Réalisateur : Gilles Carle |
Acteurs : Carole Laure, Willie Lamothe, Daniel Pilon |
Genre : Drame |
Pays : Canada |
Durée : 115 minutes |
Date de sortie : 1973 (salles) // Décembre 2022 (Blu-Ray) |
Synopsis : Marie Chapdelaine, jeune provinciale de Chibougamau, quitte sa mère pour se rendre à Montréal, à la recherche de Tancrède, son père, qu’elle n’a jamais connu. Là-bas, elle rencontre Armand Saint-Amour – un ex-bûcheron reconverti en patron de bar country, qui connaissait son père -, François Paradis et Charlotte Juillet, respectivement journaliste et écrivaine, mais aussi Blanche Bellefeuille, qui fut la maîtresse de son père.
Le Chat Qui Fume n’en est pas à son coup d’essai en matière d’exploration du cinéma d’exploitation international. Franchissant les frontières et les océans, l’éditeur français fait toujours en sorte à chacune de ses vagues de pré-ventes de placer de véritables curiosités oubliées de l’hexagone ou parfois mêmes inconnues. De la sorte, nous avons sillonné les terres nippones, avec Evil Dead Trap et Majin, les Philippines, sur les traces de Lino Brocka, mais également l’Australie avec plusieurs titres dont Next Of Kin et Long Week-End.
Pour cette fin d’année le félin à la gitane, ne semble toujours pas s’époumoner, et continue de surprendre, avec des titres venus du Canada, de Colombie mais aussi du Maroc. Nous salivons et notre envie de découvrir ces territoires peu représentés, avec des promesses de hallucinés est conséquente
Nous reviendrons, ici, sur la ligne canadienne et plus particulièrement sur le film de Gilles Carle, La Mort D’Un Bûcheron, marquant sa première collaboration avec l’actrice Carole Laure, qui se poursuivra avec La Tête De Normande Saint-Onge.
L’article autour de la sortie Blu-Ray de La Mort D’Un Bûcheron s’organisera en deux temps :
I) La critique de La Mort D’Un Bûcheron
II) Les caractéristiques techniques de l’édition Blu-Ray
I) La critique de La Mort D’Un Bûcheron
Dark Waters
Marie Chapdelaine est une jeune femme née dans la ville de Chibougamau, bourgade rurale. Elle n’a connu que sa mère et souffre de l’absence d’un père ayant fui dès les premières années de son existence, aucune image n’a subsisté de l’homme, aucun souvenir, Tancrède Chapdelaine est un spectre, une pièce manquante au puzzle de vie de Marie, une pièce nécessaire pour vivre, comprendre qui elle est, d’où elle vient, afin de percevoir un avenir encore dissimulé sous une chape de brouillard.
La protagoniste principale prend la direction de la grande ville, à la recherche d’éléments du passé, fragments de vie, avec pour objectif de retrouver la trace de son père, bûcheron de métier.
Le cinéaste crée un film tout en oppositions, un film de survie social surprenant. Il réussit à former ses lieux, à les organiser pour créer continuellement des zones où l’insécurité rôde, des espaces que le réalisateur parvient à hanter avec toute une galerie de personnages, tous plus touchants et inquiétants les uns que les autres.
Marie, Au Pays Des Merveilles
Gilles Carle joue d’illusions, de rêves adolescents, pour conduire Marie de jeune femme insouciante à femme forte, femme vigilante, consciente d’un monde de sacrifices humains, de sacrifices sur l’autel du profit.
Nous percevons un Québec qui n’est qu’ombre du rêve américain, le pendant désenchanté.
Marie y est propulsée telle la Alice de Lewis Caroll, de par sa curiosité, sa volonté de défier le temps mais également son envie de dépasser sa condition provinciale.
Deux trames s’entremêlent le parcours professionnel de Marie, la recherche d’un dépassement de sa classe sociale, et son enquête pour retrouver Tancrède, père fantôme, hantant les bois, hantant la ville, hantant Marie, secret honteux, silence terrifiant.

