Gina : Critique et Test Blu-Ray

Réalisateur : Denys Arcand
Acteurs :  Céline Lomez; Claude Blanchard; Gabriel Arcand
Durée : 95 minutes
Pays : Canada
Date de sortie (salles) : 1975
Date de sortie (Blu-Ray) : Décembre 2022

Synopsis : À l’occasion du tournage d’un documentaire sur l’industrie du textile à Louiseville, petite ville du Québec, un cinéaste et son équipe font la connaissance de Gina, strip-teaseuse venue honorer un contrat, et de Dolorès, jeune ouvrière employée à l’usine de textile locale. Le metteur en scène a l’intention de dénoncer les conditions de travail difficiles des ouvriers. Mais il s’attire très vite, tout comme Gina et Dolorès, l’hostilité des autorités et d’une partie de la population, notamment un groupe de jeunes chômeurs qui squatte un navire abandonné. Agressée et violée, Gina fait appel à des criminels pour se venger de ceux qui l’ont violentée.

Nous arrivons à notre terme des articles autour de l’assaut québécois en provenance du Chat Qui Fume. Après avoir découvert les films de Gilles Carle, à savoir La Mort D’Un Bûcheron et La Tête de Normande Ste-Onge, nous nous plongeons dans la première décennie d’un cinéaste aujourd’hui auréolé de nombreux prix internationaux : Denys Arcand.
Si le réalisateur est surtout connu pour Le Jésus De Montréal, Le Déclin De L’Empire Américain ou encore La Chute De L’Empire Américain, le début de carrière du réalisateur reste encore très confidentiel, et commence à entamer un certain oubli dans les mémoires cinéphiles.
C’est donc à la fois une véritable chance et un moment particulier que de découvrir Gina, film comportant déjà des structures thématiques communes avec les succès à venir du cinéaste.

Le Chat Qui Fume comme pour le reste de ses sorties québécoises, ne passe pas par la case des éditions digipack, et propose le film sous édition Scanavo.

L’article autour de l’édition Blu-Ray de Gina s’organisera en deux temps :

I) La critique de Gina

II) Les caractéristiques techniques de l’édition Blu-Ray

I) La critique de Gina

Les Sans-Espoirs

A première vue, en un coup d’œil jeté sur le synopsis, Gina a tout d’un Rape & Revenge, sous-genre où l’héroïne, se retrouve dans un espace d’isolement tant moral que physique, où les hommes, les bêtes, viennent déverser leurs instincts primaires, pour mieux se faire rattraper par une vengeance terrible, retour de bâton redoutable, final, dessin d’une machine infernale où la violence appelle la violence, et où, seule la mort réside en reine.
Un sous-genre ayant pris une place forte dans le cinéma des années 70

Hors, si vous cherchez un film de cet acabit, passez votre chemin, car Gina dépasse de loin ces lignes introductrices. Le film de Denys Arcand est un hurlement déchirant, un miroir entre monde rêvé et réalité décharnée. Le cinéaste n’utilise ici pas la caméra pour créer la fiction, mais bien plus pour faire naître le réel dans sa création.
Loin de la grande ville, loin des institutions étatiques, dans un enfer industriel qui nourrit le pays tout entier, conduisant à l’esclavage moderne, Arcand questionne notre civilisation agonisante, construisant sa propre chute, son propre cercle de terreur.
Le réalisateur façonne un monde complexe entre locaux et personnes de passage, ouvriers et bourgeois, industrialisme et libertés individuelles, hommes et femmes.

Délivrance

Du maire de la bourgade à l’équipe de jeunes documentaristes, en passant par les ouvriers de l’usine, les loubards des environs et Gina strip-teaseuse itinérante, les tensions ne cessent de croître durant le voyage terrifiant concocté par Arcand.
Le microscope du cinéaste vient se poser à Louiseville, petite ville éloignée, cœur enterré, lieu-entrailles d’un pays, loin des regards, où les industriels de mèche avec l’Etat asservissent la population, n’ayant pas accès à la parole publique, au milieu de terres glacées, perdues. La loi y est tenue par une poignée d’hommes incultes, demeurés, violents qui ne vivent qu’à travers l’écrasement de leurs semblables. La meute se dessine, le danger, déjà ressenti depuis les premières séquences, s’immisce, le cadre sombre, et nous ne distinguons plus de quels ténèbres le malheur va surgir, et sur qui.
Le format est perturbant entrecoupant le long-métrage de témoignages pris à la volée par de jeunes documentaristes, laissant transparaître le monstre tapi sous les blocs de glace, troublant les limites fictionnelles.

Denys Arcand dépasse alors très vite le film de genre et s’embarque, comme il sait si bien le faire, dans les sentiers du film politique, dans les méandres d’un cinéma d’exploitation, au sens sociétal du terme, en traitant de l’abandon physique et moral des individus à un monstre de fer, à un monstre capitaliste, pour subsister, survivre, sans pour autant parvenir à exister. La possession devient le maître mot, l’objectivation des corps est un fléau, les hommes de Louiseville ne cherchent plus qu’à s’approprier les femmes, les soumettre, dominer tout simplement.

Au-delà de sculpter un affrontement entre monde urbain et monde rural, de constater un pays à deux vitesses, le réalisateur prend de la hauteur et observe à travers ce récit le Québec tout entier.
On reconnaît l’écriture acide du cinéaste. Ce dernier fait preuve d’une clairvoyance redoutable parvenant à extraire d’un geste, d’un regard, d’un mot, d’une expression des problématiques entières qui rongent le territoire. Nous apercevons un projet gargantuesque, le capitalisme, où l’individu ne s’identifie plus, ne distingue plus sa place, son rôle, son impact, revenant alors à des comportements primaires pour exister;
Les siècles d’évolution, de modulation, de création d’un avenir n’ont fait que tendre vers ce pervers traquenard, ce geste auto-destructeur, l’avarice, l’orgueil deviennent un magma, prisme, pour voir le monde.

