Réalisateur : Darren Aronofsky |
Acteurs : Brendan Fraser, Hong Chau, Saddie Sink |
Genre : Drame |
Durée : 117 minutes |
Date de sortie : 8 mars 2023 |
Pays : USA |
Synopsis : Dans une ville de l’Idaho, Charlie, professeur d’anglais souvent reclus, en obésité morbide, se cache dans son appartement et mange en espérant en mourir. Il cherche désespérément à renouer avec sa fille adolescente pour une ultime chance de rédemption.
Il aura fallu pas moins de six longues années pour découvrir le nouveau projet de Darren Aronofsky, cinéaste créateur de martyres. Depuis Mother!, incroyable hallucination biblique, sorti en 2017, et sa crucifixion, injuste à nos yeux, tant par la critique que le public,le cinéaste s’était fait tout petit, poussant même à craindre des difficultés pour financer les tournages futurs.
Il passe alors d’un budget de 40 millions pour Mother! à un financement à hauteur de 3 millions de dollars pour The Whale, adaptation de la pièce de théâtre éponyme de Samuel D. Hunter.
Pour mener cet étrange projet, habitude du réalisateur, suivant un père pesant plus de 270 kilos, souffrant d’hyperphagie incontrôlée, tentant de renouer le lien avec sa fille adolescente, le réalisateur a fait appel à Brendan Fraser, mythique acteur de la trilogie La Momie, ayant progressivement disparu des écrans après avoir été la cible d’attouchements par un producteur ainsi que d’une longue convalescence suite aux tournages de la saga l’ayant rendu célèbre dont il assurait lui-même les cascades.
The Whale est alors le pacte scellé entre deux personnalités cinématographiques incontournables du ciném américain du début XXIe siècle, ostracisées, pour l’un renvoyé au rang de mauvais élève, pour l’autre au rang de fantôme, tentant l’impossible, l’abandon totale pour renaître.
Charlie, la cinquantaine est vissé sur son canapé, ses kilos de graisses l’empêchent de correctement se mouvoir. Il voit le monde de par son ordinateur, œil maudit. Il est sans famille, son amant est mort dans de douloureuses et mystérieuses circonstances, son ex-femme, quant à elle, l’empêche de voir sa fille, interprétée par Saddie Sink et n’étoffant pas plus sa palette émotionnelle que celle dévoilée dans Stranger Things.
Seule, Liz, amie et infirmière, interprétée avec justesse par Hong Chau récemment croisée dans le médiocre et fade Le Menu, lui assure des liens humains en dehors des miroirs de pixels, renvoyant à nos démons, nos monstruosités.
Le quotidien est organisé comme du papier à musique du livreur de pizza quotidien à ses cours en ligne en passant par ses transferts dans l’appartement. Tout est cadré, si ce n’est chorégraphié, chaque mouvement venant extirper son lot de sueur, d’énergie.
C’est lorsque le monde vient se rappeler à Charlie, par cette porte donnant sur le monde, prenant le visage d’un jeune missionnaire chrétien ou de sa fille révoltée, que son univers, son enfermement évolue, entre ténèbres et lumières.
La tension artérielle augmente, les crampes à la poitrine s’intensifient, Charlie a conscience de vivre ses derniers jours, ses dernières heures, et il compte bien les user pour sauver ce qu’il reste de son environnement, dépasser la chair, viser l’esprit, travailler la sincérité pour s’évader de cette prison qu’il s’est bâti.

Darren Aronofsky construit ici son film le plus intimiste, s’éloigne de toutes les surenchères visuelles, s’enferme dans un lieu, sans tour de passe passe, confrontant nos psyché à l’enfermement, jouant sur nos expériences de confinés, et fige son récit sous une montagne de graisse, s’amuse à écarteler nos représentations mentales, poussant constamment le spectateur à déconstruire un monde de paraitres, de mensonges sociétaux, pour dévoiler nos sentiments, nos pensées à vif, sans artifices, faisant oublier notre reflet pour s’autopsier, observer nos corps et nos esprits avec sincérité, unique clé vers le dépassement de soi, la transcendance.
The Whale pour atteindre cette analyse convoque une galerie de personnages réduite, une série de portraits qui interroge tant dans la construction des personnages que dans leurs finalités.
Une situation qui travaille nos réflexions, tant la présence de ces derniers est en grande partie justifiée pour définir le personnage de Charlie, chacun ayant son histoire mais manquant étrangement de profondeur, jouant de mystères sans utilités, tenus à l’écart de nos regards avec une ostensible ficelle écarlate.
Aronofsky face à l’intime souhaite encore trouver une cabriole narrative, une symbolique poussive, là où la sobriété dans l’agencement du récit aurait pu se suffire à elle-même. Des procédés qui dans le cœur du film tendent à retenir notre dévotion totale à cette oeuvre terriblement fascinante, travaillant des problématiques captivantes, qu’il s’agisse de l’analyse d’une Amérique vorace, se nourrissant de ses propres citoyens, poussant à une consommation morbide, à un abandon de soi, à l’enfermement individualiste et au poids d’une morale cléricale anesthésiante.
Le individus sont parqués, dans leurs espaces de vie rudement payés, enfermés dans leurs psychés, dans leurs émotions, espérant une lumière, la mort, dans cette obscurité crasse qu’est leur isolement mensonger, leur autodestruction.
Le cadre est figé, l’éducation pousse à l’uniformisation des savoirs, des pensées, des mots tout comme des maux, et pourtant Aronofsky dessine la silhouette des sauveurs, des rebelles, loin des codes, des règles, observant le monde avec rage, violence mais clairvoyance, organisant un passage vers une réécriture, une réappropriation des individus par eux-mêmes.

The Whale porte à la fois toutes les qualités et les défauts du cinéma de Darren Aronofsky, sa grandiloquence parfois incontrôlable, et que nous apprécions tout particulièrement, a du mal à trouver une place dans ce huit-clos intimiste un peu trop bavard, qui ne laisse pas parler les silences, qui ne laisse pas agir l’invisible pour vivre l’expérience totale et transcendantale promise.
Le voyage philosophique ne touche pas franchement sa cible mais The Whale nous piège dans un torrent émotionnel, mené par un Brendan Fraser troublant, attendrissant, magnifique et répugnant, qui bien qu’avec force et insistance, nous fait littéralement chavirer, vider l’intégralité de nos boîtes de mouchoirs et caresse le miracle, et ce, par-delà toutes ses faiblesses.
Aronofsky est un cinéaste d’une intelligence redoutable, qui, malgré des chemins tumultueux parvient toujours à atteindre sa cible, nos coeurs, pour nous entailler à jamais. Nous pleurons encore, hantés par l’enivrante et oppressante bande originale signée Rob Simonsen.