Germinal
Bien que s’ouvrant sur une scène de démembrement à la tronçonneuse, offrant une belle giclée d’hémoglobine sur le blanc immaculé d’une nature endormie, dans son grand manteau hivernal, à l’abri des regards, le film se détache dès la séquence suivante de sa parenté avec le cinéma de genre. Ce dernier prend le virage d’une effrayante analyse sociétale où le sang et les corps ensanglantés ne sont rien face à la radicalité du propos tenu par le cinéaste qui observe, d’un regard acide, tout un pays sombrant dans une frénésie capitaliste, où chaque personnage est un exploité, qui, pour s’extirper se doit d’écraser, humilier les autres, pour entrapercevoir la liberté, et fatalement devenir, le monstre, l’exploitant.
Un exploitant ayant l’impression de contrôler son existence, mais n’étant que poussière dans une machine étatique qui renvoie le moindre de ses citoyens au rang d’esclaves, machines à créer des richesses. Tout est exploitation, tout est exploitable, des corps à la mort, une situation touchant son comble lors d’un shooting dénudé au milieu des carcasses de porc, le sexe et la mort, quoi de plus rentable.
L’orchestration de tous les personnages qu’ils soient patron de bar, journaliste, activiste, serveur ou étudiant est aujourd’hui d’autant plus effrayant tant les conditions semblent s’être aggravé. Gilles Carle contemplait le vide, nous pouvons désormais prolonger sa vision et contempler les abysses.

Paris, Texas
La Mort D’Un Bûcheron s’organise en deux dynamiques, celle de la ville, qui aveugle, assourdi et dénue les individus de toute réflexion, et puis celle d’un camp de bûcheron, oubliées, désaffecté, les forêts désertées, ne laissant que les traumatismes et les morts d’une rébellion pour la liberté, la reconnaissance humaine, comme relique d’un dernier espoir pour ceux qui sauraient ouvrir grand leurs paupières.
Le film est en ce point troublant tant il ne cesse de renverser les perspectives, les perceptions du récit mais aussi l’appréciation que l’on peut se faire des personnages les révélant plan après plan, définissant les êtres par des angles parfois opposés, qui se révèlent fatalement et tristement complémentaires. Bien que d’une rugosité terrifiante, le parcours de Marie nous donne à voir tout un monde, nous propose d’explorer mais aussi d’autopsier des individus meurtris qui ne trouvent que pour subsister cruauté et individualisme, l’argent devenant le dernier espoir pour demeurer heureux, une quête qui ravage tout tant elle distant l’humanité toute entière, tant elle pousse à oublier le partage, faisant sombrer le monde entier dans un égoïsme aux airs d’apocalypse.
La ville est le vivier des maux du monde, la catalyseur de toutes les névroses libérales, poussant les citoyens à se battre pour vivre, à se manger pour exister, là où parallèlement la campagne et les forêts sont désertées, dernier espace où de sombres secrets sont enterrés, gardiens des clés pour détruire un monde tenu par des hypnotiseurs, qui distribuent les pièces tel du pain, et contrôlent tout du corps jusqu’aux pensées.
C’est alors, dès qu’ils sortent de la machine infernale qu’est la grande ville, que les personnages font introspections, observent le chaos. Un chaos face auquel ils ne peuvent finalement que s’unir pour ne pas mourir.
C’est dans cette configuration très spéciale faisant volte-face de sa première partie , en plein coeur du monde ouvrier, en ruines, que Gilles Carle fait redécouvre la fraternité, le partage, où il crie la nécessité pour l’homme de changer de direction, de se retrouver. Un cri dangereux qui une fois entendu par les corbeaux pourrait signer le dernier souffle, mais qu’importe, si ce cri est celui de la liberté, celui de l’âme.
La force d’analyse de Gilles Carle est estomaquante, bien que parfois le film se perde dans ses cheminements, ne réussissant pas à nous braquer complètement et nous laisse parfois trop d’espace, pour respirer, trop d’espace, pour nous distraire.
Le cinéaste a des vues grandiloquentes, mais n’a pas les épaules pour tenir une histoire si chargée en personnages, en thématiques, en analyses. Bien que faisant évoluer tous ses personnages, Gilles Carle a du mal à se démarquer de Marie.
Il tape parfois dans le vide, nous laissant en suspens, arrivant aux limites de sa création et manque son virage vers le grand film, celui qui aurait pu nous laisser sur le carreau de par sa déflagration, celui qui aurait griffer notre rétine à jamais.

