La Tête De Normande St-Onge : Critique et Test Blu-Ray

Réalisateur : Gilles Carle
Acteurs : Carole Laure, Raymond Cloutier
Genre : Drame
Pays : Canada
Durée : 116 minutes
Date de sortie : 1975 (salles) // Décembre 2022 (Blu-Ray)

Synopsis : Dans les faubourgs de Montréal, années 1970 – Employée dans une pharmacie, Normande St-Onge vit dans une grande maison de famille, qu’elle partage avec des marginaux. La jeune femme est préoccupée par le sort de sa mère, enfermée dans un hôpital psychiatrique. Normande cherche à la faire sortir par tous les moyens, mais se heurte au refus des médecins et de son oncle avocat. Alors vient à Normande l’idée folle de la soustraire de l’asile et de la ramener à la maison.

Le Chat Qui Fume n’en est pas à son coup d’essai en matière d’exploration du cinéma d’exploitation international. Franchissant les frontières et les océans, l’éditeur français fait toujours en sorte à chacune de ses vagues de pré-ventes de placer de véritables curiosités oubliées de l’hexagone ou parfois mêmes inconnues. De la sorte, nous avons sillonné les terres nippones, avec Evil Dead Trap et Majin, les Philippines, sur les traces de Lino Brocka, mais également l’Australie avec plusieurs titres dont Next Of Kin et Long Week-End.
Pour cette fin d’année le félin à la gitane, ne semble toujours pas s’époumoner, et continue de surprendre, avec des titres venus du Canada, de Colombie mais aussi du Maroc. Nous salivons et notre envie de découvrir ces territoires peu représentés, avec des promesses de hallucinés est conséquente
Nous reviendrons, ici, sur la ligne canadienne et plus particulièrement sur le film de Gilles Carle, La Mort D’Un Bûcheron, marquant sa première collaboration avec l’actrice Carole Laure, qui se poursuivra avec La Tête De Normande Saint-Onge.

L’article autour de la sortie Blu-Ray de La Tête de Normande Saint-Onge s’organisera en deux temps :

I) La critique de La Tête De Normande Saint-Onge

II) Les caractéristiques techniques de l’édition Blu-Ray

I) La critique de La Tête De Normande Saint-Onge

Little Miss Sunnshine

Normande, tout juste la vingtaine, travaille dans une pharmacie et habite une grande bâtisse, aux limites et murs troubles, où elle vit avec un homme, sombre amant, où les voisins semblent finalement faire partie intégrante du foyer, tant pour le sculpteur du sous-sol que pour le jeune homme crasse, passant ses journées à jouer de la batterie, vivant avec une vieille dame aux portes de la sénilité.
Chacun y va de sa théorie face à une société de l’ordre, reposant sur une hiérarchisation maladive, écrasant les pauvres pour nourrir les riches, entre rêves et impasse un monde alternatif tout aussi foisonnant qu’abrutissant se dessine. Un propos finalement presque anodin pour l’époque mais qui trouve entre les mains de Gilles Carle une véritable singularité dans la manière dont le cinéaste va travailler l’écartèlement psychique de sa protagoniste principale.

Nous assistons à la construction d’une communauté marginale en périphérie de la ville où seule Normande semble avoir encore un pied dans la société, être le dernier lien entre le mode extérieur et cette trouble utopie.
Un lien difficile et martelé par une famille corrosive, la sœur, attendant régulièrement à la porte de la pharmacie pour réclamer de l’argent, et la mère, internée dans un asile pour vol et pornographie.
Le monde de Normande est celui des opposés, des extrêmes, interstice d’un entre-monde façonnant un vide effroyable, qui au-delà d’un rythme de vie effréné, rendant invisible le gouffre, laisse transparaître le monstre qui guette la jeune femme, sa perte.

Dans Les Ténèbres

Contrairement à toute cette galerie de personnages, qui sont d’ailleurs construits d’une bien belle manière, ne vivant que pour leur bien-être, de manière égoïste, Normande, elle, ayant grandi au couvent, est ouverte à ses pairs, souhaite les aider, les porter vers leurs bonheurs respectifs. Elle est la colombe au milieu des crapauds.
Dans cette dynamique, du pardon, de la pitié, de la charité, elle sauvera de la rue, hébergera, un jeune magicien, qui pour la remercier fera évader la mère de la jeune femme de l’asile, Normande étant persuadée de la bonne santé mentale de sa génitrice…
Tout ce beau monde se retrouve dans la bâtisse, se cache, d’une police qui veille, se cloître entre ces murs qui feront naître des rêves, et émerger des psychoses.
Gilles Carle avec La Tête de Normande St-Onge dépasse son film précédent, La Mort Du Bûcheron, tant dans la construction visuelle, certaines séquences sont d’une beauté stupéfiante, qu’il s’agisse de la scène d’ouverture ou bien du cabaret fantasmé –nos mirettes sont encore sous le charme-, que dans l’organisation du récit, qu’il s’agisse de la force d’écriture des personnages, des symboles et de la manière avec laquelle le cinéaste parvient à toucher à travers ces murs-geôles, une analyse du Québec tout entier à la fois sociétale et historique. Il atteint ce niveau avec l’utilisation minutieuse et toujours très claire du champ surréaliste.
Le réalisateur propose un film d’une complexité réelle au vu du nombre de sujets qu’il tend à aborder, nous plaçant dans cette faille entre société capitaliste, autoritaire et marginaux, restes vaseux du mouvement flower power, travaillant les nombreux mécanismes de l’esprit, laissant assez de pistes pour à la fois se perdre et mener un parcours réflexif saisissant.

