Réalisateur : Márta Mészáros |
Acteurs : Marina Vlady, Lili Monori, Jan Nowicki, Miklós Tolnay, Zsuzsa Czinkóczi |
Genre : Drame |
Pays : Hongrie |
Date De Sortie (Salles) : 1976 Date De Sortie (Blu-Ray/DVD) : 2021 |
Durée : 88 minutes |
Synopsis : Julie est employée dans une briqueterie. Afin de pouvoir élever seule son enfant, elle a interrompu ses études mais continue de préparer le soir un examen. Elle entretient une liaison avec son contremaître, János. Lorsqu’elle tombe enceinte, János accepte de l’épouser, mais lui impose son comportement autoritaire.
Clavis Films, tout comme Malavida et Potemkine, ont effectué ces dernières années un véritable travail d’exhumation autour du cinéma d’Europe centrale et d’Europe de l’Est, faisant sortir de l’ombre des cinéastes oubliés bien que prodigieux, et ce, dans des copies de bonne facture, des restaurations consciencieuses.
De la sorte la lumière a pu de nouveau éclairer des noms tels que Istvan Szabo, Miklos Jancso, Elem Klimov, ZrySztof Zanussi, Bo Widerberg ou encore Miko Niskanen.
L’an dernier, nous vous parlions du cinéma de Marta Meszaros, dont Clavis Films avait sorti cinq films. Nous prenons aujourd’hui le temps de revenir sur Neuf Mois, que nous n’avions pas eu l’occasion de chroniquer, alors que l’éditeur propose déjà cinq nouveaux films de la cinéaste en Blu-Ray et DVD : Adoption, Marie, Journal A Mes Amours, Le Vent De La Liberté et Journal Pour Mon Père Et Pour Ma Mère.
Nous explorerons l’édition Blu-Ray de Neuf Mois en deux temps :
I) La critique de Neuf Mois
II) Les caractéristiques techniques de l’édition Blu-Ray

I) La critique de Neuf Mois
Márta Mészáros, le témoignage caché d’une Hongrie secrète
Márta Mészáros a réalisé 12 longs-métrages entre 1968 et 2009. Elle fait partie de « La Nouvelle Vague » du cinéma d’Europe de l’Est qui naît à la fin des années 60 aux côtés de réalisateurs tels que Věra Chytilová, Jan Němec, Miloš Forman, Károly Makk ou encore Miklós Jancsó, avec qui elle fut mariée.
Sa vie marquée par la fuite, avec ses parents, de son pays natal pour l’Union Soviétique dû à des appartenances politiques divergentes de celles de la politique dictatoriale de Miklós Horthy, puis son retour en Hongrie, en tant qu’orpheline dans une famille adoptive fût retranscrite dans la trilogie de Naplò dont le premier volet, Journal Intime, revient sur ce retour en Hongrie et la vie aux côtés de cette mère adoptive.
Márta Mészáros a suivi des études cinématographiques au VGIK de Moscou, lieu ayant vu naître de grands noms du cinéma soviétique tels que Andreï Tarkovski, Andreï Kontchalovski, Elem Klimov mais également africain avec Ousmane Sembène et Sarah Maldoror.
Le cinéma de Mészáros est traversé par deux problématiques fondamentales qu’elle articule au cœur de ses longs-métrages : la perte du cadre familial et la volonté d’indépendance des femmes.
The Gulf Between
Neuf Mois marque un tournant dans la carrière de Marta Meszaros, le passage à la couleur, un saut qui a refroidi bon nombre de cinéastes, ne parvenant pas toujours à trouver l’esthétisme qu’ils avaient su développer autour du noir et blanc avec le travail des textures, l’organisation des plans mais aussi la puissance narrative autour des contrastes et de la lumière.
Les réalisations précédentes de la cinéaste avaient justement réussi à trouver ce merveilleux équilibre, la sensibilité adéquate, pour exploiter cette dimension entre ombre et lumière, et Kino Wombat a mis du temps avant justement de se lancer dans ce tournant de la carrière de Meszaros tant nous avions été éblouis par la finesse de ses films.
Cependant, n’ayez crainte, il n’en est rien, et bien au contraire, tant Meszaros révèle un univers si détaillé, si appliqué, précis dans sa gestion de la couleur, dépassant la simple image cinématographique, et atteignant une grâce picturale stupéfiante. Neuf Mois est une merveille visuelle, toute en simplicité, travaillant autour de strates, articulant le récit autour du premier plan, pour disserter sur toute une société dans ses arrières plans.
La cinéaste atteint la matière pour extraire une glaciale poésie, travaille le sang comme le béton, la neige comme le feu de façon remarquable, pouvant même parfois dépasser le récit et devenir une aventure visuelle et atmosphérique saisissante.

