Les Dames Du Bois De Boulogne : Critique

Réalisateur : Robert Bresson
Acteurs : Maria Casares, Elina Labourdette, Paul Bernard
Genre : Drame
Année : 1945
Durée : 80 minutes
Pays : France

Synopsis : Hélène a juré de se venger de Jean, son amant qui la délaisse. Elle retrouve une de ses amies qui loue sa jeune fille à de riches fêtards. Hélène s’arrange alors pour que Jean rencontre la jeune Agnès.

Ces dernières années, Robert Bresson a connu une véritable renaissance. Bien qu’ayant toujours connu une place primordiale tant dans le cœur des critiques, des cinéastes que des cinéphiles, il devenait difficile de poser la rétine sur ses créations. Les copies se faisaient vieillissantes, les programmations dans les cinémathèques, rares, et les éditions video quasi-inaccessibles.
Nous espérions nous enfoncer de nouveaux dans certains long-métrages mais également en découvrir d’autres qui ne s’étaient pas encore ouverts à nous.
Avec d’une part une ressortie de plusieurs titres restaurés chez Potemkine, Au Hasard Balthazar, Pickpocket, L’Argent et Mouchette, et d’autre l’apparition inespérée de Lancelot Du Lac, ainsi que Le Diable Probablement chez Gaumont, la filmographie du réalisateur s’offre de nouveaux apparats.
Aujourd’hui, Kino Wombat prendra plaisir à revenir sur une oeuvre moins mise en lumière lorsque l’on parle de Bresson, Les Dames Du Bois De Boulogne, que nous avons pu découvrir par le biais de MUBI,le film existant en format physique à des prix exorbitants en France, et connait cependant une édition Blu-Ray anglaise abordable du côté de Artificial Eye.

Second long-métrage de Robert Bresson, Les Dames Du Bois De Boulogne, est un film rejeté par son créateur, une oeuvre maladroite, boiteuse selon lui, qui a connu un tournage mouvementé, et qui pourtant, pour nous, spectateurs, critiques, en ayant conscience de l’intégralité de sa filmographie occupe une place décisive.
Tourné dans un Paris occupé, avec un casting de renom, porté par Maria Casares, Elina Labourdette et Paul Bernard, ainsi qu’avec des dialogue écrits par Jean Cocteau, Les Dames Du Bois De Boulogne est un film qui est l’inverse du modèle bressonien célébré de nos jours et l’usage de modèles, acteurs non professionnels, que l’on peut former, modeler, créer durant le tournage apportant une mécanique unique selon le cinéaste : « l’automatisme engendre l’émotion ».
Le tournage du film fut en cela complexe tant Bresson est d’une exigence retorse avec ses acteurs, prêt à tout pour l’image désirée, ayant ainsi poussé les actrices de ce second film à être régulièrement saoules les amenant à se détacher de leur jeu théâtral et s’approcher de l’émotion brute, du réel, de l’extatique, du geste qui révèle l’invisible.
La création de Les Dames Du Bois De Boulogne fut de la sorte un moment douloureux, une cicatrice tant pour les acteurs que le cinéaste, qui de plus n’apporta pas satisfaction à Bresson, se cherchant encore, tâtonnant, pour trouver son modèle d’expression.

Mais qu’en est-il réellement, après plus de sept décennies ?

Les Dames Du Bois De Boulogne s’ancre dans un triptyque de laboratoire, avec Les Anges Du Péché et Un Condamné Mort S’est Echappé, où Robert Bresson travaille le cinéma qu’il fantasme, un art au-delà de la trame littéraire, un art affranchi du théâtre. Il essaie de la sorte de concecevoir le cinématographe à la manière d’une singularité et non d’une hybridation, d’un art dit total, il veille à créer une grammaire qui lui est propre, une sensibilité par delà le média.
C’est ainsi que ce second long-métrage nous permet aujourd’hui d’observer la mutation du cinéaste, son émancipation progressive, d’une part de la figure des acteurs, facteur contraignant, dont il va s’affranchir avec la conception des modèles, et d’autre part de la mise en scène, dépassant le caractère linéaire et les intrigues facilitant le expressions reposant seulement sur les mots et la théâtralité.
Le film est en cela à l’entre-création, conservant une esthétique rappelant le cinéma de Renoir, conservant finalement une trame romanesque tout en commençant à composer son cadre, à condamner les personnages avec un fin travail des éclairages, des ombres. Le travail des visages vient à modeler les personnages torturés, qui vont bien plus loi que leurs textes.
Les corps commencent à témoigner, les respirations à parler, l’invisible se meut et se fait ressentir portant le récit à bien plus que ce qu’il souhaite nous offrir

Maria Casarès (Hélène)

Dans cette histoire de vengeance amoureuse, dans cette danse douloureuse que s’offre le triangle de Cupidon, Bresson joue sur les faux-semblants, sur les silences, les secrets. Il compose une intrigue qui pince, qui arrache le spectateur à son simple statut d’observateur. Il nous donne tous les ingrédients de l’intrigue et donne à voir des personnages se déchirant, ne maîtrisant pas, eux, l’étendu des secrets, des coeurs meurtris.
Ce second essai bressonien paramètre l’arc narratif de ses personnages, toutes les figures que nous rencontrerons par la suite, que cea soit Mouchette ou Balthazar, celles des âmes blessées, les porteurs d’un fardeau bien trop douloureux pour vivre, survivre.
Maria Casares se drape du rôle avec un véritable génie, donnant au personnage de nombreuses textures, de nombreux voiles, apportant à tout le récit une dynamique effrayante tout en laissant une place conséquente aux autres interprètes, faisant de son inquiétante présence un tremplin pour Elina Labourdette qui vient cisailler nos songes, de par son personnage condamné, tant de par sa condition de naissance, que de par son parcours de vie.
Dans le cas présent, Bresson s’étend sur trois portraits qu’il réussit à parfaitement saisir, à faire vivre à travers les mots précis et nuancés de Jean Cocteau. C’est surement dans cette dimension, à vouloir saisir une pluralité d’individus, que le cinéaste s’embarque le plus dans un classicisme qu’il rejette.
Il tisse le fil d’un film d’enquête, un film policier, aux allures de contes, il y a de-ci, de-là, des spectres d’un Blanche-Neige Et Les Sept Nains revisité, et ne touche pas la grâce que nous lui connaissons habituellement.

Les Dames Du Bois De Boulogne est une découverte extraordinaire, du côté de Kino Wombat, un chaînon pour comprendre le cinéma célébré de Robert Bresson, un film « bavard », bien que subtilement écrit, un film aux mouvements de caméra académiques, bien que soutenant à merveille le récit.
Il est ainsi particulièrement enthousiasmant de découvrir ce second long-métrage après avoir exploré avec insistance le cinéma du réalisateur, de distinguer les mécaniques qui feront par la suite toute la puissance des films à venir.


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