenus additionnels, et invitant de nombreux intervenants ayant modelé le film qui prenait vie dans les songes d’Alain Cuny, du producteur à la directrice de photographie en passant par la costumière.
Une édition complétée par un livret 20 pages que nous ne pourrons chroniquer, nous disposons seulement du disque Blu-Ray.
Les suppléments en présence sont les suivants :
- Hugues Desmichelle, producteur (23′) :
Desmichelle, producteur du film, âgé de 26 ans à l’époque, revient sur toutes les périphéries que la réalisation du film a connu de la pré-production jusqu’à la fin du tournage.
Nous découvrons la genèse du projet, la collaboration franco-canadienne, le quasi incident diplomatique autour du financement et la durée du tournage, qui aurait dû durer quelques semaines et ayant au final duré plusieurs mois.
Une épopée fascinante donnant à voir le personnage qu’était Alain Cuny et la naissance de ce film miracle.
- Anne Le Moal, costumière (11′) :
Cet entretien avec Anne Le Moal, costumière du film, pour la partie française, est un vrai rêve tant les tissus, les couleurs et textures des costumes en présence nous charment, nous inquiètent et nous portent d’un bout à l’autre de ce film-tableau.
Un échange qui nous donne à comprendre la difficulté de travailler avec Cuny mais également la cassure qui s’opère au cœur du film durant la partie canadienne où Le Moal ne fut pas conviée et remplacée par une nouvelle costumière retravaillant complètement le traitement des étoffes et de motifs.
- Caroline Champetier, directrice de la photographie (19′) :
Certainement le supplément le plus prenant de cette renaissance du film de Cuny. Champetier analyse son travail, plans à l’appui, et explique sa manière de travailler la lumière, le cadre et les couleurs.
Une présentation qui va jusqu’en salles de restauration croisant négatifs et copie d’époque nous donnant à saisir le processus de résurrection des films.
- Françoise Berger-Garnault, monteuse (8′) :
Berger Garnault nous accompagne sur le difficile travail-relation entretenu avec le cinéaste pour mener le montage à bout. Un entretien complémentaire donnant à capter certaines facettes pas encore dévoilées par les autres entretiens.
- François Angelier, essayiste et producteur radio (28′) :
Angelier nous accompagne sur l’œuvre et la carrière de Cuny. Un supplément chargé en informations qui vient nous sortir des coulisses pour faire une analyse pointue faisant se croiser le parcours de Cuny, Claudel et la naissance de L’Annonce Faite à Marie.
- Retour sur le lieu du tournage avec Alain Cuny (INA, 1992, 7′) :
Archives donnant l’occasion au regretté Alain Cuny de poser des mots sur la création de son œuvre, et ses pensées. Un supplément qui vient conclure d’une bien belle manière l’édition de Potemkine.
Note Suppléments :

Appréciation Générale :
L’Annonce Faite à Marie est un vrai monument, qui, disparu dans l’ombre durant trois décennies renaît et porte tout comme à ses personnages un véritable miracle au spectateur mais aussi espérons-le à l’histoire du septième art, au même niveau que l’Evangile Selon Saint Matthieu de Pier Paolo Pasolini.
Potemkine nous offre ainsi un présent inestimable, présenté dans une édition, comme bien souvent, exemplaire.
De sa restauration 4K bluffante, regorgeant de détails, jouant sur les nuances sans jamais appuyer son travail prétentieusement, ayant pour seul but d’atteindre les volontés du créateur, à sa piste sonore ample développant l’onirisme en présence, nous faisant pénétrer cet univers extra-sensoriel fabuleux, en passant par un contenu additionnel cernant toute l’oeuvre et ouvrant des pistes de lecture, l’édition du premier et dernier film d’Alain Cuny est une réussite totale.
Note Générale :
Pour découvrir L’Annonce Faite à Marie en Blu-Ray :