Metropolis
En s’éloignant une nouvelle fois de la grande ville, en approchant une ruralité dévorée par l’industrialisation, où la terre se meurt, laissant une humanité acide, corrosive, violente, perdue, déambuler entre terres gelées et enfer des machines, rouage isolé de l’effort collectif, Meszaros continue à analyser le monde ouvrier, l’asservissement des hommes aux machines, et la hiérarchisation des corps, tant physique qu’institutionnelle, au cœur d’une société communiste qui repose fatalement sur un monstre dont l’ombre abrite un capitalisme attentif et prêt à bondir. Une société où la volonté de propriété, de possession ronge l’inconscient collectif, et où l’égalité homme/femme, bel et bien existant dans les grandes villes, est un combat terrifiant en périphérie.
Ici est la grande force du cinéma de la cinéaste, celui de mettre en parallèle un pays à deux dynamiques, à deux visions, à deux vitesses, entre milieu urbain et sphère rurale, entre homme et femme, entre liberté et asservissement, pour une seule et même démente politique. Nous assistons à un regard schizophrène, réussissant à capter la folie d’une Hongrie transitionnelle, ne sachant plus où regarder, devant se détacher d’une austérité séculaire, pour un avenir plein de promesses mais au visage de loup.
Under The Skin
C’est dans ce cadre, à la fois intrigant et terrifiant que nous suivons Juli, jeune femme, jeune mère, terminant ses études à distance, et ayant posé ses valises dans un village afin de gagner sa vie dans la briqueterie locale, elle y rencontre Janos, contremaître, supérieur hiérarchique, qui va tomber sous le charme de Juli, l’enfer commence. Janos est un manipulateur, Juli tombe enceinte. Malgré son caractère indépendant, elle est piégée et sombre dans cette geôle qu’est son travail, ce village où elle ne connaît personne. Le gouffre tend ses bras.
Loin de tout misérabilisme, loin de toutes facilités d’écriture, l’histoire qui se joue face à nos regards désemparés est une véritable leçon de construction de récit, un travail qui offre une profondeur extraordinaire aux personnages, cultive les mystères, les non-dits, ausculte les gestes, ceux qui parlent, et organise ses lieux pour faire ressortir, sans jamais virer dans la démonstration, une vie qui nous accable, vient nous arracher à notre silence de spectateur. Meszaros, une fois de plus, émerveille, trouble et vient percuter nos esprits pour soulever bien des interrogations, porter jusqu’à des constats nécessaires que la société voue à occulter. Nouf Mois est d’une frontalité, qui n’essaie plus d’habiller pour préserver nos regards, elle ose et tire extrêmement juste.
Elle soulève la question des conditions d’existence des femmes, réduites à leurs enveloppes charnelles, à leurs rôles de prisonnières tant des coutumes que du corps, par un société arriérée, avide. Néanmoins Meszaros ne tranche pas le monde en camps mais en deux temps, elle n’enchaîne pas les hommes à leurs titres de bourreaux, les femmes à leurs servitudes, la réalisatrice rejette la fatalité, analysant les ambiguïtés dans les genres et les espaces, dans les idéologies et les générations, à la recherche d’un espoir caché sous l’ombre d’un monde qui se moque de l’humain, par un monde dévoré par son image.
Neuf Mois est un tremblement de terre, un cri qui déchire la nuit. Un coup de cœur qui a arraché nos âmes.

II) Les caractéristiques de l’édition Blu-Ray
Image :
Nous sommes en présence d’une nouvelle restauration 4K qui donne à l’oeuvre une véritable nouvelle vie. Nous étions tombés sur des extraits d’une ancienne copie qui était de mauvaise qualité, retirant tout l’attrait que nous avions pour l’oeuvre. Ici, tout comme pour les précédentes restaurations Meszaros que nous avions pu découvrir, qu’il s’agisse de restaurations 2K ou 4K, nous sommes très très agréablement surpris et prenons un véritable plaisir à explorer la vision si singulière du regard de la cinéaste hongroise.
Reste qu’une fois encore, le transfert est en 1080i, une information technique qui, ici, ne se fait heureusement pas vraiment ressentir.
Le travail sur le piqué donne aux visages, aux matières et textures un niveau de détails poussé, qui avec un contrôle judicieux de la colorimétrie crée une vraie profondeur et font ressortir des images tels des tableaux, le film prend vie, s’échappe de sa projection.
Nous pensons tout particulièrement à la déambulation de Juli et Janos dans le village, avec en arrière plan deux bouchers en train de scier un cochon, malgré l’horreur, nous ne pouvons éviter d’être submergé par la beauté tant visuelle que symbolique.
L’expérience est une vraie réussite visuelle.
Note image :
Son :
Le film est disponible dans une unique piste hongroise LPCM, avec ou sans sous-titres.
Le rendu est de très bonne facture, ne souffrant d’aucun souffle ou bruit, et réussissant à extraire une vraie profondeur, une vraie ambiance portant le film et faisant de cette restauration une proposition exemplaire.
Les voix ne prennent jamais le dessus, sans pour autant être noyées par l’environnement sonore, la bande-son respire, tout est fait pour plonger pleinement dans ce petit miracle qu’est Neuf Mois.
Note Son :
Suppléments :
Comme pour toutes les sorties Blu-Ray du cinéma de Marta Meszaros chez Clavis Films, aucun bonus n’est présent, contrairement à leurs éditions DVD. Frustrant.
Note suppléments :

Avis général :
Il est de nouveau remarquable de se retrouver face à un éditeur ayant la volonté de faire survivre un cinéma peu représenté que cela soit dans les cinémathèques, la presse ou encore dans la mémoire des cinéphiles. Le travail de Clavis est considérable pour offrir de belles copies de véritables trésors du cinéma.
Aujourd’hui l’édition Blu-Ray de Neuf Mois vient appuyer cet avis que nous avions, avec un master son/image abouti, bien qu’en 1080i, avec ce passage à la couleur pour Meszaros, ayant décroché le prix FIFPRESCI à Cannes, ainsi que le prix OCIC à Berlin, et qui était pourtant presque invisible.
Neuf Mois est un très grand film, travaillant toutes les obsessions et pensées de la cinéaste, construisant un film d’avant-garde, lucide sur la condition des femmes et leur oppression tant physique, morale que sociétale.
Note générale :
Pour découvrir Neuf Mois en Blu-Ray :