Sexual Drive : Critique

Réalisateur : Kota Yoshida
Acteurs :  Manami Hashimoto, Ryô Ikeda, Tateto Serizawa, Honami Sato
Genre : Drame érotique
Pays : Japon
Durée : 70 minutes
Date de sortie : 2021

Synopsis : Le designer Enatsu s’inquiète de sa vie sans sexe. Akane, employée de bureau, se prépare à reprendre le travail tout en suivant une cure de désintoxication pour des crises de panique. L’agent publicitaire Ikeyama veut mettre fin à une relation.

Chez Kino Wombat, le temps est divisé entre expéditions dans les salles obscures et travaille de recherche à travers des éditions physiques (DVD/Blu-Ray) venues des quatre coins du globe. C’est ainsi que nous nourrissons notre rétine, c’est ainsi que le 7eme art y vit.
Ces dix dernières années ont vu l’avènement du streaming, et par la même, la présentation d’un catalogue uniformisé, une situation poussant indéniablement tout un pan de cinéma dans l’obscurité, créant des formules à volonté mettant les salles de cinéma sur l’échafaud et la cinéphilie comme un acte de rébellion, gardienne d’une mémoire, des pensées, des philosophies et des expressions.
Néanmoins, il s’agit de nuancer le propos, de rares plateformes osent et font vivre un cinéma exigeant, c’est le cas de MUBI, que nous suivons épisodiquement, comme par exemple dernièrement avec notre article autour de La Casa Lobo.
Aujourd’hui nous revenons d’une de nos expéditions dématérialisées avec le discret et pourtant étrangement excitant Sexual Drive réalisé par Kota Yoshida.

Kota Yoshida, presque inconnu sur le territoire européen où ses films ne parviennent presque jamais, est un cinéaste travaillant l’érotisme sous toutes ses coutures, essayant de modeler le genre et de creuser dans des directions singulières. Nous sommes face à une prolongation du mouvement Pinku Eiga, une distorsion de ce geste cinématographique usant du genre pour dépasser les formes que cela soit d’un point d’expression visuel ou narratif, un véritable laboratoire de cinéma qui a vu naître pléthore de noms du cinéma nippon.
Avec déjà dix réalisations à son actif, depuis 2006, Yoshida est plutôt productif et de ce que l’on en voit inventif. Notre souvenir très démonstratif et suggestif de The Torture Club, poursuivant les passes-temps d’étudiants à la sortie des cours oscillant entre BDSM et délires fantasques, ne parvient pas vraiment à se juxtaposer sur notre découverte du jour tant les univers semblent éloigner bien que travaillant toujours l’érotisme avec une puissance détonante.

Pour cette nouvelle réalisation, Yoshida tourne sa vision vers un espace contemplatif venant travailler les personnages avec application, rappelant finalement la mise en scène de Ryusuke Hamaguchi, réalisateur de Senses et Drive My Car.
Avec Sexual Drive, le cinéaste s’amuse à dissocier le corps de l’esprit, les mots des gestes pour investiguer, fouiller scinder l’individu s’éloigner du subconscient pour mieux l’interroger.
Pour cela il va découper son film en trois segments, court-métrages, introduisant dans chacun d’entre eux le personnage de Kurita, entité surnaturelle, d’amant à sombre prédateur en passant par masochiste extrême. Un personnage allant chercher la sexualité des différents protagonistes à travers leur rapport à la nourriture, installant de la sorte l’estomac comme un deuxième cerveau, seconde salle de l’esprit, pour faire naître l’invisible, les secrets inavoués, les instincts réprimés.
A travers de longues conversations, ce personnage-satyre vient à travailler la conscience des personnages, vient à ausculter le réel, à réinvestir leurs appétits, leurs rapports à l’aliment, pour mieux déceler les dysfonctionnement de leurs vies intimes, de leur chair.

Yoshida dessine alors une galerie de personnages tous plus fascinants les uns que les autres, trouvant une dynamique nouvelle dans son cinéma, invitant le spectateur dans une moiteur érotique certaine, sans pourtant jamais révéler le moindre centimètre de peau de ses personnages. Le fantôme de « La Marée » de Walerian Borowczyk, segment de Contes Immoraux, apparaît.
Le réalisateur sort de ses carcans de cinéma d’exploitation pour atteindre un espace sensible inespéré, tout en questionnant les individus, Kurita démon, prend le spectateur au piège et pousse à l’interrogation.
Un sentiment décuplé par une mise en scène léchée où les jeux de lumières intensifient la narration, où les mots et les lèvres deviennent les portes d’un monde interdit, pourtant connu de tous.
Un ricochet en trois temps ouvre la voie des pratiques intimes, de l’animalité enfouie et de l’attention nécessaire formant une recette à équilibrer minutieusement pour créer un espace de liberté tant corporel que spirituel.

Alors certes, le dernier fragment manque en construction, a du mal à manipuler son propos et se casse en chemin, mais nous assistons à la redéfinition d’un cinéaste et à deux segments de cinéma succulents, faisant de cette anthologie, un vrai moment de perdition cinéphile, cinéphage.

Sexual Drive porte le cinéaste vers un cinéma des maux, vers un cinéma-philosophie, tout en gardant toute sa tension érotique, captivant véritablement tous nos sens, faisant de ces récits de nouvelles références pour lire nos sexualités -on pense surtout aux deux premiers chapitres- de nouvelles pistes pour se libérer de la bonne conduite mortifère de toute une société, détruisant l’individu, uniformisant jusqu’à l’oubli, faisant de l’humain, un simple rouage.
Suivez la voie tracée par Yoshida, libérez-vous, assumez-vous, devenez la bête pour découvrir l’humain.
Les ténèbres terrifieront toujours ceux qui n’auront pas le courage de les éclairer.

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