Nashville Lady
La découverte de La Mort D’Un Bûcheron est une vraie bonne surprise, venant nous stupéfier tout du long, travaillant le récit d’une bien étrange manière, laissant le spectateur tout comme les personnages dans une fange infernale qui aspire jusqu’à l’étouffement, jusqu’à l’espoir suffocant que la nouvelle génération puisse prendre une nouvelle voie, révélant à la fois un réalisateur, Gilles Carle, tout comme une actrice hypnotique, qui fera certainement décrocher la rétine de certains, Carole Laure.
La Mort D’Un Bûcheron est une réflexion sociétale forte, venant remettre en question la place de l’individu dans son environnement, mais également extirper le caractère acide et auto-destructeur d’un capitalisme devenu hors de contrôle.
Alors, certes, le film se débat un peu avec sa durée et un rythme pas toujours maîtrisé, mais il offre des mouvements d’une puissance telle que nous restons tapis lors de plusieurs séquences. Étonnant.

II) Les caractéristiques techniques de l’édition Blu-Ray
Image :
Le film a été numérisé et restauré en 2013. Le tout a été révisé en 2018.
La qualité du master que nous propose Le Chat Qui Fume est très satisfaisante apportant de nombreux détails, avec un travail du piqué très adroit, et une juste gestion de la colorimétrie, ne saturant jamais, faisant entrer la proposition dans l’ère Haute-Définition, tout en conservant la texture argentique.
Néanmoins il faudra noter un master mouvementé où parfois le grain devient appuyé et certaines lignes perdant dans leurs précisions. Un moindre mal mais qui marque néanmoins cette restauration, ne la faisant pas accéder au haut du panier mais offrant tout un spectacle d’une qualité certaine.
Note Image :
Son :
La piste son Québécois DTS-HD MA 2.0 est convenable, ne saturant jamais, apportant une belle présence et captivant notre attention. L’équilibre entre les voix et l’ambiance sonore est satisfaisant. Sans faire de merveilles, il s’agit ici d’une proposition qui ne marque pas l’âge du film et permet de donner une nouvelle jeunesse à l’oeuvre de Gilles Carle.
La Mort D’Un Bûcheron se doit d’être vu en québécois appuyant les atmosphères, les ambiances, le réalisme du long-métrage.
La piste son Anglais DTS-HD MA 2.0 en présence n’a pas été testée par nos soins.
Note Son :
Suppléments :
Un unique contenu additionnel est ici présenté :
- Le bûcheron par Simon Laperrière (19mn) :
Simon Laperrière permet ici un véritable voyage au coeur du cinéma québécois, assez méconnu, et resitue l’importance du film dans son paysage cinématographique. De Carole Laure à Gilles Carle, en passant par les coulisses du film, le supplément offre une belle proposition pour se plonger dans ce cinéma lointain et qui pourtant a déjà tout notre intérêt.

Avis général :
Ne passant pas par la case des éditions luxueuses digipack de l’éditeur français, La Mort D’Un Bûcheron, premier titre canadien édité par Le Chat Qui Fume, est néanmoins une oeuvre qui se doit d’être découverte, qui ne peut plus se permettre de demeurer dans l’obscurité des cinémathèques et qui se doit d’investir nos salons, tout comme nos salles obscures, espérons-le.
L’édition en présence propose un contenu image et son satisfaisant, faisant entrer le film dans une ère nouvelle de son histoire, marquant avec cette copie la survie du cinéma de Gilles Carle mais également du film qui a fait exploser le cinéma venu du Québec sur le sol européen.
Un travail éditorial un brin maigre sur ses suppléments contrairement à ce que nous habitue Le Chat, un unique supplément, qui démontre cependant, une fois de plus, le travail minutieux et de qualité de l’éditeur pour proposer des films rares dans les meilleures conditions possibles.
Une nouvelle réussite pour les amoureux de cinémas perdus, de territoires hallucinés.
Note globale :
Pour découvrir La Mort D’Un Bûcheron en Blu-Ray :
