Dingo : Critique et Test Blu-Ray

Réalisateur : Rolf De Heer
Acteurs : Colin Friels, Helen Buday, Miles Davis, Bernadette Lafont
Genre : Drame
Pays : Australie, France
Durée : 110 minutes
Date de sortie : 1991 (salles) / 2023 (Blu-Ray)

Synopsis : 1969 : Un avion de ligne se pose sur la piste d’urgence d’une bourgade poussiéreuse d’Australie Occidentale. Billy Cross, trompettiste de génie à la renommée mondiale, en profite pour offrir un concert impromptu à la population locale. John, surnommé Dingo, voit ainsi sa vie changer. 20 ans plus tard, il vivote de petits boulots en attendant d’être remarqué pour sa musique. Mais il est difficile pour un artiste de faire carrière au milieu de nulle part.

Evénement dans le petit monde de l’édition vidéo en France, un nouvel éditeur est né. Il y a déjà de cela quelques mois, je me faisais une joie de voir apparaître de nouvelles lignes, des visions singulières, des horizons fantasmés, se dessiner pour nourrir une certaine cinéphagie compulsive.
Ainsi, Frenezy Editions est venu éclairer des recoins toujours plus désirés, entre giallo, western, horreur et films de mafia, MDC est venu apporter une dose de muscles et d’action qui se faisait encore timide en France, Extralucid Films touche les horizons perdus qui viendront écorcher à vie nos rétines, Pulse Films a eu le culot de parier sur le terrifiant et affriolant cinéma X, mais aussi le trop rare post-apocalyptique italien, et tout récemment Badlands est revenu dans la partie avec trois restaurations extrêmement intrigantes de films signés Yuzo Kawashima.
Aujourd’hui nous fêtons l’arrivée du petit nouveau, qui d’ailleurs tape pile dans la dynamique rédactionnelle Kino Wombat, à la recherche des territoires hallucinés, des cinémas perdus : Intersections.

Bien qu’il soit encore difficile de parler de ligne éditoriale avec seulement deux films, il est indéniable que les esprits derrière cette nouvelle et intrigante dynamique sont venus pour déterrer des films complètement ostracisés, avec de très belles éditions, travaillant la qualité des masters son et image avec minutie et proposant des contenus additionnels hypnotisants.
Dans le cas présent, déterrer deux films australiens, quasi-invisible, l’un réalisé par Rolf De Heer, créateur de l’hystérique Bad Boy Bubby, et l’autre porté par la grâce nonchalante de Dennis Hopper.

Face à Dingo et Mad Dog Morgan, la curiosité atteint un rare niveau d’excitation. Une envie de découvrir à la fois des pièces fortes du cinéma australien mais aussi d’observer la renaissance d’œuvres qui risquent bien de rattraper leurs rendez-vous avec l’Histoire, ou du moins avec des cinéphiles complètement fous, junkies de l’image.

Ces lignes s’orienteront autour du premier titre proposé, en suivant la numérotation présente sur la tranche des éditions -léger frisson qui traverse l’échine-, à savoir, Dingo, film musical où les vibrations de la trompette se fraient des chemins vers l’infini traversant le bush et s’échappant dans le monde, bouteilles à la mer, pour redessiner les destins esseulés.

L’article s’organisera en deux temps :

I) La critique de Dingo

II) Les caractéristiques techniques de l’édition Blu-Ray

I) La critique de Dingo

Pensez cinéma australien et en général le paysage fantastique prime, dans les esprits, les errances dans le bush suivent.
Il y a les carrières incontournables, Peter Weir et George Miller, les classiques, Walkabout, Pique-Nique à Hanging Rock, Wake In Fright, et la série b, l’ozploitation, Razorback, Long Week-End, Next Of Kin et plus récemment Love Hunters, Nitram, Solitaire, The Nightingale ou Wolf Creek.
En dehors de ces créneaux, les visions en provenance d’Australie sont réduites. L’accessibilité fait défaut. La lumière bien souvent détournée.
Pourtant, ressorti d’un oubli presque total, et peu compréhensible, s’agissant d’une collaboration avec la France, Dingo s’affiche comme une oeuvre à réhabiliter, et une première étape pour exhumer tout un pan de cinéma.
Tout d’abord Dingo signe l’unique vrai rôle de Miles Davis au cinéma mais surtout, et avant tout, une bande originale composée en collaboration entre le trompettiste et l’incontournable Michel Legrand, l’homme derrière la plupart des compositions chez Jacques Demy.
Un travail musical colossal pour une proposition de cinéma qui travaille le destin, l’invisible et les vibrations avec un récit autour d’un passionné de jazz et plus particulièrement de l’instrument à pistons.