Pour Une Poignée De Dollars

Gina est organisé à la manière d’un western spaghetti, tant dans son fond que dans sa forme, sa manière de façonner la ville et ses personnages. Le spectre Sergio Leone vient se superposer à la narration et l’articulation du récit. Arcand réussit à ancrer le film dans une certaine modernité, une vision, qu’il ne fait pas juste qu’emprunter et qu’il met au service de ses préoccupations politiques.
Il trouve avec cette silhouette narrative un moyen de donner une puissance extraordinaire à sa déconstruction cauchemardesque du Québec et se permet de la sorte une violence particulièrement frontale, crasse, en dehors des studios, qui effraie véritablement.
En parcourant la petite ville, Arcand soulève la question d’une nation Far West, qui joue de modernité architecturale et d’institutions dans les grandes villes pour masquer une violence omniprésente, une sauvagerie que les bourgs plus reculés ne se donnent pas la peine de masquer, la loi du plus fort est toujours de mise, l’oppression et l’asservissement des faibles étant le mot d’ordre.
La terre a été remplacé par la glace, l’isolement est toujours le même, les hommes, la simple descendance de colonisateurs dégénérés.

Lady Snowblood

C’est en se basant sur ce monde naissant sous nos yeux, qu’Arcand vient nous saisir, nous inquiéter et interroger nos propres rôles sociétaux.
Le cinéaste nous tient, s’accroche fermement à nos viscères pour finalement ouvrir les vannes du cauchemar que le synopsis nous laissait présager. Nous sommes terrassés, la puissance de mise en scène, toute la préparation en amont, vient ici nous foudroyer et nous blesser en plein cœur.
Loin de tout « divertissement » extrême que propose habituellement le genre du rape & revenge, laissant le spectateur dans l’attente de la vengeance sourde, Gina nous glace, nous vide, vient écraser nos stimuli, nous laisse las, traumatisé par un système tout entier ne pouvant tristement que concevoir le mal, construire des individus déviants et nous laisser pantois, le crâne lourd, la boule au ventre.

Un Papillon Aux Ailes Ensanglantées

Gina est un voyage trouble, qui viendra surprendre ceux qui étaient intrigués par son synopsis et cueillir les autres dans un cauchemar sociétal insidieux. Le danger est omniprésent, nous le ressentons, le percevons, sans vraiment savoir par où il viendra attaquer une fois la nuit venue.
Denys Arcand pose ici de nombreuses thématiques qui le rendront célèbre quelques années plus tard, de l’échec d’un système à la place de l’humain dans un projet pharaonique, effaçant l’individu sous l’égide d’un profit maladif.
Poignant, pénétrant, percussif.

II) Les caractéristiques techniques de l’édition Blu-Ray


Image :

La restauration présente ici commence à dater de quelques années mais tout comme les masters HD des films de Gilles Carle, cette dernière parvient à offrir de très beaux résultats tant dans son niveau de détails que dans la conservation de la texture organique propre à la pellicule, le film fait vivant tout en conservant un charme visuel désuet.
La palette de couleurs est parfois un peu fade, mais semble correspondre à la volonté du cinéaste, rendant un équilibre loin de toutes prouesses bien que convaincant.
Concernant les passages ayant lieu dans l’obscurité, le constat est un peu plus rude, avec une saturation certaine, conservant cependant toujours un très bon niveau de détails.

Reste que si vous vous aventurez un peu sur internet pour trouver des captures d’anciens masters alors vous verrez le bon surprenant qualitativement parlant de cette restauration.

Note image :

Note : 7 sur 10.

Son :

La piste québécoise est stable, ne sature pas et n’a pas de souffle. Le confort est réel et les différentes fréquences sont correctement balancées, les unes n’écrasant jamais les autres, faisant finalement respirer la piste.

Note son :

Note : 7.5 sur 10.

Suppléments :

Un unique supplément est présent, issu de la même session que pour les films de Gilles Carle et toujours en compagnie du très intéressant Simon Laperrière.
Laperrière analyse le film et ouvre à de nombreuses pistes de lecture, resituant à la fois le film dans le Québec de son époque, et examinant avec pertinence de nombreux aspects du film.
Il est également intéressant de découvrir cette partie de la carrière de Denys Arcand qui est souvent occultée par rapport à la décennie qui suivra, bien plus commentée et médiatisée.

Nous espérons désormais à la fois retrouver Simon Laperrière pour de futurs suppléments avec l’éditeur mais surtout une suite dans cette collection québécoise captivante.

Note suppléments :

Note : 7 sur 10.

Avis Général :

Découvrir Gina aujourd’hui est à la fois un moyen de plonger dans un cinéma québécois assez rare, vu de l’hexagone, mais surtout d’embarquer dans la redécouverte du travail de Denys Arcand, d’observer les problématiques qu’il soulevait déjà une décennie avant que son nom soit célébré.
C’est donc une véritable chance que de disposer d’une édition telle que nous a concocté Le Chat Qui Fume avec un master Son/Image stable, faisant renaître le film, et d’un supplément piloté par Simon Laperrière, qui en seulement vingt minutes nous conte de bien belles histoires, anecdotes et analyses autour du film et son équipe.

Note générale :

Note : 7.5 sur 10.

Pour découvrir Gina en Blu-Ray :

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