Zabriskie Point

Nous assistons au douloureux parcours émotionnel, psychique et mental de Normande qui à travers ce moment suspendu, le temps du film, rejetant son travail, et la société, se fondant dans une utopie incontrôlable, et tiraillée entre plusieurs visions de la vie tant celle inculquée par le couvent que les épisodes de débauche de sa mère, va perdre pied, se faire manger par l’égoïsme des autres, se faire piétiner par son entourage, par le pays tout entier, tant par les institutions que par l’histoire du territoire. Le passé, le présent et le futur se heurtent formant un chaos tout autant jubilatoire que perturbant. Le fantôme de l’institution cléricale chevauche le spectre des peuples autochtones massacrés, le monde se divise en courants qui divergent entre pacifisme et autoritarisme, et l’avenir se voile, impossible rêve, forçant à fermer les yeux, à vivre seul, dans son monde intérieur, jusqu’aux portes de la démence.
La proposition est effrayante, Carle joue avec le personnage, la désintégrant, faisant passer Normande de jeune femme indépendante, libre, à martyr du monde moderne. Il questionne ainsi son époque et cette fracture que connaît le Québec, ce moment précis où la jeunesse s’est révoltée tant contre l’Etat que l’Eglise, où les corps se sont libérés, mettant à mort l’austérité, l’autoritarisme, quitte à être emporté par des flots d’une liberté rêvée, si violents qu’ils détruisent tout : la vie, l’espoir, la crainte, les songes.

La Tête de Normande Saint-Onge travaille le poids du rêve, celui de la liberté, étudie la folie, et les limites qu’un esprit peut accepter, sonde l’hystérie tout en mettant en lumière une nation toute entière. Gilles Carle signe ici un véritable brûlot une œuvre corrosive, qui n’a pas peur de heurter, de blesser.
Gilles Carle ouvre nos regards à la vérité, même si cette dernière coûtera notre santé tant physique que mentale. Le Québec s’effondre dans une multitude de courants de pensée et se reforme tout aussi vite, un cataclysme que l’œuvre saisit avec génie, porté par Carole Laure, qui arrache notre rétine d’un bout à l’autre du film, nous emportant de manière totale, avec un charme irrésistible dans sa terrible chute..

II) Les caractéristiques techniques de l’édition Blu-Ray

Image :

Tout comme pour l’édition de La Mort D’un Bûcheron, nous avons le plaisir de découvrir une restauration convaincante d’un film qui commençait à devenir difficile à se procurer.
Le master en présence réussit à conserver la texture pellicule jouant un bel équilibre autour du grain, offrant des séquences d’une beauté extatique, nous sommes d’ailleurs revenus sur plusieurs scènes pour le simple plaisir de se perdre dans les trouvailles visuelles fascinantes de Gilles Carle.
Les couleurs couplées à un travail autour du piqué donnent une belle profondeur et un vrai sens du détail.
Reste les séquences dans les espaces sombres qui ont tendance à saturer et ne pas offrir le même confort que procure tout le reste du film.

  • Note image :

Note : 7.5 sur 10.

Son :

La piste son Québécois DTS-HD MA 2.0 est convenable, ne saturant jamais, apportant une belle présence et captivant notre attention. L’équilibre entre les voix et l’ambiance sonore est satisfaisant. Sans faire de merveilles, il s’agit ici d’une proposition qui ne marque pas l’âge du film et permet de donner une nouvelle jeunesse à l’oeuvre de Gilles Carle.
Il est cependant à noter que le menu du Blu-Ray ne permet pas d’activer les sous-titres, la manœuvre devant être faite à partir de votre télécommande une fois le film lancé… à moins que vous ne parliez couramment québécois, calisse !

  • Note son :

Note : 7 sur 10.

Suppléments :

Un unique contenu additionnel est présenté ici :

• Normande St-Onge par Simon Laperrière (12mn30) :

Un supplément qui prend parfaitement la suite de la première intervention de Simon Laperrière présente dans l’édition de La Mort D’Un Bûcheron, nous continuons d’explorer la carrière de Gille Carle, prenons un immense plaisir à l’entendre parler de Carole Laure, qui est une véritable révélation chez Kino Wombat, et suivons les analyses présentées replaçant également le film dans son contexte historique et politique. Une réussite.

  • Note suppléments :

Note : 7 sur 10.

Avis général :

Restant cantonné aux éditions Scanavo, n’ayant pas eu l’honneur d’entrer dans la luxueuse collection digipack de chez le félin enfumé, surement pour des questions de rentabilité face à l’engouement timide autour du cinéma canadien et le silence sourd autour de Gilles Carle, La Tête de Normande Saint-Onge est une proposition exceptionnelle de la part de l’éditeur français.
Nous avions été surpris par la qualité de La Mort D’Un Bûcheron, dont nous n’attendions absolument rien, et sommes ici ravis d’avoir découvert une oeuvre en proie à la perdition et qui pourtant a tout d’un incontournable, ayant une vraie vision, soulevant des questions encore d’actualité, traitant des différents pôles idéologiques, institutionnels et culturels écartelant la jeunesse québécoise des années 70, et offrant un spectacle d’une beauté fascinante.
L’édition en présence fournit un master son et image satisfaisant, avec de beaux rendus, et un supplément très bien mené, bien que nous espérions tant en découvrir plus sur cette branche de cinéma aujourd’hui occultée, invisible et pourtant importante.

  • Note générale :

Note : 7.5 sur 10.

Pour découvrir La Tête de Normande Saint-Onge en blu-ray :

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