Nous sommes en 1969, en plein bush, un avion de ligne atterrit sur une piste de fortune. Billy Cross, star internationale, descend du monstre de fer et improvise un concert sauvage. Un regard est échangé, des notes partagées, l’engin reprend son envol et disparaît. Un jeune garçon, au milieu de l’indifférence ambiante, est sous le charme. Un rêve naît. Une vocation s’installe, un difficile chemin s’esquisse. John connaît son obédience, son maître. Deux décennies passent, John est surnommé Dingo, il est mari et père, les rêves le transpercent.
Les interrogations s’enchevauchent : Comment être connu en jouant au beau milieu du désert ? Comment connaître son potentiel lorsqu’on est seul à jouer ? Par quel moyen s’échapper pour rencontrer son destin ?

Dingo chemine entre de nombreuses thématiques qu’il s’agisse de l’isolement provoqué par le monde rural, le processus créatif et la puissance des rêves.
Rolf De Heer s’applique à lier isolement et inspiration, lieu et matière première des songes. Il travaille le bush et la bourgade comme terreau au façonnement des sonorités jouées par le personnage principal, rythmant ses journées entre chasse aux dingos, solos dans le désert, vie de famille, et groupe local à la musicalité éloignée de ses fantasmes. Les rêves comme les aspérités d’un univers humain trop exigu face à un espace infini, sont autant de textures et d’expériences qui étoffent émotionnellement le jeu du trompettiste solitaire.
Miles Davis et Michel Legrand ont réussi à capter toutes le aspérités du personnage, le lieu habité et le poids des rêves dans un monde uniforme, où l’imaginaire devient tare, et ce, même mieux que le cinéaste lui-même qui s’embourbe dès lors qu’il se doit de faire progresser le récit.
Toute la force du film se joue dans ces envolées cuivrées, où l’improvisation révèle le temps, les cicatrices et les mirages. La narration tient presque uniquement à travers les fluctuations jazz, dévoilant un personnage en proie au chaos et une mélodie rédemptrice, fée glissant les secrets d’un destin fantasmé.
Les séquences instrumentales deviennent alors de transcendantales déclamations.
Phrases bien trop disparates dans un film qui s’enquiquine d’une histoire vague ne parvenant pas à développer ses personnages. Le monde est suspendu aux notes, un périlleux jeu d’équilibriste se joue devant nos mirettes aussi charmées que désapointées.

Dingo aurait gagné à être un film expérimental, une fièvre, free jazz, loin de tout formalisme, loin de toutes trames narratives ordinaires. Rolf De Heer n’ose pas se lancer dans un film halluciné, reste à mi-chemin. Miles Davis n’incarne jamais son personnage et reste le musicien que nous connaissons, aucune émotion ne transparaît dans son jeu, et fort heureusement, ses incantations instrumentales sont des perches pour nous extirper de force dans d’une histoire bien trop hasardeuse, solaire, bien trop naïve mais toujours divertissante. L’attente était haute, la réception difficile mais le plaisir réel.

II) Les caractéristiques techniques de l’édition Blu-Ray

L’édition de Dingo est particulièrement classieuse et saura toucher en plein cœur les collectionneurs. L’édition Scanavo laissant entièrement le visuel apparent et se délestant de l’infâme rebord avec inscription, auxquels nous sommes malheureusement habitués chez 90 % des éditeurs. Le boîtier plastique est glissé dans un fourreau cartonné du plus bel effet, reprenant des codes visuels similaires d’une édition à l’autre, et jouant sur les différentes affiches du film proposé.
Nous trouvons à l’intérieur du boitier, un livret chargé en informations avec à l’intérieur, fait notable, essentiel, et pourtant si rare, l’origine de la restauration de la copie en présence.

