Earwig : Critique

Réalisateur : Lucile Hadzihalilovic
Acteurs : Paul Hilton, Romane Hemelaers, Romola Garai, Alex Lawther, Anastasia Robin
Pays : France, Belgique
Durée : 114 minutes
Genre : Drame expérimental
Date de sortie : 18 janvier 2023

Synopsis : Dans une demeure isolée, à l’abri des grondements d’une Europe hantée par la guerre, Albert s’occupe de Mia, une fillette aux dents de glace, assignée à résidence. Régulièrement, le téléphone sonne et le Maître s’enquiert du bien-être de Mia. Jusqu’au jour où il ordonne à Albert de préparer la fillette au départ…

Lucile Hadzihalilovic est ce recoin de cinéma français qui arrive avec grande difficulté à pousser les portes des cinémas, avec un nombre de salles toujours extrêmement réduit, et pourtant chaque décennie voit naître une de ses œuvres, ravissement rétinien, et cinéma philosophique exigeant.
Alors certes, pour beaucoup ce nom reste un mystère, une inconnue, mais Hadzihalilovic en plus d’avoir confondé avec Gaspar Noé Les Cinémas De La Zone, produit et monté Carne ainsi que Seul Contre Tous, est très certainement l’équation la plus excitante du cinéma hexagonal, une filmographie poétique nous portant avec une fièvre cauchemardesque, un espace de création total et extatique.
Après Innocence et Evolution, il nous était impossible de faire l’impasse sur le troisième long-métrage de Lucie Hadzihalilovic : Earwig.

Portrait De La Jeune Fille En Feu

Canvas obscur, d’où une ténébreuse lumière jaillit des flammes, se teint de sang. Lieu insaisissable, quelque part, dans une Europe ravagée par la guerre, avant, pendant ou après, nous ne savons pas vraiment. Nous sommes suspendus, à quelques mètres de la réalité, la tête bouillonnante, entre fièvre et cadavre glacial, le monde inquiétant, glissant des rêves, des cauchemars, se dessine, une jeune fille change son dentier de glace, seul objet réflecteur de lumière.
En une poignée de plans, en quelques instants mutiques, Hadzihalilovic nous construit son nouveau songe, un monde sombre, son plus sombre, la nature n’est plus, les individus sont enfermés dans leurs individualismes autodestructeurs, les enfants deviennent des réceptacles à richesses, ils sont déshumanisés. Les motifs récurrents de la cinéaste, autour de la fracture entre enfants et adultes, rites de passation et machine à broyer les rêves, s’actionnent sous nos yeux.
L’atmosphère que crée la cinéaste est terrifiante, nous poussant parfois à mettre une barrière entre nous et l’image, nous poussant à nous préserver d’un monde somme toute qui nous pend au nez, d’un monde où l’humain ne vit plus que pour lui, dans l’affrontement, la défiance et la misère.
Earwig façonne un appartement aux fenêtres barricadées, une ruelle inquiétante aux lampadaires sinueux, un bar de fin du monde, un quartier-prison, où les abandonnés se réunissent pour mieux se réduire en miettes.

Phenomena

La fin des temps est peut-être en train de sonner, chaque personnage du film semble s’être affranchi de sa raison d’être, semble errer, vivant ne plus qu’à travers le poids des traumatismes, devenant des gouffres d’individualisme. Les miséreux se blessent, s’agressent, se créent des bourreaux pour exister à travers la mort qu’elle soit subie ou commise.
Les maîtres, individus presque invisibles, supervisent du haut de leurs châteaux, le reste d’une civilisation rongée par des siècles de guerre, d’obsessions, de possessions et de sang. Hadzihalilovic vise avec radicalité la cruauté, la rance d’âmes acidifiées par le sacrifice des plus pauvres, où les plus démunis sont désormais morts, où les classes disparaissent au profit d’un unique mouvement allant des servants vers les maîtres.
Dans cette asservissement crépusculaire, la jeune fille en présence, devient la dernière richesse, la dernière pierre avant l’effondrement, la mâchoire de cristal, l’ultime espoir, le glas qui viendra définir l’extinction de l’humanité ou sa survie.

Sans Soleil

Ce troisième long-métrage est à la fois le plus expérimental, le plus soigné visuellement -quel petit miracle- mais également le plus hermétique, le plus âpre de la réalisatrice.
Nous nous sentons si seuls face à cette hallucination, au rythme doux-amer, à la dynamique boiteuse, pris dans une bande sonore anxiogène, dans un espace apocalyptique, témoin d’un spectacle effroyable.
Les personnages bien que d’une froideur implacable, attisent notre curiosité. La cinéaste fait d’Earwig un film où la parole est rare, où les secret sont omniprésents, et où notre capacité à chercher va être essentielle, car derrière ces jeux de marbre, la moindre ride, le moindre geste, nous ouvrira la porte d’une histoire qui dépasse de loin son récit, un piège s’ouvre, nous sommes la proie.
Le statut de spectateur se doit d’être rapidement dépassé, il faut s’intégrer au voyage, explorer les ténèbres, fouiller la nuit, pour y trouver un sens.
Hadzihalilovic cache les éléments de récit dans un geste, un sourire, une ombre, un mouvement de caméra.
Nous sommes à la fois au sommet et au bas de la carrière de la cinéaste face à cette proposition qui questionne, nous affranchit de toute temporalité, nous porte dans son enfer, et nous rend dépendant, jusqu’à vouloir replonger à la pêche aux indices, à la quête d’un détail pour réviser notre philosophie, notre rapport au film, à la fois statique et pourtant insaisissable, Earwig est un spectre.

Antichrist

Earwig est cette recherche de l’ordre dans le chaos, cette impossible quête, où chaque mouvement fait se dérober le réel, où chaque souffle fait se troubler le réel jusqu’aux portes d’un monde apocalyptique.
Lucile Hadzihalilovic réussit à bâtir un monstre de slow-cinéma, un songe aux atmosphères troublantes, monde où l’oxygène se fait rare, une saison en enfer.
Le film est un puzzle qui blesse, qui chamboule et nous laisse une fois les lumières revenues dans la salle, ce goût d’inachevé, un goût qui ne peut finalement que se dissiper en s’enfermant de nouveau dans ce cauchemar qui de prime abord hermétique se transforme en véritable obsession, pensée compulsive, geôle psychotique.

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