Ainsi donc :

« Dingo a été restauré à partir de l’interpositif, scanné sur Blackmagic Cintel en 4K.
Les fichiers RAW 16 bit ont ensuite servi de base de travail et le film a été étalonné scène par scène, en utilisant une combinaison LUTs et d’opérations manuelles sur DaVinci Resolve. A cette étape, et s’appuyant sur les notes de Rolf De Heer, l’étalonnage final a été effectué plan par plan, permettant de débarrasser le film des poussières, tâches et autres variations de densité qui accablaient le matériau d’origine.

La piste son magnétique stéréo d’origine a été scannée.
Par ailleurs, les éléments séparés ayant servi au mix original ont été retrouvés. Doron Kipen, à Music And Effects, est parvenu à recréer les effets nécessaires à l’obtention d’une piste 5.1 fidèle à l’expérience en salle. »

Image :

Le master image en présence est très bon, et sans partir du négatif d’origine, conserve un beau rendu, témoigne d’un travail minutieux tant dans le nettoyage de la copie que sur le travail des couleurs.
L’image conserve une dimension organique, atteint un niveau de contraste agréable, avec des noirs d’une profondeur considérable durant certaines séquences, et un travail fin sur la colorimétrie faisant ressortir les couleurs en les appuyant, et ce, sans jamais jouer à la démonstration dénaturante, reste quelques scènes de nuit un peu moins précises.
Un rendu visuel qui est élevé par un niveau de piqué fin sur les visages, les mains, les instruments, les matières, et où le travail des couleurs affirme une certaine profondeur à l’image, surtout face aux étendues australiennes.

Note image :

Note : 9 sur 10.

Son :

Deux pistes en version originale sont proposées :

  • ANGLAIS 2.0 DTS-HD MASTER
  • ANGLAIS 5.1 DTS-HD MASTER

Les deux pistes se différencient essentiellement durant les séquences musicales où la spatialisation est enivrante sur la piste 5.1, nous portant totalement dans l’atmosphère du film.
Au-delà de cela les deux propositions sont assez similaires et particulièrement qualitatives, proposant de belles balances, de beaux contrastes, ne saturant jamais et jouant de concert avec toutes le lignes en présence qu’il s’agisse autant de la voix, de la bande son que de l’ambiance sonore générale.
Une belle réussite.

Note son :

Note : 10 sur 10.

Suppléments :

Là où Intersections semble complètement nous emporter, nous conquérir, c’est dès lors que l’éditeur s’attelle au contenu additionnel qui se transforme en véritable mine d’or pour explorer l’oeuvre en présence. Des suppléments qui étaient jusqu’ici exclusifs à l’édition australienne du film.

Nous pouvons découvrir sur cette édition Blu-Ray de Dingo le contenu suivant :

  • Entretien avec le réalisateur/producteur Rolf de Heer (34min, VOSTF)

Entretien réalisé durant la pandémie, réalisé à distance, ce premier supplément à l’image saturée, est une réussite nous faisant découvrir d’une part le réalisateur dans son lieu de travail, cerné par les post-it, et d’autre part, et essentiellement, permettant d’apporter une véritable analyse du film par son créateur.
Le cinéaste déroule une myriade d’informations, d’anecdotes, débutant par le choix de Miles Davis, qui ne devait pas être là de prime abord, puis le travail complexe en collaboration avec la France, suivront ensuite des éclairages sur le chef opérateur, l’écriture du film, les conditions de tournage, sa place dans la création, l’arrivée de Michel Legrand, le travail avec les acteurs ainsi que des projets avortés. Superbe.

  • Rushes commentés par Rolf de Heer (18min, VOSTF)

En voix off, Rolf De Heer revient sur une poignée de scènes apportant une lecture par-delà l’image, nous portant finalement sur le lieu du tournage, disséquant la conception, et analysant avec recul le travail réalisé parfois entre tendresse et sarcasme.

  • Entretien avec le scénariste/producteur Marc Rosenberg (34min, VOSTF)

Reprenant certaines lignes du supplément du réalisateur, l’intervention de Rosenberg est importante pour sentir la véritable âme du film, touchant véritablement le coeur de ce film jazz.
Les anecdotes sont plus précises et les coulisses s’affinent donnant à voir le terreau dans lequel est né Dingo.

  • Entretien avec le directeur photo Denis Lenoir (56min, VF)

Certainement le supplément le plus intéressant, tant les directeurs photo sont en général silencieux et sont pourtant les « maïeutistes » de l’image.
Ici il est particulièrement intéressant de suivre le travail de ce directeur photo français catapulté au beau milieu du bush avec une organisation plateau nouvelle contrairement aux modalité hexagonales. Il revient sur ces deux parties très différentes du tournage entre étendues désertiques et club de jazz parisiens étriqués.
Lenoir ne pratique pas la langue de bois et donne des avis piquants sur le tournage, sur les choix artistiques et permet de toucher une vérité saisissante.
Puis l’oeil dépasse dans sa parole le cas de Dingo et s’oriente sur le métier-même, de ses inspirations aux nombreux chefs opérateurs australiens, mettant toute une profession sous le feu des projecteurs, ouvrant des chemins que nous nous empressons de visiter. Fabuleux.

  • Livret de 32 pages contenant un essai de Maxime Lachaud sur la carrière de Rolf de Heer, et un essai de Dominique Poublan sur Miles Davis

Bon, que dire, depuis la découverte de Maxime Lahaud à travers son livre passionné, halluciné, autour de l’éditeur Potemkine, une vraie joie est née du côté de Kino Wombat dès lors que le nom de l’essayiste apparaît.
En quelques pages, parfaitement mises en page qu’il s’agisse de la taille de la police à l’insert d’images, Lachaud analyse et synthétise avec précision la carrière de De Heer, sa manière de capter les espaces, du huis clos aux étendues démesurées, sa manière de travailler avec la culture aborigène, son usage singulier du son, son étude autour des marginaux pour enfin resituer la place de Dingo aujourd’hui dans le septième art. Un voyage fourni et fascinant, une raison évidente de posséder cette superbe édition.

Enfin le livret se conclut par un court mais pertinent essai de Dominique Poublan autour de Miles Davis, de la scène au grand écran, balisant rapidement les différents mouvements de la carrière du trompettiste.

  • Bande annonce (VOSTF)

Note suppléments :

Note : 10 sur 10.

Avis général :

Bien qu’étant un film irrégulier, magnifique dans sa lecture des sonorités, dans sa manière d’écrire le récit, de dévoiler l’âme, par les instruments, mais assez faible, même brouillon, dans son architecture narrative dès que l’on aborde les rapports humains, Dingo est une oeuvre très intrigante, qui vient nous happer et parvient à conserver notre attention, avec l’ivresse de ses compositions.
Une aventure magnifiée par le travail d’Intersections, s’appuyant sur les travaux d’Umbrella Entertainment, qui nous propose ici une très belle restauration qui tant d’un point de vue de l’image que du son est une grande réussite.
La découverte du film, qui commençait à sombrer dans les abysses, est un instant important pour à la fois jeter le regard vers une Australie rarement montrée de par chez nous, mais surtout d’ouvrir nos consciences au cinéma de Rolf De Heer que nous réservions principalement à son Bad Boy Buddy.
Une édition qui dans ses suppléments tant dans les écrits de Lachaud que dans les entretiens avec le réalisateur, le producteur ou le chef opérateur permet une vraie résurrection d’une pièce de cinéma et de tout un paysage cinématographique.

Note générale :

Note : 8 sur 10.

Pour découvrir Dingo en Blu-Ray :
https://intersectionsfilms.myshopify.com/products/dingo-blu-ray

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